Notre horizon est-il trop petit ? – sur « Art brut. Dans l’intimité d’une collection »
La Suisse « compte beaucoup de malades mentaux », déclarait drôlement le collectionneur Gérard A. Schreiner dans un film que lui consacre Bruno Decharme ; « peut-être à cause des montagnes… l’horizon est trop petit ! » Nul doute que la remarquable exposition « Art brut » dégage pour sa part largement nos horizons. Dans sa préface au catalogue, Bruno Decharme, le collectionneur érudit et cinéaste (il fut assistant de Jacques Tati), à qui l’on doit la donation au Musée national d’art moderne du Centre Pompidou d’un millier d’œuvres dont une partie est ici présentée, l’affirme avec force : il faut considérer l’art brut « comme une question et non comme une catégorie ».

Cessons donc un instant de répertorier et de classer : ceci est de l’art, cela n’en est pas. Réservons à d’autres approches les questions de nomenclatures, généalogies et taxinomies classificatoires même si les mises en perspective historiques et géographiques, les indications bio-bibliographiques des artistes, les chronologies diverses, les vidéos mettant en scène et en acte les artistes, sont ici impeccablement présentées pour qui souhaite s’en informer au-delà de l’éblouissement et de l’émotion que ces œuvres suscitent en nous. Antonin Artaud, raillant la lourdeur de certains doctes avis portés sur ses dessins et « totems d’êtres » (a-t-il seulement étudié le dessin …?) vociférait déjà : « Nous avons une taie sur l’œil du fait que notre vision oculaire actuelle est déformée, réprimée, opprimée. » Cessons de craindre ce qu’il nommait un « élargissement véritable de la réalité ». Réapprenons à voir et entendre les dessins, sculptures, assemblages et tentures, broderies et peintures, masques, mosaïques, totems et parchemins qui se dressent ici et nous appellent et nous parlent.
Le Centre Pompidou étant proche de sa fermeture pour travaux (on le regrette déjà…), l’exposition se tient dans un imposant Grand Palais récemment rénové et rendu à sa splendeur lumineuse. Sur deux étages, à travers des