Théâtre

Que faire de notre liberté ? – sur L’Hôtel du Libre-Échange par Stanislas Nordey

Philosophe

Benoît Pinglet et Marcelle Paillardin, adultères impétrants, se retrouvent à l’hôtel. Mais aussi la bonne des Pinglet et le neveu des Paillardin – notamment. Une folle nuit de quiproquos et autres lâchetés conduit ce petit monde au poste de police. Que vient-on chercher aujourd’hui avec les drames bourgeois de Feydeau ? La mise en scène de Stanislas Nordey glisse vers une théâtralité qui s’affirme dans toute sa complexité et son unité. Quand les désirs manquants interrogent l’absence de vision culturelle.

«Ce n’est pas une femme que j’ai là, c’est un pion ! […] Ah ! Si on pouvait voir les femmes vingt ans après, on ne les épouserait pas vingt ans avant ! ». C’est ainsi que Pinglet présente son épouse Angélique au début de L’Hôtel du Libre-Échange de Georges Feydeau[1]. Le ton est donné et l’impression surannée qui s’en dégage ne manque pas de répandre une atmosphère malaisante dans le Théâtre de l’Odéon ce samedi 1er juin 2025. Que suis-je donc venue chercher dans ce spectacle d’une bourgeoisie du XIXe siècle aux pratiques, mœurs et valeurs douteuses ? Qu’est-il donné à voir et à entendre aujourd’hui d’un vaudeville dont le sujet de prédilection est l’adultère, quand certains de mes contemporains prônent aussi bien les relations sexuelles multiples et non exclusives que la grève du sexe ? L’embarras m’assaille.

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Pourtant, Stanislas Nordey et sa brillante équipe renversent peu à peu nos craintes et parviennent à nous transporter avec éclat dans un rare tourbillon théâtral. Entre document d’une critique socio-politique d’une époque passée et ironie des temps présents, le metteur en scène, ses acteurs et ses actrices jouent avec gaieté et virtuosité d’anachronismes pour s’amuser des contradictions et tensions de notre temps, en les plaçant là, juste sous nos yeux.

C’est une histoire plutôt ténue que celle de Stanislas Nordey et Georges Feydeau. Une seule pièce avait jusqu’ici attiré l’attention du metteur en scène, La Puce à l’oreille, montée en 2004. De fait, Stanislas Nordey consacre sa vie aux écritures contemporaines, qu’il lit avec avidité, qu’il déniche, soutient et met en scène avec engagement. Au premier juillet prochain, il prendra d’ailleurs, à la suite de Sabine Chevallier, la direction des Éditions Espaces 34, ce qui sera pour lui une autre manière d’être au plus près des écritures émergentes.

La distraction par le vaudeville offre-t-elle un intervalle de repos où peuvent se reconstituer notre agentivité et la force de nos actions ?

Alors, pourquoi


[1] Cette pièce a été co-écrite en 1894 avec Maurice Desvallières.

[2] L’expression est de Mickaël Foessel. Elle est tirée de son ouvrage Quartier rouge, le plaisir et la gauche, Flammarion, 2023.

Rachel Rajalu

Philosophe, Enseignante à l'École supérieur d'art et de design TALM-Le Mans

Notes

[1] Cette pièce a été co-écrite en 1894 avec Maurice Desvallières.

[2] L’expression est de Mickaël Foessel. Elle est tirée de son ouvrage Quartier rouge, le plaisir et la gauche, Flammarion, 2023.