Art contemporain

Bruno Serralongue : « Je produis des images anti-journalistiques »

Journaliste et commissaire d'exposition

Photographe de terrain, Bruno Serralongue interroge depuis le début des années 1990 les usages de l’image dans les mouvements sociaux. Dans son exposition « Pour la vie », à voir au Frac Île-de-France jusqu’au 24 avril, il fait converger des luttes qui, des États-Unis à Aubervilliers en passant par Notre-Dame-des-Landes, ont pour trait commun de s’ériger contre la mondialisation néolibérale. Avec l’ambition, l’engagement, de nous imprégner d’une autre « expérience du regard » et de nous confronter à des représentations alternatives de ces marges qu’il documente.

À l’occasion de son exposition au Plateau (Frac île-de-France), et de la sortie de son livre Calais, témoigner de la « jungle » (2006 -2020), l’artiste Bruno Serralongue, photographe embedded  – pour reprendre à dessein une expression venue de la presse ­ –, revient sur trente ans d’une pratique résolument singulière et obstinée qui le conduit aux côtés d’individus en lutte à produire des images « qui n’ont rien de neutre ». Auprès des migrants de Calais, mais aussi des natives américains en guerre contre la construction d’oléoducs ; des naturalistes de Notre-Dame-des-Landes et de la fanfare climatique qui défend les jardins ouvriers piétinés par les velléités d’expansion des JO de Paris, Serralongue poursuit inlassablement le portrait de communautés dont les combats sont moins éloignés les uns des autres qu’on ne pourrait le penser au premier abord. Surtout, avec sa chambre photographique, objet relationnel par excellence, mais aussi obstacle massif à la prise de vue frénétique que réclament l’époque et les médias, il avance sur une ligne de crête qui tente de faire coïncider l’inventivité de ces luttes et une réflexion sur la forme qui ne peut pas « rejouer le modèle néolibéral » contre lequel elles s’érigent. C.M.

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Je voudrais d’abord commencer sur le choix que tu fais dans l’exposition, de brasser plusieurs ensembles. Et que l’on s’interroge sur le dénominateur commun de ces photographies. S’agit-il au fond de parler de convergence des luttes ?
Je suis d’abord obligé de faire un détour par le titre de l’exposition : « Pour la vie ». Il est issu d’un communiqué de presse que les indiens zapatistes ont publié sur leur site le 1er janvier 2021 et qui s’intitulait « Déclaration pour la vie » J’ai beaucoup utilisé ce communiqué pour construire l’exposition. Son titre vient de là. J’ai lu très attentivement ce texte, écrit dans cette langue si belle, dans lequel ils annonçaient qu’ils avaient envie de sortir du Chiapas et de partir à la rencontre du monde ent


[1] « Le photographe en son miroir », dans Jean Baudrillard, Entretiens, PUF, 2019, p. 398.

Claire Moulène

Journaliste et commissaire d'exposition, Responsable du développement culturel de la Fondation Pernod Ricard et rédactrice en chef de la revue « Initiales » (Ensba Lyon)

Mots-clés

Gilets jaunes

Notes

[1] « Le photographe en son miroir », dans Jean Baudrillard, Entretiens, PUF, 2019, p. 398.