Critique

Née au Chili en 1979, Caroline Dawson arrive à Montréal à l’âge de sept ans, avec ses parents et ses deux frères, fuyant la dictature de Pinochet. Là où je me terre, paru pour la première fois au Québec en 2020, aux Éditions du Remue-Ménage, raconte cette émigration, interrogeant son coût derrière l’apparente réussite.

Un récit de transfuge

Ce texte, classé comme roman dans son édition québécoise, parvient au public français escorté d’une double caution nationale : d’abord, une courte note d’Annie Ernaux, évoquant une « écriture limpide » et le « miracle » par lequel elle transmet au lecteur la double condition d’immigrée et de pauvre ; ensuite, une préface du sociologue Didier Eribon, qui qualifie le texte d’« autobiographie sociologique » et rappelle qu’il s’inspire, de l’aveu de l’autrice, de Retour à Reims du même Eribon. De surcroît, la deuxième partie du roman présente un exergue tiré de Qui a tué mon père d’Édouard Louis, insistant sur la violence inhérente au fait de parler de la vie de ses parents à leur place. Ces éléments paratextuels et textuels placent Là où je me terre dans la filiation du récit de transfuge de classe, institutionnalisé en France et canonisé avec le prix Nobel décerné à Annie Ernaux en 2022^[1].

Le texte de Dawson correspond, effectivement, aux critères de ce type de récit, à la fois personnel et social : il raconte un parcours de mobilité sociale et représente le clivage entre deux mondes, celui des origines, donc des parents, et celui d’arrivée, la bourgeoisie intellectuelle. C’est par la grille conceptuelle de la sociologie (bourdieusienne, même si ce n’est pas précisé) que l’ascension sociale est racontée et analysée : « La première fois que je suis entrée dans un cours de sociologie au cégep, ce fut comme entendre ma langue maternelle. […] On mettait en mots ma réalité » (p. 171). L’écriture autosociobiographique^[2] de Dawson est attentive, dans une optique intersectionnelle, aux différentes formes de domination subies, e