Les rayons invisibles – sur Au cinéma Central de Fabrice Gabriel
Sous des airs discrets – moins de 150 pages – et dans une collection, « Traits et portraits », dont chacun des titres publiés depuis plus d’une vingtaine d’années affirme un parti-pris passionnant, résolument autobiographique mais selon des couleurs multiples, Au cinéma Central de Fabrice Gabriel, livre tremblant, livre frémissant, livre de l’incertitude et du doute, est un texte important en ce sens que personne ne l’avait jamais vraiment écrit avant lui.

Étrangement, personne ne s’y était risqué, et le mot « risque » aussi chargé qu’il se trouve, n’est pas trop fort car il fallait une bonne dose d’impudeur pour l’entreprendre de manière aussi soutenue et sans se donner le beau rôle, comme on décide de prendre le taureau par les cornes.
Peut-être, en dehors de sa qualité littéraire tout en nuances et apartés, digressions, dérapages, retours en arrière ou embardées, l’émotion entêtante que dégage ce Cinéma Central, le lieu mythique où se projette d’un bout à l’autre le récit, est-il le témoin d’un moment historique qui glisse aujourd’hui vers l’abîme, sans que nous en soyons conscients. Même s’il serait caricatural de l’affirmer ainsi car tout a vite fait d’être plus complexe, ce moment s’est épanoui dans l’après-guerre pour s’étendre des années cinquante jusqu’au terme du siècle qui précède le nôtre. Avec l’effet retard d’une ou deux générations, il fait résonner l’écho d’un âge d’or, ou du moins d’une période enchantée, partagée entre la vitalité d’un art vivant (en même temps, Ford et Hitchcock, Fellini et Antonioni, Godard et Truffaut, etc.) et la constitution rapide d’un patrimoine de référence – l’accès aux œuvres elles-mêmes n’en constituant pas moins un art en soi, un exploit de collectionneur.
En filigrane danse la poussière de lumière venue de la salle du Central ou de l’Éden, puis du Mac-Mahon, du Paris ou du Palais de Chaillot (les marches descendantes en ont été immortalisées par le prologue de Baisers volés). Tous les moyens étaient bons pour