Littérature

Voir la mère – sur Simone Émonet de Catherine Millet

Critique

À la lumière de photographies sorties de boîtes en carton, Catherine Millet découvre, sous les traits de sa mère, une femme qu’elle n’a pas connue. Si « le suicide enjoint de se taire », c’est avec le mutisme des archives et les lacunes des souvenirs que s’écrit Simone Émonet, du nom de sa mère défenestrée.

Quel que soit son sujet (le sexe, la jalousie, l’enfance), Catherine Millet l’aborde à travers un mélange singulier de précision et de pudeur ; au travers d’une méticulosité mise à choisir des mots qui approfondissent autant qu’ils mettent à distance les événements de sa vie. Ceux-ci, aussi brutaux soient-ils, nous laissent parfois l’impression qu’ils adviennent comme dans un rêve, dans cet état de flux légèrement évanescent où ce qui arrive arrive, se fond dans la continuité de l’existence sans la déchirer – ou peut-être, seulement dans celle de l’écriture.

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Sa prose autobiographique laisse une sensation double, mélange de neutralité documentaire et d’engagement intime. Ses longues phrases fluides, son ton légèrement flegmatique, sont une élégance ; une manière d’amortir par la phrase, les chocs de l’existence ; celui, dans ce nouveau roman, du suicide de sa mère, Simone Émonet.

Tout commence (et finit parfois) dans des boîtes en carton. Des boîtes Kodak, remplies de photographies, dans lesquelles l’auteur puise la matière de son récit : clichés souvent posés, parfois pris sur le vif, fragments du portrait maternel qui commencent leur « travail de termite ». La technique appuie la mémoire (pourrait-on encore le dire, ou bien le pullulement des photos scrollées l’a-t-elle simplement remplacée ?) Il ne s’agit pas d’une « béate contemplation » des images nous avertit l’auteur, plutôt de descendre dans le hors champ, d’avancer parmi les manques, de tourner autour de cette figure fuyante au sourire mutin, impassible et mystérieuse, parfois légèrement ironique, qui aurait presque quelque chose d’une Joconde, pour son amusement énigmatique et l’infini des interprétations qu’elle relance ; c’est ce « battement hypnotique de l’image » écrit Catherine Millet, cette inépuisable recherche que déclenche un regard insondable, qui guide ici l’écriture.

L’auteur découvre une femme qu’elle n’a pas connue : sourire espiègle, affichant son rayonnement lors de vacances en Ita


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