Roumain, après tout – sur Dracula de Radu Jude
On sort de Dracula avec une sensation d’épuisement. La première cause en serait la longueur du film : 2h45 marquées par une série de récits enchâssés et d’images affreuses générées par intelligence artificielle. Ce sentiment va de pair avec la volonté très claire de son réalisateur, Radu Jude, d’épuiser son sujet – non seulement Dracula, le vampire, mais aussi le prince Vlad l’Empaleur avec lui l’histoire de la Roumanie de l’Empire Ottoman à nos jours.

Cet épuisement se rapporte même à la propre œuvre de Radu Jude : fin d’un cycle, selon lui, le film condense un répertoire de formes et de comédiens qu’il a déjà faits tourner, à commencer par Ilinca Manolache, héroïne de N’attendez pas trop de la fin du monde, ou Serban Pavlu, présent dans Aferim ! ou Everybody in our family.
Cette dynamique de l’épuisement a ceci de paradoxal qu’elle affronte un plaisir du récit bref, du conte, pour lequel le cinéaste revendique des filiations littéraires : Denis Diderot et François Rabelais. En effet, formes inachevées par excellence, la nouvelle ou l’enchâssement dévoilent une narration en puissance, la possibilité d’un autre récit. C’est le cas pour Radu Jude qui dévie de la commande qu’on lui a passée de tourner un « Dracula » pour faire un film « sur Dracula », c’est-à-dire de ne pas réaliser une énième adaptation du mythe de Bram Stoker mais de rapporter le vampire à ce qu’il est : un objet aux multiples facettes qui synthétise la Roumanie. D’où la surprise de voir que près de la moitié du film est dédiée à des récits tout à fait autres : une romance réaliste-socialiste, remake d’un film de l’ère Ceausescu, un roman horrifique de la Seconde Guerre mondiale et une farce grivoise du XIXe siècle. En ce sens, la mise en scène de Dracula se construit en parallèle d’une abondante littérature, passée sous silence à l’étranger.
Le paradoxe de Dracula est qu’il consiste simultanément en un monde – un chapitre – clos et un univers infini. Plus précisément, cette contradiction
