Littérature

André Markowicz : « Il se trouve que je passe ma vie à traduire »

Etudiante en philosophie contemporaine

En 2002, après une décennie de travail, André Markowicz achevait la traduction des œuvres complètes de Dostoïevksi. Il n’a, depuis, cessé de défendre une vision de la traduction comme interprétation, une lecture personnelle des textes. À l’occasion de la publication d’un livre dont il est cette fois l’auteur, un long poème autobiographique, L’Appartement, il revient sur son travail, sa perception des mouvements identitaires, ou encore sur les chroniques qu’il publie régulièrement sur Facebook.

Dans un long poème en décasyllabes paru en mars dernier, L’Appartement, André Markowicz évoque pêle-mêle son travail, ses souvenirs d’enfance, le long combat juridique mené aux côtés de sa compagne Françoise Morvan après qu’elle fut attaquée pour la publication d’un livre sur le nationalisme breton, et bien sûr l’attachement à son appartement familial de Saint-Pétersbourg. Son travail, c’est celui d’un traducteur reconnu et passionné, qui a achevé en une décennie la traduction intégrale des œuvres de Dostoïevski, qui a traduit Tchekhov, Gogol, Shakespeare, mais aussi des poèmes chinois.

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À partir de l’appartement de votre grand-mère, vous évoquez, dans un long poème, comme dans un souffle, des souvenirs d’enfance, votre mère et vos grands-mères, votre travail de traducteur, un procès énergivore comme une maladie…  Pourquoi le choix de cette forme et de cette versification pour écrire sur votre vie ?
Ce vers est en lui-même une image du texte. C’est un décasyllabe, très ancien vers français, mais c’est un décasyllabe spécial, parce qu’il est « blanc » (c’est-à-dire qu’il ne rime pas) et qu’il est compté non seulement sur le nombre de syllabes mais aussi, avec, en plus, des variations, sur le modèle du vers anglais, allemand et russe qu’on appelle le «pentamètre iambique ». Et ce pentamètre iambique, qui est le vers de Shakespeare, ou bien celui du théâtre romantique allemand, ou le vers du Boris Godounov, n’existe pas dans la tradition française – même si j’ai traduit Shakespeare et Pouchkine en le respectant. Et donc, il est entre deux traditions, entre deux cultures, il est et il n’est pas. Il est entre les deux, entre deux rives, en quelque sorte.

Vous évoquez la barrière de la langue à plusieurs reprises. Celle que vous avez ressentie face à votre mère russe, lorsque vous faisiez une erreur en lui parlant dans sa langue ; ou celle ressentie lorsqu’on a pu vous complimenter sur votre russe. Quelle place donnez-vous à cette barrière, et peut-être à la volonté de la franchir, dans votre vocation de traducteur ?
C’est une question que vous pourriez poser à mon psychanalyste (que je n’ai pas— et qui, de toute façon, serait tenu par le secret professionnel). Je dis juste qu’elle existe, et il se trouve que je passe ma vie à traduire.

Comment travaillez-vous et procédez-vous lorsque que vous abordez un texte ?
Je travaille. Comment je procède ? Je ne relis jamais le texte que je traduis. Je fais en sorte de le découvrir. Ensuite, j’essaie de le lire et de l’entendre – de saisir quelque chose qui serait comme une intonation de départ, ou une bizarrerie, ou, je ne sais pas, un signe particulier qui fait que, dans une espèce de brouillard que Dieu me garde d’éclaircir, j’essaie peu à peu d’entendre une voix… Bon, et avec ça, je travaille tous les jours, traduisant un nombre de signes ou de vers fixe, jamais davantage, et jamais moins. Et quand j’ai atteint le nombre de signes fixé, même si c’est au milieu d’une phrase, je m’arrête. Et je recommence le lendemain.

Le 6 avril dernier, vous avez publié votre millième chronique sur Facebook depuis juin 2013. Vous partagiez ainsi tous les deux jours, depuis 5 ans, des traductions de poèmes, des nouvelles personnelles et intimes, des commentaires politiques, ou encore des plaisanteries. Est-ce que vous donnez la même valeur à tous les textes, quelle qu’en soit la forme ou le support ?
Les « plaisanteries » que je publie sont des blagues juives, genre littéraire majeur pour moi, pour deux raisons. D’abord, pour la profondeur de la philosophie qui s’en dégage, et puis à cause du défi stylistique qu’elles représentent : comment traduire dans un écrit français l’accent oral d’un juif ashkénaze (je dis ashkénaze parce que je suis ashkénaze, et que l’humour séfarade m’est totalement étranger). Mais, pour répondre à votre question : bien sûr que toutes les chroniques n’ont pas la même importance. Et pourtant, j’ai l’impression, ou l’espoir, ou la vaine vanité, de penser que chacune participe à une entreprise qui n’est pas de l’ordre du journal (intime ou non), mais qui est, justement, littéraire : il s’agit d’une espèce d’entreprise épique, si vous voulez. Bon, d’une épopée sans grande figure héroïque, mais quand même, disons, tout simplement, une entreprise de longue haleine dans la recherche d’une forme…

Vous montrez par ces publications que l’outil Facebook permet de produire et diffuser des contenus différents des usages habituels. Qu’est-ce qu’a signifié pour vous cette activité pendant ces dernières années ? Qu’y avez-vous trouvé ?
Sur Facebook, j’ai trouvé une espèce de lieu-sans-lieu qui me permettait, soudain, de ne plus me saucissonner en catégories préétablies : traducteur, poète, intellectuel, fils juif, etc., etc. Soudain, j’étais… ensemble. Je pouvais décider de la façon dont j’écrivais, et j’ai essayé, à chaque fois, d’explorer le genre qui m’intéresse le plus, celui de l’écrit parlé, ou du parlé écrit, celui des variations de la voix. Ensuite, ce que ça a signifié pour moi…. Pendant près de cinq ans, tous les deux jours, j’ai publié quelque chose – et toujours avec le même intérêt, le même désir. C’était aussi un exercice de rigueur et de constance, malgré tous les malgré. Et je pense que j’y ai trouvé d’une écoute dans des milieux que je n’aurais jamais touchés. Le fait, par exemple, qu’outre les amis écrivains et intellectuels que j’ai – je veux dire les gens qui, d’une façon ou d’une autre, sont naturellement des gens de mon milieu – j’entendais notre fromager ou une amie caissière aux Nouvelles Galeries commenter mes chroniques, ça, je pense que c’est quelque chose que m’a permis Facebook.

Quelle relation entretenez-vous avec la communauté de vos lecteurs sur Facebook ?
À force, sans, pour la plupart, les avoir jamais rencontrés, il y a beaucoup de gens que je suis ; des gens, pour le coup, dont je découvre la vie, ou les intérêts, ou les lectures. Des gens qui, oui, m’accompagnent. Mais, Dieu soit loué (j’invoque souvent Dieu pour un athée), il n’y a pas de « communauté » de lecteurs, ni sur Facebook, ni ailleurs. Il y a des lecteurs et des lectrices, c’est-à-dire des êtres humains, normaux, et tous complètement différents.

La poésie n’est évidemment pas que dans vos publications Facebook : on croise dans votre livre Anna Akhmatova, Alexandre Pouchkine, Vladislav Khodassévitch… les poètes ont-ils encore la place qu’ils méritent dans la littérature ? Est-ce différent en France et en Russie ?
Dites, personne ne mérite rien. Les poètes pas plus que les réparateurs de vélos. Ce que je peux dire, – et dire que je le regrette signifierait que je sortirais dans la rue avec une pancarte pour protester contre la pluie à chaque fois qu’il pleut – c’est que, dès que les gens voient le mot « poésie », ils baissent la tête et cherchent des romans comme tout le monde, avec une histoire et des personnes et des problèmes de société posés avec des phrases au passé simple. Les gens se font une montagne pour pas grand-chose. À chaque fois que j’ai travaillé avec des stagiaires, jeunes ou vieux, sur tel ou tel poème, c’était des rencontres très fortes. En Russie, au XXe siècle, à cause de la dictature sanglante qui a ravagé le pays, la poésie s’est trouvée porteuse d’une des seules formes de la résistance morale encore possibles – fût-ce au prix de la vie. Oui, la poésie avait une grande, grande importance, et, contrairement à la France, elle n’a jamais été une pure question de langue, mais une question de vie ou de mort. Mais… ça, c’est une calamité. Regretter la grandeur de la poésie en Russie en oubliant la terreur stalinienne, c’est, pardonnez-moi, le luxe d’un intellectuel français.

Vous expliquez l’interruption de votre chronique par vos nombreux projets à venir : au théâtre, la création d’un site, et puis également par la lassitude éprouvée face à l’obligation et même l’addiction de publier tous les deux jours. Pourquoi cette interruption intervient-elle maintenant ? À quoi aspirez-vous aujourd’hui ?
Je l’explique parce que je suis arrivé, comme je l’ai dit, à mille chroniques, et que j’aime bien les chiffres ronds. Et qu’à un moment, il faut passer à autre chose – même si je continuerai de publier des choses sur Facebook, mais pas avec la même régularité. Et à quoi j’aspire ? Mais, comme je l’ai dit, j’aspire à aspirer. Et c’est déjà un programme de vie, et un luxe incroyable. Passer, non plus seulement des textes, mais aussi, bien plus souvent, mon aspirateur. Ce n’est pas un programme, ça ? Et donc, je n’ai pas arrêté entièrement mes chroniques : je les espace.

Vous évoquez, dans L’Appartement, les réformes économiques et sociales de la Perestroïka, de la chute de l’URSS puis de l’émergence de la Russie post-soviétique et sa transition vers l’économie de marché. Quel regard portez-vous désormais sur la Russie, après la réélection de Poutine en mars ?
Je porte un regard sombre. Mais, vous savez, la différence entre un optimiste et un pessimiste est que le pessimiste pense toujours que ça pourrait être mieux, mais que ce n’est pas mieux, alors que l’optimiste, lui, est totalement persuadé que tout va aller au pire du pire – et, du coup, jusqu’au moment de sa mort, il n’a que de bonnes surprises, puisque, même si tout va vraiment très très mal, il le sait bien : ça peut être bien pire encore. Et donc, je suis un optimiste incorrigible.

On justifie souvent le succès de Poutine par sa volonté de redonner sa grandeur à une Russie qui s’est sentie humiliée. Partagez-vous cette analyse ?
Poutine a joué sur la fibre nationale, et, surtout, d’une façon ou d’une autre, même en raflant une grande partie de la richesse nationale pour lui et pour ses sbires, il a amélioré le niveau de vie moyen. Il est, en quelque sorte, revenu à l’équation soviétique qui arrangeait beaucoup de gens. Chacun avait de quoi vivre, et, si on ne faisait pas de politique, si l’on savait tranquillement fermer les yeux autour de soi, s’il l’on n’était pas Juif (et, quand même, beaucoup de gens sont atteints de cette maladie congénitale, de ne pas être Juifs), ma foi, on vivait tranquillement. Et puis, il y avait la puissance de l’URSS, totalement factice, mais qui impressionnait. C’est la même chose aujourd’hui – avec des différences notables, qui sont l’appel à une identité « russe » et à l’orthodoxie. C’est-à-dire que Poutine a fait se rejoindre l’URSS et l’Empire de Nicolas Ier. Une dernière chose : il y a, – depuis très longtemps – un sentiment national en Russie, appelons ça un « patriotisme ». Il s’exprime d’une manière paroxystique pendant les grandes crises, les grandes guerres, l’invasion de Napoléon, l’invasion hitlérienne. Il me semble que le « poutinisme » joue sur ce sentiment en temps de paix, et c’est en cela qu’il est pervers et porteur de graves menaces. Le mythe de la forteresse assiégée permet d’évacuer tous les problèmes de la vie quotidienne.

Dans vos écrits, vous mettez en perspective le nationalisme russe avec un autre nationalisme, le nationalisme breton, que votre compagne Françoise Morvan a étudié. Y a-t-il pour vous des constantes qui se dégagent, d’un nationalisme à un autre ? Quels points communs peut-on tisser entre ces mouvements à priori culturellement, historiquement, socialement très distincts ? Quel besoin vous pousse à comparer ces deux mouvements ?
Françoise, bretonne de naissance, passionnée par la culture de Bretagne, en écrivant sa thèse sur un folkloriste du XIXe siècle dont la majeure partie de l’œuvre était restée inédite, s’est trouvée aux prises avec les nationalistes bretons, à cause… de l’orthographe du breton. Mise en demeure par son directeur de thèse de réécrire des carnets anciens (dialectaux) en orthographe « nationale » (mise en place, en fait, pendant la dernière guerre parce qu’il fallait une « nation » parlant une langue unique pour proclamer une indépendance), et refusant, elle s’est trouvée devoir répondre à des accusations en justice – et a gagné ses procès. Il faut lire Le Monde comme si qu’elle a publié chez Actes Sud. En partant de cette querelle d’orthographe, qu’on pourrait croire stupide, elle a démêlé l’écheveau, et refait l’histoire du nationalisme breton, en le situant, à l’évidence, dans la perspective des autres nationalismes. En fait, il s’agit toujours de la même base : le même fantasme identitaire, celui d’une origine proclamée comme ancienne et pure, et, généralement bafouée par des étrangers (à la province ou au pays). Et, à chaque fois, le fantasme identitaire vient évacuer la question sociale. L’identité permet de fédérer, dispense de penser – elle est d’ailleurs pour ça. Ce qui est frappant est justement le caractère universel et uniforme de tous les nationalismes, et, cela, qu’ils soient au pouvoir ou non.

Vous évoquez dans votre livre l’antisémitisme prégnant et institutionnalisé en Russie, avec à l’époque soviétique la mention de la religion juive sur les passeports. Vous racontez aussi votre rencontre avec une famille russe dont le fils, sioniste, veut partir en Israël. En quoi cette histoire particulière vous a marquée personnellement ? Alors qu’on célèbre cette année les 70 ans de la création d’Israël, que retenez-vous de l’évolution du projet sioniste ?
Je viens de faire paraître une chronique, pas gaie, sur la situation d’Israël après 70 ans d’existence. Je considère que ce qui se passe là-bas est scandaleux, et, là encore, le débat identitaire y tient lieu de pensée. L’identité, ça ne rend pas que con. Ça permet de tuer quand les circonstances s’y prêtent.

Vous avez également traduit un écrivain antisémite, Dostoïevksi. Cela a-t-il constitué une difficulté particulière dans votre travail ? On a vu les polémiques récentes à propos de la publication des pamphlets de Céline, comment contourner l’alternative habituelle entre l’homme et l’écrivain ?
Je n’ai jamais voulu traduire les essais et les lettres de Dostoïevski, justement pour cette raison. Les thèses de Dostoïevski journaliste sont reprises, naturellement, dans les romans, mais elles ne sont jamais reprises objectivement, elles sont toujours mises en perspective, d’une façon étonnante, parfois.  J’ai parlé, souvent, par exemple, d’un passage dans Les Frères Karamazov où Lisa, qui n’arrête pas de tenter Aliocha, de se moquer de lui, de le mettre à l’épreuve, lui demande si c’est vrai que les Juifs coupent les doigts des enfants à Pâques, et qu’ils laissent tranquillement le sang couler… Et Aliocha dit « je ne sais pas ». S’il avait été un homme juste, il aurait dû dire, « non, ce n’est pas vrai ». Il dit « je ne sais pas ». Mais Aliocha est-il un homme juste — même s’il semble représenté comme tel ? Ne succombe-t-il pas à toutes les tentations qu’on lui présente, tout au long du roman ? Et quand Zossime lui dit « où est ton frère ? » – il trouve son frère, mais pas Dmitri (le privant ainsi d’alibi, il trouve Ivan, qui lui raconte la tentation du Christ au désert dans le « Poème du Grand Inquisiteur ». Bref, je pourrais en parler pendant des heures – non. Les romans de Dostoïevski se dressent contre le racisme de leur auteur, par leurs images secrètes.

Pour Céline : c’est peut-être terrible à dire, mais le seul livre de Céline que j’ai aimé, que j’ai vraiment été capable de lire, c’est Casse-pipe. Faut-il publier ses pamphlets ? Une édition de Mein Kampf est bien en cours en ce moment : une édition critique, impitoyable. Et mon ami Olivier Mannoni, qui a traduit le texte d’Hitler, m’a dit à quel point ç’avait été une expérience effroyable de le traduire. Je suis pour la publication des pamphlets de Céline, avec des notes aussi objectives et sérieuses que celles de la future édition de Mein Kampf. Il faut qu’on comprenne à quel point Céline a été, totalement, irrémédiablement, en tant qu’écrivain, non seulement un fumier, mais un profiteur et un assassin.

Outre votre travail de traduction du russe et de l’anglais, vous avez aussi publié Ombres de Chine, un recueil de poèmes chinois, sans parler chinois. Vous évoquez souvent la traduction comme une interprétation. Qu’entendez-vous par là ?
On ne traduit pas d’une langue – du moins en littérature. On traduit un auteur, un livre. Dire qu’on est traducteur « du russe », de « l’anglais », ou du « javanais occidental », c’est réduire la traduction littérature à un exercice de version de lycée. C’est juste crétin. Traduire, c’est lire concrètement : lire la voix, lire la structure, lire les images, lire. Lire – et dire ce que vous avez lu dans votre langue à vous. Mais que veut dire « lire », sinon interpréter, c’est-à-dire exprimer sa lecture ?

Faut-il éduquer à la traduction ? À quoi cela pourrait-il ressembler ?
Bien sûr qu’il faut. Mais il existe de nombreuses facultés qui s’en occupent. Et, récemment, à l’initiative d’Olivier Mannoni, le CNL et l’Asfored ont mis en place une école, réservée aux jeunes traducteurs professionnels, l’ETL (École de Traduction Littéraire) qui propose un cursus de trois ans à des traducteurs recrutés sur dossier. Au cours de leur « scolarité », ces traducteurs sont amenés à rencontrer leurs collègues plus expérimentés, qui partagent avec eux leur(s) expérience(s). Je participe à chacune de ces sessions. Et j’en suis très heureux.

Pourriez-vous partager un vers ou une ligne du dernier texte que vous avez traduit, et nous le raconter ?
Il s’agit d’un des derniers poèmes de Pouchkine, qui est une adapatation/transformation d’un livre mystique anglais, The Pilgrim’s Progress de John Bunyan… En voici le début :

 

                        L’ERRANT

Comme j’errais au fond d’une vallée ombreuse,

Je fus soudain saisi par une angoisse affreuse,

Écrasé, recourbé sous un fardeau pesant

Ainsi qu’un condamné pour un crime de sang.

Je me tordais les mains et je baissais la tête,

J’épanchais les sanglots de mon âme inquiète,

Répétant à l’envi, pris de fièvre et d’effroi :

« Que dois-je faire, hélas ? Qu’adviendra-t-il de moi ? »

 

II

Je retrouvai les miens, dans un trouble terrible,

Mais mon accablement fut incompréhensible.

Je voulais devant eux rester calme et discret

Et garder ma douleur dans son gouffre secret

Mais le deuil grandissait, brûlait de froides flammes

Et malgré mes efforts, je leur ouvris mon âme :

 

« Ma femme et mes enfants, malheur à nous, malheur !

Leur dis-je, comprenez : l’angoisse et la douleur

M’ont saisi. Un fardeau, comme une lourde roche,

Me pèse. Gare à nous ! Le temps, le temps est proche.

Notre ville est vouée aux vents et aux brasiers ;

Cendres et charbons noirs, tels seront nos foyers

Et nous périrons tous sous un nouveau déluge

Si nous ne fuyons pas, — mais où trouver refuge ? »

 

 

André Markowicz, L’Appartement, Éditions Inculte, 2018.

 


Florence Loève

Etudiante en philosophie contemporaine, HEC et ENS

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