Théâtre

Fier·es de l’être – sur Woke de Virginie Despentes

Sociologue du théâtre

Avec un spectacle bordélique et joyeux, Virginie Despentes et ses complices – lutin·es queers, fantômes et créatures féministes, drag queen et auteur·ices – posent la question de la vie dans un monde dominé par les rapports de classe, de race, de genre. En choisissant de ne pas tomber dans la dystopie triste, Woke ouvre la possibilité d’une résistance joyeuse, à l’image de celleux qui la créent : maladroite, discontinue, réelle, queer.

C’est peu dire que le contexte ne prête pas à rire. C’est encore pire qu’au moment où Virginie Despentes avait prononcé sur la scène du Centre Pompidou un texte qui a résonné longtemps dans les mémoires féministes et queer : « rien ne me sépare de la merde qui m’entoure[1]. »

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Ce texte, fait pour être dit et presque slamé, portait une analyse aussi implacable que sa description du présent était lucide, mais/donc il a marqué aussi les esprits et les cœurs pour sa tonalité très sombre, crépusculaire. On était en 2020.

En 2025, que dire ? Que faire, face aux génocides en cours et à la faillite du droit et des institutions internationales, face à la montée du fascisme et des impacts de la catastrophe climatique aux quatre coins de la planète, face aux preuves incessantes que l’ordre du monde actuel nous mène à notre perte et surtout, face au choix résolu de ceux qui nous gouvernent d’aller toujours plus vite, toujours plus fort, toujours plus loin dans cette direction mortelle et mortifère, face à l’érotisation et la justification comme jamais de toutes les dominations et de toutes les violences, sociales, raciales, de genre, etc. – ailleurs et surtout ici, dans nos démocraties qui n’en ont plus que le nom ?

Ce n’est donc pas étonnant si le spectacle commence dans cette même ambiance lourde et pesante, sur fond de guitare mélancolique. Mais assez vite, ça bifurque. Le noir vire au rouge, au rose, et bientôt c’est tout un festival de couleurs qui éclaire la scène. Parce que Woke, c’est tout le contraire de la dépression et de la solitude – même si cette tonalité reviendra de temps à autres, en contrepoint. C’est sans doute la première raison d’être de cette incursion de la romancière dans la mise en scène : en appeler au théâtre tout simplement pour sa réputation flatteuse (et pas totalement usurpée) d’être l’art politique par excellence, parce qu’il est l’art de la parole publique et collective, de l’incarnation des deux côtés, de ce que les artistes sur scène


[1] Virginie Despentes, « Rien ne me sépare », conférence lue au Centre Pompidou, 16 octobre 2020.

[2] Sur ce point, lire le précieux ouvrage de Juliet Drouar, Trauma, Stock, octobre 2025.

[3] Sur ce sujet, écouter le débat entre Réjane Sénac et Pierre Vermeren, « Y a-t-il un “obscurantisme woke” à l’université ? », La Matinale, France Inter, 29 avril 2025 et lire Charlotte Bozonnet et Alice Raybaud, « Chasse aux “wokes” : comment les polémiques de ces dernières années ont épuisé les universitaires », Le Monde, 16 septembre 2025.

[4] Anthony Vincent, « Mascare : “Le cabaret est un art qui ne s’enferme pas dans un genre” », Madmoizelle, 28 janvier 2023.

[5] « Tribune “Pour Eschyle” », Le Monde, 11 avril 2019.

[6] Sur ce point, je me permets de renvoyer à l’article « Pour une liberté de création partagée par tous. Sur l’affaire des Suppliantes », AOC, 3 mai 2019 et Maxime Cervulle et Bérénice Hamidi, Les Damné.es de la scène. Penser les controverses théâtrales sur le racisme, Presses Universitaires de Vincennes, 2024.

[7] Collectif Piqûre de Rappel, « Pour un temps sois peu : les personnes trans écartées de la conversation », Mediapart, 21 décembre 2022.

[8] Voir Joseph Confavreux, Zineb Soulaimani, Caroline Châtelet, Vincent Bouquet, « Théâtre : éthique et esthétique du spectacle vivant », L’Esprit Critique, podcast de Mediapart, 28 septembre 2025.

Bérénice Hamidi

Sociologue du théâtre, professeure en études théâtrales à l'Université Lyon 2 et membre de l'Institut Universitaire de France

Notes

[1] Virginie Despentes, « Rien ne me sépare », conférence lue au Centre Pompidou, 16 octobre 2020.

[2] Sur ce point, lire le précieux ouvrage de Juliet Drouar, Trauma, Stock, octobre 2025.

[3] Sur ce sujet, écouter le débat entre Réjane Sénac et Pierre Vermeren, « Y a-t-il un “obscurantisme woke” à l’université ? », La Matinale, France Inter, 29 avril 2025 et lire Charlotte Bozonnet et Alice Raybaud, « Chasse aux “wokes” : comment les polémiques de ces dernières années ont épuisé les universitaires », Le Monde, 16 septembre 2025.

[4] Anthony Vincent, « Mascare : “Le cabaret est un art qui ne s’enferme pas dans un genre” », Madmoizelle, 28 janvier 2023.

[5] « Tribune “Pour Eschyle” », Le Monde, 11 avril 2019.

[6] Sur ce point, je me permets de renvoyer à l’article « Pour une liberté de création partagée par tous. Sur l’affaire des Suppliantes », AOC, 3 mai 2019 et Maxime Cervulle et Bérénice Hamidi, Les Damné.es de la scène. Penser les controverses théâtrales sur le racisme, Presses Universitaires de Vincennes, 2024.

[7] Collectif Piqûre de Rappel, « Pour un temps sois peu : les personnes trans écartées de la conversation », Mediapart, 21 décembre 2022.

[8] Voir Joseph Confavreux, Zineb Soulaimani, Caroline Châtelet, Vincent Bouquet, « Théâtre : éthique et esthétique du spectacle vivant », L’Esprit Critique, podcast de Mediapart, 28 septembre 2025.