Reflets dans un œil pur – sur La Tour de glace de Lucile Hadžihalilović
Comment donner froid à un spectateur de cinéma ? C’est la question que semble s’être posée Lucile Hadžihalilović qui a enveloppé son quatrième long métrage dans une épaisse couche de neige, dissimulant le décor, atténuant les sons, engourdissant les corps, et ce des deux côtés de l’écran.

La Tour de glace s’aborde en chasse-neige, comme une pente glissante où l’on s’efforce de freiner l’allure pour ne pas dévaler. Ce qui reste en nous après la projection, ce sont, moins qu’une histoire, des sensations physiques. On se blottit pour supporter le frimas de ce film où la glaciation du décor témoigne surtout de la froideur qui a gagné les cœurs solitaires des personnages. Le film produit un effet hivernal en nous, comme si son rythme appesanti influait directement sur notre rythme cardiaque dans cet univers de haute montagne à l’oxygène raréfié.
Ours d’argent de la meilleure contribution artistique lors du dernier festival de Berlin, le film témoigne en effet d’une direction très soignée à tous les postes. Les images, les sons le tempo jouent directement et de façon très énigmatique sur le corps du spectateur et parviennent à réduire notre rythme cardiaque, mettre notre organisme en mode hivernal, pour affronter la rigueur de la saison froide. Le plus émouvant dans La Tour de glace, qui procède par soustraction et retire du champ, du récit, du jeu, tout ce qui est superflu, c’est sans doute la façon dont la lumière et l’ombre modèlent l’espace et donnent à l’image une épaisseur dans laquelle nos yeux s’enfoncent comme des pas dans la neige. Dans cet effet de retenue de l’action, on vit aussi le film comme dans un étrange jetlag : l’action se passe dans une époque qui ressemble aux années 1970 mais qui sombre par moments dans des temps bien plus anciens.
Fragments et petits débris
Dans le conte de Hans Christian Andersen, La Reine des neiges, dont la cinéaste adapte l’esprit davantage que la lettre, un sorcier fabrique un miroir qui altère la réalité, en réfléch