Cinéma

Tendresse néocoloniale – sur Le Rire et le couteau de Pedro Pinho

Critique

Avec Miguel Gomes, Pedro Pinho fait partie de cette génération de réalisateurs qui, depuis le début des années 2000, ont renouvelé le cinéma portugais par l’exploration de situations coloniales et postcoloniales. Présenté à Cannes, Le Rire et le couteau explore les aventures d’un ingénieur portugais blanc en Guinée-Bissau. En traitant le postcolonial par l’intime et le corps, Pedro Pinho offre ainsi un regard neuf sur l’héritage de la colonisation portugaise en Afrique.

Il est des films dont on comprend vite qu’ils ne vont pas tant nous raconter une histoire que nous inviter à les habiter, à vivre avec leurs personnages, à partager quelques heures avec eux et à s’en trouver changés.

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Le Rire et le couteau, film le plus long de la compétition cannoise en mai dernier, présenté à Un certain regard, est de ceux-là. Ses 3h30, loin d’être une complaisance artificielle et arty (il existe une version de 5h30 qu’on a hâte de découvrir) représentent le temps nécessaire pour s’y installer, pour bivouaquer aux côtés de son protagoniste Sergio.

South By South West

Ingénieur environnemental portugais débarqué en Guinée-Bissau, il doit rédiger un rapport interrogeant le bienfondé de la construction d’une route reliant Tanger à Dakar sans interruption. L’Usine de rien, film présenté en 2017 à La quinzaine des réalisateurs, abordait déjà le travail et son impossibilité en racontant en comédie musicale les affres du monde syndical. Ici, dans un road movie empêché, l’artère à construire pourrait être la trajectoire rectiligne d’un récit qui nous ferait traverser un pays d’un point cardinal à un autre. Mais en s’ouvrant par une panne, Le Rire et le couteau nous donne ses coordonnées GPS tout en nous annonçant qu’il a perdu le signal.

À peine arrivé Sergio est stoppé par un contrôle routier puis par l’arrêt de son véhicule, comme une invitation immédiate du film faite à son spectateur à changer de rythme et à accepter de se laisser balloter aux gré des aléas. D’emblée, l’humanitaire européen n’est pas accueilli comme un bienfaiteur, mais comme un impétrant qu’on tolère. Peu de cinéastes aujourd’hui ont donné place dans leur œuvre à l’Europe comme structure politique et historique, comme construction symbolique et ensemble de valeurs occidentales tentant de s’imposer au monde dans un rapport de plus en plus obsolète. Avec Pedro Pinho, c’est sans doute le Roumain Radu Jude dont cette réflexion imprègne le plus les histoires, à travers les rappor


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