Esthétique de la chaise vide – sur Chime et Cloud de Kiyoshi Kurosawa
Si Kiyoshi Kurosawa tourne dans tous les genres, on peut dire qu’il filme chaque film comme s’il s’agissait d’une histoire de fantômes, ce que Chime est à moitié et Cloud pas du tout. Il y a bien quelque chose de fantastique dans le premier film, moyen-métrage étrange produit par le monstrueux Roadstead [1], récit d’un chef et professeur de cuisine hanté par une présence abstraite.

Mais Cloud, techno-thriller fauché (du côté des personnages comme de la facture même du film), ne raconte que les aventures minables d’un petit spéculateur qui achète et revend sur internet tout ce qui lui tombe sous la main. Alors pourquoi ce montage troué d’ellipses inquiétantes, ces vitres ouvertes avec des rideaux flottant au vent ?La réponse tient en un mot : le style. C’est ainsi que Kiyoshi Kurosawa filme le monde – peut-être qu’il voit le monde. Quel que soit le sujet, il met en scène dans le silence, la sécheresse angoissante, l’oubli. Aucun film ne le montre aussi bien que Tokyo Sonata, mélodrame familial et musical, filmé pourtant comme ses thrillers et ses films fantastiques, avec cet espace négatif d’où semble toujours pouvoir surgir l’horreur, ce vide existentiel qui se mêle à une menace fantomatique – comme dans Cure par exemple, pièce la plus célèbre de l’œuvre, arbre qui cache la forêt.
Certes ses films racontent une histoire – certes, mais de moins en moins. Ce n’est pas son style qui s’assèche (au contraire il s’amplifie, devient de plus en plus personnel, caractéristique), ce sont ses récits. Chime, par sa modeste durée, rend cela évident : c’est un film de Kurosawa encore plus irracontable que d’habitude (le synopsis publié par le distributeur est complètement à côté du film). Sa tendance abstraite, dé-figurative, par moments burlesque, rappelle, par l’abstraction que provoque cette brièveté, son film Beautiful New Bay Area Project (2013), autre moyen-métrage irracontable, où une créature marine à apparence humaine fait des cascades et donne des coups de pie