Art Contemporain

Kapwani Kiwanga : « Ce qui compte c’est le geste »

Critique

L’artiste franco-canadienne Kapwani Kiwanga a remporté fin octobre le prix Marcel-Duchamp. Le travail de cette artiste aux origines multiples, inspirée par les sciences humaines, interroge la domination coloniale et son héritage, et met en jeu les invisibles et les inaudibles, les corps, les minéraux et les végétaux. Son installation Flowers for Africa sera dès la mi-décembre de nouveau visible au Centre Pompidou.

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L’artiste plasticienne Kapawni Kiwanga cultive depuis presque vingt ans une approche transdisciplinaire du voyage, l’amenant à passer d’une formation en anthropologie et en religion comparée à Montréal aux Beaux-Arts de Paris, et à explorer dans sa pratique artistique plusieurs formats complémentaires telles que la photo et la vidéo, la sculpture et l’installation. C’est aussi un voyage entre les frontières et les identités, préférant la fluidité des mouvements, libératrice, aux logiques d’enfermement des assignations individuelles et collectives. Kapwani Kiwanga est née et a grandi dans l’Ontario au Canada, à Brantford plus précisément, une ville fondée par les colons sur les terres des peuples Haudenosaunee – ou Six-Nations – et Anishinaabe. Sa famille paternelle est originaire de Tanzanie. Des histoires et des localités géographiques disparates, imbriquées les unes aux autres, qui ont amené l’artiste, lauréate du prix Marcel-Duchamp 2020, à préférer les points de vue minoritaires et invisibilisés, cachés dans les replis des histoires plutôt que les narrations qui articulent la grande Histoire. Dans son œuvre, très riche, il y est ainsi question des plantes et du vivant, de croyance et de religion, d’afrofuturisme, d’architecture disciplinaire, de mutation et de métamorphose, de luttes et de résistances, de langages pluriels, d’individus d’ordinaire disparus des récits dominants, de colonialisme, de soin, d’expériences personnelles et d’un rapport décalé avec les espaces d’exposition. AB.

Votre formation croisée entre art et sciences humaines ainsi que votre pratique artistique reflètent une dynamique résolument transdisciplinaire, une quête qui s’articule entre recherche historique et formelle, entre passé, présent et futur, entre réel et fiction. Comment vous définissez-vous en tant qu’artiste, comment définissez-vous le processus même de votre travail artistique ?
Mon travail est en constante évolution, je n’essaie donc pas trop de le définir. Je pré


[1] L’installation Nursery présentait une collection d’espèces ayant joué un rôle politique, social, religieux ou économique, auprès d’individus ou de populations entières, à différentes époques et dans plusieurs régions du monde. Chacune des plantes incarne une histoire, orale ou silencieuse, en marge des récits hégémoniques. L’artiste leur redonne ainsi la parole et une place dans la grande Histoire.

[2] La série Flowers for Africa met en scène des fleurs, des bouquets principalement, présents lors d’événements diplomatiques liés à l’indépendance des pays africains. Généralement utilisées comme éléments décoratifs disposés dans les espaces de négociation – reconstituées par l’artiste depuis des photos d’archives –, ces fleurs ont ici un statut de témoin : elles sont actrices d’une mémoire historique. Le fait que les fleurs s’altèrent durant l’exposition nous amène à les considérer comme des marqueurs temporels d’un temps voué à passer, mais qui peut revenir chaque fois qu’il y a une volonté de le réactiver, de lui redonner une existence propre. Ainsi en est-il du fait historique : il s’impose à notre mémoire chaque fois qu’il est réactivé. Les Flowers for Africa ne sont donc pas des monuments à la mémoire des événements historiques qu’ils évoquent mais des actes constamment performés, réactualisés, confrontés à l’expérience du spectateur, du passant, tout comme l’est l’Histoire en général.

[3] L’installation Maji Maji prend pour point de départ la rébellion des Maji-Maji, un soulèvement de plusieurs tribus d’Afrique orientale, situées sur les territoires actuels de la Tanzanie, contre les autorités coloniales allemandes entre 1905 et 1907. La révolte contre l’occupant éclata à l’instigation d’un médium connu sous le nom de Bokero, qui distribuait à ces adeptes de l’eau sacrée (maji), composée entre autres de feuilles de ricin et supposée les protéger lors des combats en transformant les balles allemande en eau.

[4] Le film The Sun Ra Repatriation Project est une e

Alexandra Baudelot

Critique, Commissaire d'exposition et éditrice

Rayonnages

Arts plastiques

Notes

[1] L’installation Nursery présentait une collection d’espèces ayant joué un rôle politique, social, religieux ou économique, auprès d’individus ou de populations entières, à différentes époques et dans plusieurs régions du monde. Chacune des plantes incarne une histoire, orale ou silencieuse, en marge des récits hégémoniques. L’artiste leur redonne ainsi la parole et une place dans la grande Histoire.

[2] La série Flowers for Africa met en scène des fleurs, des bouquets principalement, présents lors d’événements diplomatiques liés à l’indépendance des pays africains. Généralement utilisées comme éléments décoratifs disposés dans les espaces de négociation – reconstituées par l’artiste depuis des photos d’archives –, ces fleurs ont ici un statut de témoin : elles sont actrices d’une mémoire historique. Le fait que les fleurs s’altèrent durant l’exposition nous amène à les considérer comme des marqueurs temporels d’un temps voué à passer, mais qui peut revenir chaque fois qu’il y a une volonté de le réactiver, de lui redonner une existence propre. Ainsi en est-il du fait historique : il s’impose à notre mémoire chaque fois qu’il est réactivé. Les Flowers for Africa ne sont donc pas des monuments à la mémoire des événements historiques qu’ils évoquent mais des actes constamment performés, réactualisés, confrontés à l’expérience du spectateur, du passant, tout comme l’est l’Histoire en général.

[3] L’installation Maji Maji prend pour point de départ la rébellion des Maji-Maji, un soulèvement de plusieurs tribus d’Afrique orientale, situées sur les territoires actuels de la Tanzanie, contre les autorités coloniales allemandes entre 1905 et 1907. La révolte contre l’occupant éclata à l’instigation d’un médium connu sous le nom de Bokero, qui distribuait à ces adeptes de l’eau sacrée (maji), composée entre autres de feuilles de ricin et supposée les protéger lors des combats en transformant les balles allemande en eau.

[4] Le film The Sun Ra Repatriation Project est une e