Cinéma

De la diffraction – sur La Voix de Hind Rajab de Kaouther Ben Hania

Critique

Hind Rajad, 7 ans, est tuée le 29 janvier par Tsahal alors qu’elle tente de fuir le sud de la ville de Gaza avec sa famille et qu’elle est en ligne avec le Croissant-Rouge depuis des heures. Cet appel est le point de départ du film, entre documentaire et fiction, qui pose l’enjeu crucial de la manière de raconter le génocide – sans pour autant donner l’illusion qu’il peut retisser le lien brisé avec la fillette dans sa voiture-tombeau.

Les faits, pour commencer. Le 29 janvier 2024, dans le contexte de l’invasion israélienne de la bande de Gaza post 7-Octobre, une fillette palestinienne de six ans, Hind Rajab, est tuée par Tsahal alors qu’elle tente de fuir avec sa famille le quartier de Tel al-Hawa au sud de la ville de Gaza. Coincée dans une voiture et entourée par les cadavres de ses proches, Hind appelle le Croissant-Rouge palestinien et reste en ligne pendant plusieurs heures avant de périr à son tour une fois l’ambulance de secours arrivée sur les lieux. Comme elle, les deux secouristes sur place sont tués par l’armée israélienne. La conversation téléphonique avec Hind a été enregistrée et partagée partiellement sur Internet.

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Le film, ensuite. Dans La Voix de Hind Rajab, Kaouther Ben Hania élabore une fiction à partir du document sonore du Croissant-Rouge palestinien, directement remployé. Des acteurs et des actrices répondent par conséquent à la voix véritable de la fillette, dans un dispositif d’une hybridité souvent déroutante, mais revendiquée. Dès le départ, un carton décrit le récit qui va suivre comme la « dramatisation » (sic) d’une situation ayant réellement eu lieu, à la manière d’un reenactment proche de celui qui caractérisait déjà Les Filles d’Olfa (2023), où la cinéaste faisait en partie rejouer à une famille tunisienne les mois ayant précédé la radicalisation et l’engagement sacrificiel de deux sœurs parties rejoindre l’armée de Daech en Libye.

Il va sans dire qu’un tel dispositif est sur le papier « problématique ». Le film est le lieu d’une collusion directe entre l’archive et le (re)jeu théâtral, entre un fragment sonore de réel et la fiction qui s’étend tout autour et à partir de celui-ci. Regarder des comédiens fondre en larmes au moment d’entendre la détresse de la petite Hind a quelque chose de profondément dérangeant, à tout le moins d’étrange, et l’on aurait vite fait de condamner par principe le film de Ben Hania. On ne se « sert » pas comme ça du réel ; on


Corentin Lê

Critique, Rédacteur en chef adjoint de Critikat

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