Cinéma

Esthétique de la chaise vide – sur Chime et Cloud de Kiyoshi Kurosawa

Critique

La sortie conjointe, à quelques jours d’écart, de Chime puis de Cloud, nous permet de reparler de Kiyoshi Kurosawa, cinéaste tellement célébré, en particulier en France, dans les années 2000 et 2010, et dont aucun film n’était sorti dans nos salles depuis 2021. Voilà une belle occasion pour essayer de décrire le style unique de ce cinéaste, qui semble se radicaliser de film en film.

Si Kiyoshi Kurosawa tourne dans tous les genres, on peut dire qu’il filme chaque film comme s’il s’agissait d’une histoire de fantômes, ce que Chime est à moitié et Cloud pas du tout. Il y a bien quelque chose de fantastique dans le premier film, moyen-métrage étrange produit par le monstrueux Roadstead [1], récit d’un chef et professeur de cuisine hanté par une présence abstraite.

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Mais Cloud, techno-thriller fauché (du côté des personnages comme de la facture même du film), ne raconte que les aventures minables d’un petit spéculateur qui achète et revend sur internet tout ce qui lui tombe sous la main. Alors pourquoi ce montage troué d’ellipses inquiétantes, ces vitres ouvertes avec des rideaux flottant au vent ?La réponse tient en un mot : le style. C’est ainsi que Kiyoshi Kurosawa filme le monde – peut-être qu’il voit le monde. Quel que soit le sujet, il met en scène dans le silence, la sécheresse angoissante, l’oubli. Aucun film ne le montre aussi bien que Tokyo Sonata, mélodrame familial et musical, filmé pourtant comme ses thrillers et ses films fantastiques, avec cet espace négatif d’où semble toujours pouvoir surgir l’horreur, ce vide existentiel qui se mêle à une menace fantomatique – comme dans Cure par exemple, pièce la plus célèbre de l’œuvre, arbre qui cache la forêt.

Certes ses films racontent une histoire – certes, mais de moins en moins. Ce n’est pas son style qui s’assèche (au contraire il s’amplifie, devient de plus en plus personnel, caractéristique), ce sont ses récits. Chime, par sa modeste durée, rend cela évident : c’est un film de Kurosawa encore plus irracontable que d’habitude (le synopsis publié par le distributeur est complètement à côté du film). Sa tendance abstraite, dé-figurative, par moments burlesque, rappelle, par l’abstraction que provoque cette brièveté, son film Beautiful New Bay Area Project (2013), autre moyen-métrage irracontable, où une créature marine à apparence humaine fait des cascades et donne des coups de pie


[1] Ce distributeur international, basé au Japon, qui distribue également des films posthumes de Jean-Luc Godard, utilise la blockchain comme outil de distribution de ses films. Les deux films qui sortent en salle, ainsi que La Voie du Serpent (sortie prévue en août), sont cependant distribués dans les salles françaises par Art House, distributeur français spécialisé dans le cinéma japonais.

[2] Dans le cadre d’une carte blanche à la Cinémathèque Française en 2023, Kurosawa présentait Combustion spontanée (1989) du premier, et Armored Car Robbery (1950) du second. Il est d’ailleurs étonnant qu’un cinéaste plutôt peu éloquent sur ses propres films soit aussi original dans son goût pour les films des autres – il aurait fait un excellent critique.

[3] Dans le cadre d’une conversation avec Jeanne Moreau, filmée par Jacques Rozier pour la télévision.

Rayonnages

Cinéma Culture

Notes

[1] Ce distributeur international, basé au Japon, qui distribue également des films posthumes de Jean-Luc Godard, utilise la blockchain comme outil de distribution de ses films. Les deux films qui sortent en salle, ainsi que La Voie du Serpent (sortie prévue en août), sont cependant distribués dans les salles françaises par Art House, distributeur français spécialisé dans le cinéma japonais.

[2] Dans le cadre d’une carte blanche à la Cinémathèque Française en 2023, Kurosawa présentait Combustion spontanée (1989) du premier, et Armored Car Robbery (1950) du second. Il est d’ailleurs étonnant qu’un cinéaste plutôt peu éloquent sur ses propres films soit aussi original dans son goût pour les films des autres – il aurait fait un excellent critique.

[3] Dans le cadre d’une conversation avec Jeanne Moreau, filmée par Jacques Rozier pour la télévision.