Priscillia Ludosky : « Créer un groupe Gilets Jaunes Facebook, c’est créer une petite entreprise politique virtuelle »
Dans le cadre de mes activités et thématiques de recherche, j’ai réalisé un entretien avec Priscillia Ludosky, la cofondatrice du mouvement des Gilets jaunes, à l’origine de la pétition contre la taxe carbone diffusée à l’été 2018, devenue ancienne co-administratrice du plus grand groupe Facebook Gilets Jaunes « La France en colère !!! » qui a réuni plus de 288 000 français fin octobre 2018. Depuis, elle a lancé plusieurs initiatives pour participer à la construction politique du mouvement. Cet entretien a porté essentiellement sur son expérience politique de la plateforme Facebook et sur les raisons technologiques de son ascension politique liée aux mécanismes d’usage de la célèbre plateforme. Elle explique en négatif que l’expérience techno-politique des Gilets Jaunes sur Facebook révèle une crise de la démocratie institutionnelle, de ses voies et supports d’expression. Facebook viendrait notamment combler un manque de l’expression politique auprès des catégories sociales populaires. IG
Votre aventure avec les Gilets Jaunes a commencé à propos de la taxe carbone, contre laquelle vous avez lancé une pétition sur Internet pour demander son retrait. Pourquoi avez-vous choisi Facebook pour exprimer et communiquer votre désaccord ?
Facebook est l’une des plateformes les plus utilisées pour communiquer. Il nous procure un accès rapide à notre entourage et leurs proches pour communiquer. Avant Facebook, j’avais utilisé la plateforme change.org. C’était un choix spontané car je recevais beaucoup de mails qui m’invitaient à signer des pétitions. Comme j’ai un compte Facebook, c’est naturellement que je l’ai utilisé afin de relayer ma pétition. J’aurais pu le faire sur la plateforme de change.org, mais elle n’offre pas de fonctionnalités permettant d’échanger avec les signataires de la pétition. Dans un cas comme dans l’autre, nous perdons quelque chose, car le public qui est sur Facebook n’est pas forcément celui qui a signé la pétition, et avec celui de change.org on ne peut pas échanger avec les signataires. Je me suis donc interrogée pour savoir à quelle étape j’en étais de ma contestation avant de décider si oui ou non j’allais créer une page ou un groupe exclusivement dédié à la pétition. Finalement je ne l’ai pas fait. Y a t-il la nécessité de créer une page ? Comment ? Qui s’en occupera ? Qui va la lire ? Nous n’imaginons pas au départ le temps passé à s’occuper d’une page Facebook. Et nous pouvons être vite dépassés si celle-ci a du succès. Ce n’était pas une chose à laquelle j’étais préparée.
Facebook offrait-il aussi un aspect ludique par rapport à d’autres plateformes. Comment avez-vous réfléchi cette dimension dans vos choix ?
La manière dont la plateforme Facebook est créée est assez intuitive, facile et rapide d’usage. En deux, trois clics on peut créer un groupe. Nous avons donc construit facilement une communauté. La fonction première de Facebook, ce n’est pas de faire de la politique ou du business, mais ça le devient facilement, car on peut facilement en avoir un usage détourné. Que l’on ouvre une boutique ou que l’on décide de mener une campagne électorale, on peut commencer à le faire via Facebook car il existe aujourd’hui sur la plateforme des fonctionnalités supplémentaires qui répondent à ce type de besoin. Le problème c’est que nous ne nous rendons pas compte des responsabilités qui vont avec ce design fluide, facile et ludique. Le design de Facebook occulte le sens de la responsabilité.
Le travail d’administrateur sur Facebook demande beaucoup de travail. Diriez-vous que c’est un métier ?
Oui, car en réalité créer un groupe Gilets Jaunes Facebook, c’est créer une petite entreprise politique virtuelle. On ne s’en rend pas compte parce qu’au départ on crée souvent cela entre amis, en confiance dans un univers simple, où l’on se sent à l’aise. Mais ça devient un métier, une deuxième vie. Cette tâche est d’autant plus compliquée lorsque vous créez un groupe avec des inconnus sans avoir défini préalablement les objectifs du groupe et les rôles de chacun dans cette structure virtuelle. Si l’on est administrateur, c’est en effet toute une administration qu’il faut mettre en place pour diriger une équipe qui travaillera autour de soi et avec soi. Et si l’on est modérateur, il faut apprendre à travailler avec les administrateurs et autres modérateurs ; ce qui demande beaucoup de disponibilité. C’est du travail, c’est beaucoup de travail. Et encore une fois, c’est un travail dont on ne mesure pas du tout l’étendue au départ.
Quel est le travail d’administrateur sur Facebook ? En quoi consiste-t-il ?
Soit l’administrateur est un gérant qui surveille de loin l’activité de son groupe. Soit il peut s’impliquer très activement. Au départ, je crois qu’il ne serait pas exagéré d’avoir des fiches de poste pour attribuer et définir préalablement des rôles à chacun des co-administrateurs et co-modérateurs. Sinon, on peut voir régulièrement des conflits éclater qui résultent de cette indétermination des rôles. L’administrateur peut être celui qui rédige le règlement de la page du groupe, qui peut devoir créer son équipe de modérateurs, de modératrices, et qui peut ensuite affecter un rôle à chacun. Moi, je préfère faire simplement de la communication en faisant du partage d’information. Mais encore, quel type d’information ? Il y a beaucoup de paramètres à prendre en compte. On ne s’en rend pas compte, je pense. C’est là où il serait nécessaire d’avoir des outils de gestion proposés par Facebook.
La modération est un gros travail. Comment gérez-vous cela entre modérateurs ?
Dans le contexte du mouvement des Gilets Jaunes, il y a une tension car d’un côté le mouvement défend la démocratie, et de l’autre il utilise un système très pyramidal comme Facebook pour se réunir. Donc l’outil est en contradiction avec nos principes. Pour résoudre ces tensions ou régler d’autres problèmes, nous créons un groupe sur Messenger dédié aux modérateurs pour discuter et régler les problèmes posés comme certains posts qui font polémique. Nous discutons sans cesse toute la journée des publications et des résolutions à adopter pour les modérer ensemble. C’est une manière encore détournée d’utiliser Facebook et Messenger. Je ne connais aucune plateforme qui permette de faire cela plus facilement.
Donc la croyance qui consiste à valoriser Facebook au nom de l’horizontalité absolue qui y régnerait est une idée reçue, car toute une administration se décline avec des co-administrateurs, des co-modérateurs, etc.
Tout à fait. C’est déjà hiérarchisé. Cependant, il n’y a pas d’obligation d’avoir des modérateurs. On peut tout à fait décider de créer son groupe seul et de le gérer seul. D’autre part, en adhérant à un groupe et en « likant » une page, nous participons implicitement à un système d’organisation déterminée par les algorithmes qui régissent Facebook.
Comment avez-vous réussi à vous imposer comme l’administratrice du plus grand groupe Facebook des Gilets Jaunes ? Comment avez-vous pu accéder à cette fonction politique ?
J’étais co-administratrice des deux plus grands groupes Facebook Gilets Jaunes. Je n’avais pas particulièrement envie d’avoir cette responsabilité. Et je n’avais d’ailleurs pas créé moi-même de groupe initialement. En co-administration c’est beaucoup de travail, car nous n’avons pas conscience des échanges qu’il faut nourrir avec les adhérents. De plus, toutes les informations postées ne parviennent pas aux adhérents. Ainsi, on est amené à communiquer, reconduire et répéter constamment les mêmes informations, mais aussi à faire des rappels du règlement, qui n’est pas toujours respecté. Je compare cette activité à une petite entreprise, car il faudrait avoir en plus des modérateurs, une équipe de communication. Une sorte de « Service Après-Vente » qui puisse permettre de fluidifier l’information et d’informer correctement les gens.
Comment se sont articulées vos relations entre la communication sans Facebook et la communication à distance par Facebook ?
Tout s’est exclusivement fait à distance sur Facebook au départ. Puis après, pour une grande majorité des gens, c’est sur le terrain que l’on apprit à se connaître. Ce qui a fluidifié les rapports lorsque nous communiquions ensuite sur la plateforme. Cela a permis d’instaurer un peu plus de confiance. Les rencontres en présentiel ont humanisé les rapports et cela a permis progressivement de tisser un lien qui permettait de travailler plus sereinement. Cependant, certains modérateurs font le choix de rester dans l’anonymat. Ou alors c’est simplement la distance trop longue qui contraint les rencontres en présentiel. Tout de suite quand vous êtes dans l’administration et la modération d’un groupe Facebook, que vous le vouliez ou non, il faut que vous fassiez confiance aux personnes que vous avez nommé administrateurs ou que vous avez nommé modérateurs, même si ce sont des personnes que vous ne connaissez pas. Au départ, vous ne savez pas à qui vous avez à faire. Donc vous pouvez être amené à travailler avec des personnes que vous ne connaissez pas. Vous pouvez aussi créer des groupes avec des amis ou des membres de votre famille, mais ce n’est pas forcément le cas. Après, à vous de rencontrer vos collègues modérateurs pour éviter de travailler ensemble sans vous connaître.
J’ai été étonné par la forte fréquence de vos posts sur Facebook l’hiver dernier. Ne craignez-vous pas que l’attention de vos membres soit saturée ? Pensez-vous que le travail d’administrateur ou de modérateur consiste aussi à capter et à conserver l’attention des membres de son groupe ?
Non, car mon profil personnel n’a pas vocation à respecter une ligne éditoriale ou une charte comme ça peut-être le cas pour une page ou un groupe. Les personnes abonnées à mon profil ne s’attendent pas être informées spécifiquement d’une manière ou d’une autre ou sur un sujet ou un autre. Ils suivent simplement mes actualités, et les infos que je partage. Se désabonner est toujours possible si le contenu ne plait pas ou s’il est trop fourni. C’est vraiment un choix que de décider de s’abonner au profil Facebook d’une personne.Pour ce qui concerne les groupes par exemple, au sein du mouvement des Gilets Jaunes, l’idée n’est pas exclusivement de capter l’attention des membres mais surtout d’informer sur les actions de terrain. Puis des outils de consultation, tel que le sondage, ont commencé à émerger, puis des débats en ligne, puis sont postées régulièrement des informations en lien avec le mouvement en général. Je ne pense pas qu’il y ait saturation. Au contraire, les membres en demandent toujours plus. Beaucoup d’entre eux disent ne pas avoir vu passer telle ou telle info alors qu’il se peut que cette info ait déjà été postée de diverses manières pendant plusieurs heures !
Qu’entendez-vous par « dérive » ? Et quels critères de modération avez-vous mis en œuvre pour les contenir ?
La réponse dépend de la personne qui crée le groupe car celle-ci a la possibilité de créer ses propres règles, qui sont déjà prédéfinies par Facebook. Facebook vous en propose quelques-unes, mais vous pouvez en rajouter. Vous pouvez dès le départ, ou au long de votre parcours, faire de votre groupe un outil informatif ou participatif en fonction des paramétrages que vous aurez configuré. Vous avez aussi la possibilité de bloquer toutes les publications pour être seule à publier. Vous avez aussi la possibilité de faire en sorte que les gens publient librement et éventuellement après vous supprimez ce que vous considèrez ne pas être conforme à votre ligne éditoriale. Vous êtes un peu comme un nouveau petit média. Car vous prévoyez de faire de la diffusion d’information et vous devez réfléchir préalablement à une ligne éditoriale avec des règles de publication et de modération pour savoir où vous allez. Ce ne sont pas des choses qui sont figées, car en pratique et sur la durée, vous serez amenés à réajuster ces règles qui peuvent soit être trop restrictives, soit pas assez.
Pouvez-vous nous donner un exemple ?
Par exemple, si vous décidez de laisser toutes les publications libres au nom de la liberté d’expression, et que tout d’un coup, vous avez quinze hommes qui ont décidés de faire du lobbying et de ne parler que d’une seule voix politique, vous ne pouvez pas laisser faire cela si au départ vous vouliez juste informer. Au final vous vous retrouvez avec un groupe de personnes qui utilisent votre médiatisation pour pouvoir faire du lobbying ou du prosélytisme, ou de la promotion d’un projet ou quoi que ce soit. Donc là tout d’un coup vous revenez en arrière et vous vous dites que vous allez ajouter cette règle qui consiste à dire : « on ne diffuse pas ceci ou cela ». Et si ça ne marche pas, vous bloquez les publications pré-publiées. Ainsi, votre équipe de modérateur valide les publications en fonction de la charte et des règles. Cela suppose que vous avez constitué une bonne équipe de modérateurs pour stopper toutes ces dérives.
Vous m’avez dit une fois que « Les Gilets Jaunes font travailler Facebook ». Et vous aviez émis l’hypothèse que « Facebook s’intéresse beaucoup à [vous], et en [vous] observant, ils travaillent à leurs plateformes, à leurs designs ». Avez-vous à présent des informations qui confirment cette hypothèse ?
Non, je n’ai pas de données. J’observe l’évolution des fonctionnalités de Facebook, à partir de l’usage détourné que nous en faisons. Et je constate qu’il y a des fonctionnalités qui s’ajoutent en fonction de notre usage. Je regrettais plus haut qu’il n’y ait pas de lien entre pétition et communication sur Facebook. Peut-être que Facebook va faciliter cette possibilité en créant la possibilité de créer une pétition sur Facebook, car aujourd’hui, cela n’existe pas. Je pense qu’il est tout à fait intéressant pour eux d’observer ce qui se passe en ce moment, et j’imagine que des fonctionnalités derrière suivront en conséquence de ce qui se passe actuellement. Il y a cependant un aspect très négatif concernant Facebook, à savoir qu’eux-mêmes font beaucoup de modération au niveau de l’information qui circule sur leur plateforme. Ainsi, parfois, ils censurent sans que l’on sache pourquoi. Là on parle des deux grands groupes Facebook de Gilets Jaunes avec 300 000 personnes. Pourquoi Facebook a suspendu un des deux plus grands groupes à la fin du mois d’avril 2019. Je ne sais pas. Et cela a inquiété tout le monde. Il serait important d’en connaître les raisons.
Pensez-vous que le développement du mouvement des Gilets Jaunes sur Facebook serait le symptôme d’une crise de la politique démocratique institutionnelle ?
Premièrement, Facebook a permis de mettre autour de la table différents profils et de rendre accessible la politique à des personnes qui n’étaient pas dans des partis, mais aussi d’en faire sans avoir effectivement à adhérer ou à s’affilier à une pensée, une idéologie ou un parti. Cela est très intéressant et important en démocratie. Ça démontre qu’il n’y a pas forcément besoin d’être encarté pour faire de la politique, ce que l’on aurait tendance à oublier dans les représentations actuelles de la pratique démocratique. Deuxièmement, oui je crois fermement que cet exercice remet fortement en question le rôle de nos institutions mais aussi leur place dans le futur.
Pensez-vous alors que l’avenir politique des Gilets Jaunes se fera sur Facebook ?
Je crois que Facebook permet de pouvoir parler de politique avec tous, tous ceux qui n’ont pas de diplômes orientés vers la politique, tous les profils, et sans savoir quelle est la couleur politique des protagonistes d’une discussion. Cela a permis de mettre certains sujets au cœur du débat, sans préjuger de ce que l’autre aurait pu penser. Il n’y a pas d’étiquettes sur Facebook. Et c’est ça qui est intéressant ! La politique devrait aller vers cette direction. C’est mon opinion. Cependant, Facebook n’est pas représentatif de la population. Il faut forcément à un moment donné pouvoir sortir de cette plateforme pour pouvoir avancer d’une autre manière. Après, on peut discuter de comment. Mais en tout cas, Facebook permet de donner une belle claque aux habitudes politiques pour dire voilà : « On n’arrive pas à se mettre autour d’une table car on a des a priori par rapport aux étiquettes des uns et des autres ». Et nous les Gilets Jaunes, nous avons démontré que nous avons pu collaborer et travailler ensemble, sur des sujets très clivant ; ce qui n’aurait jamais été possible si chacun avait annoncé à l’avance sa couleur politique. Ce point-là devrait inspirer la politique contemporaine, et nous faire réfléchir si l’on veut ensuite savoir comment en sortir, de Facebook et de la politique contemporaine.
Comment envisagez-vous alors la sortie du mouvement des Gilets Jaunes de la plateforme Facebook ? Le Vrai Débat, initié par des Gilets Jaunes et dont la plateforme avait été commandé à la société Cap Collectif vous a t-il satisfait ? Quelles ont été vos motivations pour participer au Vrai Débat ?
Ce qui est intéressant, c’est que la plateforme du Vrai Débat s’adressait à tous. Il serait intéressant de savoir premièrement si elle a été rendue accessible aux personnes qui étaient en dehors du mouvement ? Et deuxièmement, si elle a été rendue accessible aux personnes qui n’étaient pas sur Facebook ? Car la plateforme du Vrai Débat a surtout été partagé sur Facebook. Est-ce que les personnes qui ne sont pas sur Facebook ont pu s’exprimer à travers la plateforme du Vrai Débat ? C’est difficile à répondre et c’est une bonne question de savoir comment faire pour sortir de Facebook ? Je n’ai pas de réponse à cette question mais je crois que la politique doit pouvoir être accessible à tous, c’est ce que je retiens. Aussi, je ne crois pas qu’il y ait un seul outil pour permettre de rendre la politique accessible à tous, mais un ensemble d’outils dont Facebook ferait partie.
Vous avez proposé lors du colloque Designing Community les 19 et 20 avril derniers de créer une application numérique pour exprimer son vote à des référendums qui seraient proposés via son smartphone. Au lieu d’utiliser une urne pour exprimer son choix, vous imaginez une application numérique qui le permette plus rapidement et facilement. Je connais nombre de théoriciens politiques qui vous objecteront qu’une telle application disrupterait le processus démocratique. Ne pensez-vous pas, par exemple, qu’une telle application sur smartphone, par son immédiateté, ne réunirait pas les conditions de formation d’une délibération et d’une décision démocratique?
Je pense qu’une application de ce type doit s’inscrire dans un processus. Je ne pense pas qu’il faille simplement produire une application, pour laquelle il faudrait juste dire OUI ou NON. De la même manière que pour le Référendum d’Initiative Citoyenne, il faudrait préalablement organiser des débats pour instruire le jugement politique. Cela s’inscrit dans un processus qui consisterait à dire : « Nous avons une question à poser à tous, mais avant cela, nous aimerions pouvoir en débattre. » Et comment en débattre, si ce n’est à travers des initiatives telles que les Référendums d’Initiative Citoyenne. Ça peut être une manière de dire « Voilà, on a une question qui sera posée à telle date. Pendant telle période vous aurez la possibilité de vous exprimer en vous rendant à telle ou telle assemblée citoyenne et vous pourrez vous exprimer ou écouter ce qui sera dit, ou prendre la mesure de la situation.» L’utilisation du smartphone, c’est simplement s’adapter à l’air du temps. Et puis aussi les gens n’ont plus forcément envie de se déplacer en mairie ou aux urnes pour voter. Il y a beaucoup de facilité avec le smartphone. Cela inciterait peut-être davantage à voter. C’est une démarche un peu différente. Encore une fois : le ludique, le facile, c’est peut-être une solution. Un outil numérique peut être une avancée démocratique.
Quelle autre commande auriez-vous envie d’adresser aujourd’hui à des designers ? Y aurait-il une plateforme numérique spécifique que vous auriez envie de voir exister ?
Je trouve qu’il y a une trop grande distance entre l’initiative citoyenne, le lancement d’une pétition par exemple, ou d’un sondage ou autre et la possibilité de pouvoir porter les résultats au gouvernement. Il n’y a rien entre les deux. Ça pourrait être aussi une plateforme. Mais aujourd’hui, il n’y a pas la possibilité de dire « voilà, j’ai officiellement remis au gouvernement cette proposition, moi qui suis un simple citoyen ». Ensuite, il ne suffit pas d’aller porter une mesure au gouvernement. Il faut aussi qu’il y ait un vrai suivi, un vrai retour. Et cela, je n’ai pas l’impression que ça existe. A côté de ça, je souhaiterais aussi qu’il existe la possibilité de mener une campagne en ligne, de pouvoir récolter des signatures en ligne, de pouvoir demander des soutiens en ligne, de pouvoir créer tout cela en ligne. Je ne crois pas que ça existe déjà. Et ce serait intéressant d’y réfléchir.
Quel est le changement le plus frappant selon vous qui a été engendré par l’arrivée de la technologie et des réseaux sociaux numériques dans le militantisme politique ?
Il est peut-être assez inédit de voir que l’on a utilisé un réseau social comme outil pour initier un mouvement et pour continuer à débattre de ce mouvement. C’est peut-être le caractère inédit de la chose : le rapport numérique est passé avant le rapport humain. Ce qui a fait tomber des barrières puisque justement le problème c’est que chacun se jauge en fonction du parti dont il est membre. Là tout de suite, on a été dans le vif du sujet, dans le concret, pour échanger sur des idées qui rassemblent. Après forcément, au bout d’un an apparaissent des divergences. Mais au départ ce qui est très rassembleur c’est justement que par les outils numériques, son affiliation à un parti politique ne se manifeste pas. C’est par la force du débat, qu’effectivement les désaccords se font voir. Mais au départ non. Facebook est très rassembleur, très rapidement. Je pense que les gens avaient l’habitude de se voir pour organiser des choses et là il n’y a pas eu besoin de se voir pour organiser le 17 novembre 2018. Dans toute la France, on s’est organisé sans se voir.