Alain Guiraudie : « Adapter son désir à la marche du monde »

«Je suis en train de vous draguer » : Médéric, quadragénaire qui travaille dans les nouvelles technologies, voudrait jouer la carte du romantisme en s’adressant ainsi à Isadora, la prostituée avec laquelle il veut faire l’amour, mais sans payer. « On peut aller bien plus vite », lui répond celle-ci surprise. Comme les cinq précédents longs métrages d’Alain Guiraudie, Viens je t’emmène parle de cet inévitable contretemps des désirs. Avec cette ouverture, c’est sans doute aussi au spectateur que s’adresse le cinéaste : avons-nous besoin que le film nous livre une parade de séduction, ou sommes-nous prêts à passer directement au vif du sujet ? Éros sera pourtant bientôt entravé par Thanatos : un attentat perpétré dans les rues du centre de Clermont-Ferrand renvoie bien vite chacun chez soi. Le cinéaste quitte avec ce nouveau film les espaces naturels qu’il avait arpentés jusqu’alors pour établir le camp dans cette ville moyenne que ses personnages ne quittent jamais. Tout au plus, Médéric en encercle-t-il les contours, à petites foulées, dans ses joggings quotidiens qui tiennent plus du surplace que de la transhumance, comme c’était le cas chez les protagonistes du Roi de l’évasion ou de Pas de repos pour les braves. En 1969, c’est aussi Clermont-Ferrand que Marcel Ophuls avait choisi pour enquêter, avec Le Chagrin et la pitié, sur la légende glorieuse d’un pays majoritairement résistant à l’ennemi allemand pendant la Seconde Guerre mondiale. Chronique d’une ville dans la paranoïa du terrorisme, Viens je t’emmène observe, comme jadis le documentariste, les contorsions intellectuelles auxquelles se livrent des habitants sans histoires confrontés à l’irruption de la peur de la violence. Dans une atmosphère urbaine et nocturne, Médéric rêve souvent. Bien éloignés des songes extravagants qui conduisaient jadis les personnages de Guiraudie dans des mondes parallèles fantastiques, les cauchemars de cet homme tranquille s’ancrent dans des peurs sociales réalistes po