Cinéma

Dans le dos des images – sur Le Cinquième plan de La Jetée de Dominique Cabrera

Critique

La Jetée de Chris Marker est un « film-matrice », écrivait Raymond Bellour, « autour duquel le cinéma chavire sur lui-même pour s’accomplir ». Dans le nouveau documentaire de Dominique Cabrera, La Jetée est la matrice d’une enquête sur un passé familial éparpillé, sur l’importance de la place accordée aux souvenirs dans notre rapport au temps. Un film pourtant léger qui joue avec les images et la mémoire – familiale et cinématographique.

Tout débute sur une reconnaissance troublante, sorte d’arrêt sur image à l’intérieur d’un film lui-même constitué d’images fixes : dans le « cinquième plan » de La Jetée (1962), Jean-Henri croit se voir enfant, accompagné de ses deux parents, sur l’un des clichés en noir et blanc qui constitue le célèbre court-métrage de Chris Marker.

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Plus il y pense, plus les doutes se dissipent : c’est bien lui qui, sur la photo, incarne le héros du film, enfant. Dans l’une des salles de la Cinémathèque française où cette révélation a lieu jusqu’à la jetée de l’aéroport d’Orly, où a été prise la photo en question, passé et présent entrent en conversation, et le temps se met peu à peu en mouvement.

La documentariste Dominique Cabrera part de cette anecdote extraordinaire de son cousin Jean-Henri pour échafauder un film d’investigation visant à revenir sur les traces du film de Marker autant que sur celles de sa famille pied-noir, rapatriée en France l’année même du tournage de La Jetée. Pour les besoins de cette enquête iconologique et généalogique, la cinéaste réunit un à un les membres de sa famille ainsi que différents collaborateurs de Marker pour des entretiens menés à l’intérieur d’une salle de montage. Celle-ci devient l’antichambre des images, permettant d’explorer leur envers lorsqu’elles nous tournent le dos – comme les silhouettes du cousin de Cabrera, de sa tante et de son oncle, qu’il s’agit dans un premier temps d’authentifier.

Par ce dispositif, la cinéaste s’inspire ici d’un autre court-métrage de Marker : 2084 (1984), petit essai d’anticipation qui se déroule dans une salle de montage où une équipe doit réaliser un film sur l’histoire du syndicalisme en France de 1984 à 2084. De la même manière que chez Marker, Cabrera envisage le montage comme un lieu où le temps est une matière à remodeler, à creuser et à investir comme l’on explorerait un réseau de cavités souterraines – plongés dans le noir, là où la lumière ne provient en l’occurrence que des écrans


[1] Ce dont semble avoir tout à fait conscience le film qui, plutôt que de se conclure sur une affirmation ou une certitude, s’achève sur une question ouverte.

Corentin Lê

Critique, Rédacteur en chef adjoint de Critikat

Rayonnages

CultureCinéma

Notes

[1] Ce dont semble avoir tout à fait conscience le film qui, plutôt que de se conclure sur une affirmation ou une certitude, s’achève sur une question ouverte.