Littérature

Une vie sans visage – sur L’imprudent de Pierre Alferi

Enseignant-chercheur en poésie contemporaine

Un homme dépourvu de consistance, qui passe à travers les évènements, entre absence et présence : c’est L’imprudent, roman posthume de Pierre Alferi. Cette œuvre énigmatique place en son cœur la figure du postmoderne – un personnage qui se définit moins par une psychologie que par une tonalité affective persistante. Quand le flou et l’incertitude deviennent les moteurs narratifs.

Ce mois de février 2025 a vu la parution de deux ouvrages de Pierre Alferi : la réédition de Chercher une phrase – texte théorique fondamental jusque-là épuisé et désormais préfacé par Jean-Christophe Bailly – et la publication de L’imprudent, un roman posthume sur lequel Pierre Alferi travaillait discrètement depuis plusieurs années. L’édition de ce dernier a été établie par Suzanne Doppelt, à partir d’un tapuscrit confié en juillet 2023, un mois avant la disparition de l’auteur. De ce roman, nous savons peu de choses :  l’ouvrage aurait peut-être eu des prémices sous une forme annoncée chez P.O.L en 2000 sous le titre Vie de Tram, mais son élaboration demeure obscure.

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Ce flou s’accorde avec le caractère spectral du roman, qui retrace la vie d’un personnage sans visage, joue sur l’indétermination, le vague et aborde les transformations de l’identité, l’inanité du vécu et la mort (le livre s’achève sur une dalle). Dans ce livre qui déstabilise les repères de lecture, Alferi invente un « Bildungsroman » inversé : il relate la vie d’un personnage qui traverse des événements sans jamais parvenir à une quelconque résolution et dont le narrateur affirme paradoxalement « que pour vivre vraiment tout ce qu’il avait vécu il lui faudrait au bas mot quatre vies et demie ». Dans L’imprudent, Alferi propose une parabole qui interroge les modes de perception du réel, où le flou et l’incertitude se transforment en véritables moteurs narratifs, questionnant la manière dont nous nous définissons et donnons sens à nos actions.

L’imprudent fait le récit de la vie de Tram ou Trom, un personnage ayant des « traits indistincts », que le lecteur peine à fixer et qui apparaissent « comme à travers du verre mouillé ». Véritable surface, il est qualifié de « waif » dans le dernier chapitre, c’est-à-dire de frêle ou d’orphelin – il est dépourvu de véritable consistance et évolue à la frontière entre absence et présence, entre effacement et détermination, incarnant une forme d’indéf


Jeff Barda

Enseignant-chercheur en poésie contemporaine, Lecturer en études culturelles françaises à l'Université de Manchester

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