Littérature

Contemporain et universel – sur La Cour maudite d’Ivo Andrić

Critique littéraire, écrivain

Un monde où chacun pourrait être emprisonné au motif d’une seule suspicion de délit, voire rendu coupable de ses rêves ; tel est le décor de La Cour maudite, ouvrage du romancier et lauréat du Prix Nobel en 1961 Ivo Andrić, republié dans une nouvelle traduction ce printemps. L’occasion de se replonger dans cette œuvre aussi complexe et fragmentée que l’est la « yougoslavité » de son auteur, traversé par des réflexions qui résonnent avec toujours autant d’acuité pour le lecteur du XXIe siècle.

Publié en France en 1962, La Cour maudite paraît ce printemps dans une traduction nouvelle assurée par Pascale Delpech. Surtout connue pour son travail sur l’œuvre de Danilo Kiš, elle a également traduit Le Pont sur la Drina (Livre de poche), La demoiselle avec préface de Danilo Kiš (Pavillons Laffont) et La chronique de Travnik (Motifs, au Serpent à plume). Elle connait l’œuvre du Prix Nobel 1961 dont on apprend, par Qu’est-ce qu’un auteur mondial ? passionnant essai de Gisèle Sapiro qu’il était aux dires d’un juré suédois, un « excellent auteur venant d’un nouveau coin intéressant du monde ».

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Il aurait dû recevoir le prix en 1960 ; on lui avait préféré Saint-John Perse, « aussi mondial que l’autre est régional ». Quand on sait ce que représentent les Balkans dans l’histoire européenne (et orientale), on s’amuserait presque de ce point de vue plutôt court sur « l’autre » et « son coin ».

L’identité d’Andrić est en soi un condensé de « Yougoslavité » : « Croate par son origine et catholique par sa religion, serbe par son choix et aussi d’adoption, bosniaque de naissance et par ses racines, yougoslave par sa détermination et son appartenance, non seulement nationale ou politique », écrit de lui Predrag Matvejevitch. Jeune, Andrić s’engage dans les rangs des nationalistes qui luttent contre la domination autrichienne. Il est brièvement emprisonné. Il commence à écrire de la poésie. Il étudie notamment à Cracovie, étape importante dans sa formation, et des études pourtant sans relief le mènent au métier de diplomate. A l’époque de Hitler il représente la Serbie en Allemagne. Puis il devient l’ambassadeur de la Yougoslavie gouvernée par Tito, sans forcément adhérer aux valeurs socialistes : « La tribune ne convenait pas à sa nature. Les tribuns lui étaient étrangers ». Il meurt en 1975. Avec Miroslav Krleza et Milos Tsernianski, il incarne une époque riche, plus proche qu’on ne le croit à Stockholm du monde que de sa seule région. « Il n’était guère facile de


Norbert Czarny

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