Littérature

Entre ombre et lumière – sur Autoportrait à l’encre noire de Lydie Salvayre

Critique littéraire, écrivain

« J’écris parce que je ne sais pas parler » : c’est en ces termes que Lydie Salvayre justifie son recours à la littérature dans un livre autobiographique. À travers un dialogue avec sa voisine Albane, avide de new romances, elle brosse son portrait dans une langue acérée et sans complaisance vis-à-vis des hypocrisies du monde social.

Parmi les adjectifs d’époque que Lydie Salvayre ne doit guère aimer, « jubilatoire » est ce cliché qui envahit nos phrases et les affiches vantant des livres dans les couloirs du métro. Albane, sa voisine dans Autoportrait à l’encre noire, grande lectrice de « romances » est plus à l’aise avec l’hyperbole, le terme usé jusqu’à la corde et la ponctuation expressive.

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Le dialogue que les deux femmes entretiennent tout au long des pages est drôle, toujours vif et piquant. Mais pas seulement. À l’instar de Don Quichotte, son héros, dont Albane est le Sancho Pança, Lydie Salvayre aime à rompre des lances, à se lancer à l’assaut pour marquer sa colère contre la médiocrité, la complaisance, le sentimentalisme, le misérabilisme. Non qu’elle soit aveugle à ce qu’il advient dans ce monde, au contraire. Mais l’absence de tenue, de dignité l’irrite. Une irritation qui rappelle l’un de ses auteurs de chevet, Thomas Bernhard.

Mais revenons au point de départ et à ce titre : autoportrait à l’encre noire. « Notre monde n’est formé qu’à l’ostentation : les hommes ne s’enflent que de vent et se conduisent par bonds, comme les ballons ». La phrase est de Montaigne cité en épigraphe et elle donne le ton. L’autrice n’a guère de goût pour le genre qu’elle pratique ici, et pas davantage pour « les individus entichés d’eux-mêmes ». Gadda, un autre de ses auteurs favoris voit dans le je et le moi « de tous les pronoms les plus abjects ». Bref, elle s’engage dans une entreprise difficile, n’aime pas se montrer, pis, se mettre en valeur. Le récit s’ouvre sur un constat : « J’ai vieilli, j’ai mochi ». Pas de cadeau, pas de quête de son meilleur profil. Peu aimable, en apparence : « Je tiens en suspicion tous les grands sentiments qui se déclarent. Et dès que quelqu’un fait ostentation de sa bonté ou me la jette à la figure, je me rebiffe et me fais aussitôt belliqueuse ». Apparence en effet. On sait bien ce que cachent les grands sentiments en question : une hypocrisie sans nom, une i


Norbert Czarny

Critique littéraire, écrivain