Cinéma

Complainte d’une ville moyenne – sur Kontinental 25 de Radu Jude

Critique

Dans une fable sans morale tournée à l’iPhone 15, Radu Jude fait converger polar social et sketchs autour de la crise de conscience d’une meurtrière involontaire, dans une subtile référence au cinéma rossellinien. Écarts de richesse, domination sociale, gentrification et nationalisme ambiant – un regard sur la Roumanie.

En 1960, redoutant la concurrence de la télévision, Alfred Hitchcock tenta avec Psychose de bouleverser les habitudes du spectateur et de donner un renouveau à la structure du film policier. Au bout de trente minutes, il fait mourir son héroïne Marion Crane et donne un brusque coup de volant dans son intrigue : il ne s’agira plus de savoir pourquoi elle a volé une grosse somme d’argent à son patron, mais qui l’a tuée et pourquoi.

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Radu Jude reprend cette structure en suivant pendant la première partie de son film un vieil homme qui squatte un immeuble en passe d’être réhabilité en boutique-hôtel de luxe dans la ville de Cluj et se donne la mort au moment où il est expulsé par la main d’une huissière d’origine hongroise accompagnée de policiers. Exit ce corps que l’on a suivi à travers les décors de la ville de Transylvanie dans lesquels il n’aura proféré que des jurons. Kontinental 25 reprend l’ossature du polar et part à la recherche du coupable.

Polar social

Quand l’huissière, Orsolya, s’endort dans son canapé, la télé diffuse un film de Georg Ulmer, Détour (1945), dans lequel Tom Neal découvre que l’homme qui l’avait pris en stop est mort après lui avoir passé le volant. Le cinéaste roumain se reconnaît dans le geste de l’austro-hongrois émigré à Hollywood, qui fut ostracisé dans le métier après qu’il eut séduit la femme d’un producteur d’Universal. Mis au ban, il navigua dès lors dans la série B, tournant vite et peu cher. Radu Jude suit cette efficacité propre au circuit bis hollywoodien en tournant en 10 jours, dans le sillage de la fabrication de son projet plus ambitieux, Dracula, qui sortira en France en octobre, en reprenant la même équipe technique et deux comédiens du casting, Eszter Tompa et Adonis Tanța.

Meurtrier involontaire, présent au mauvais endroit au mauvais moment, le personnage joué par Tom Neal dans Détour se reflète dans Orsolya, l’huissière victime d’un mauvais sort, comme le prêtre orthodoxe qu’elle consulte en fera le diagnostic


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