Cinéma

Michel Hazanavicius : « Entre parodie et pastiche, je vois une grande différence »

Critique

Coupez !, le nouveau film de Michel Hazanavicius, fera ce mardi l’ouverture du 75e Festival de Cannes, avant de sortir en salles le lendemain. Nouvel hommage au cinéma, ce remake d’un film japonais offre l’occasion de multiplier les mises en abyme, les niveaux de jeu et de mise en scène. Le réalisateur de La classe américaine et de The Artist revient pour AOC sur son goût prononcé pour la comédie, « genre extrêmement noble ».

Coupez ! est le huitième long-métrage de Michel Hazanavicius et le neuvième si on ajoute un film essentiel réalisé pour la télévision, La classe américaine. Essentiel parce qu’il s’agit d’un premier long et qu’il imprime dès le départ un mode opératoire qu’on retrouvera tout au long de sa filmographie : l’art du détournement. Michel Hazanavicius marque en effet la comédie française par sa façon de jouer avec les codes du cinéma, dans un pastiche plein de panache tant ses films sont des hommages constants au cinéma. Son dernier film se situe à ce titre sur un tournage. L’occasion de montrer le cœur de la machine, la fabrication d’un film au croisement de la mécanique et du vivant, entre la maîtrise de la fiction et l’aléatoire du réel. Le réel agissant ici évidemment comme autant d’éléments de gags contre le bon déroulement du scénario. Ajoutons la cohérence dramaturgique de la structure du film qui démarre par le film dans le film puis zoom arrière dans le temps nous permettant de revoir le film depuis les coulisses et le travail de l’équipe. Les gags prennent une nouvelle dimension d’une partie à l’autre, à mesure que se redévoilent les souvenirs de la première partie. En effet, la première partie de Coupez ! nous montre la réalisation d’un film de Zombies – une série Z, fauchée – avec ses règles, ses codes, et son hors-champ mortel. Et la deuxième partie nous offre le hors-champ du film de Zombie. Mortellement drôle. Le film sort le 17 mai. Il fera la veille l’ouverture du festival de Cannes. Pourvu que le réel vienne perturber la fiction festivalière. QM

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Coupez est votre huitième long-métrage, et une bonne moitié de vos films sont des comédies. Quel est votre rapport à ce genre ? Quels sont les cinéastes qui vous ont marqué ?
J’ai d’abord un rapport de plaisir en tant que spectateur – lorsque j’ai le choix, je vais facilement vers la comédie. Je trouve que c’est un genre extrêmement noble que j’essaie de fabriquer avec beaucoup de sérieux. Ce n’est pas parce que je me marre que ça va être drôle, il faut beaucoup bosser. Au même titre que le drame, le film d’horreur ou le film d’action. Peut-être un peu moins dangereux physiquement que le film d’action ! Ce n’est pas non plus le genre le plus dur à faire comme je l’entends parfois. Faut pas se prendre la tête huit ans sur un gag : soit ça fait marrer, et vous savez comment faire, soit vous vous prenez la tête dans tous les sens pour trouver la façon de rendre une situation drôle, et c’est mort. Il doit y avoir quelque chose d’assez naturel. J’aime beaucoup de cinéastes de comédie. Les maîtres sont Lubitsch, Wilder, côté américain. C’est la base de départ. Bon, j’ai l’impression de mettre tellement de gens de côté que c’est un peu terrible. Et notamment Mel Brooks, qui a inventé tellement de choses, c’est la source dans le domaine très large de la parodie ou du pastiche. De l’autre côté, la comédie italienne est sans doute ce qui se fait de mieux – Risi, Monicelli, Scola. En France, étant né à la fin des années 60, j’adore aussi Pierre Richard, Jean-Paul Belmondo, même Aldo Maccione. Ces gens m’ont fait beaucoup rire. Les Nuls aussi bien sûr, avec lesquels j’ai travaillé au début. J’adore aussi Adam Sandler, je suis fan absolu – Happy Gilmore, Big Daddy, Amours et amnésie.

Qu’est-ce que vous aimez dans ces films ?
Concernant Adam Sandler, je trouve qu’il a plein de charme. J’aime bien l’endroit où il définit son champ : il joue un peu tout avec le sourire, ce qui met une légère distanciation, et en même temps, le personnage existe, c’est incarné, il y a de bons gags. Avec Lubitsch et Wilder, la sophistication de la mise en scène et l’écriture intelligente et subtile sont assez vertigineuses. C’est aussi très profond sur les rapports humains. Les films italiens sont un peu le pendant européen de ça : ça en dit très long sur la nature humaine. C’est cruel avec les personnages – c’est un cinéma qui ne montre pas le monde tel qu’on aimerait qu’il soit, mais tel qu’il est, réalisé avec beaucoup d’amour et d’humanité. Les gags mécaniques me font aussi vachement marrer, comme Pierre Richard – Le jouet ou La chèvre, par exemple, c’est imparable.

Les comédies que vous avez réalisées font souvent référence au cinéma. En s’appuyant sur des codes que vous pastichez, ou parodiez, ou détournez.
Avant que je ne commence à travailler avec Les Nuls, avec lesquels on a beaucoup pratiqué ce que vous décrivez, j’étais dans une école d’Art, et je faisais du détournement. Du détournement d’affiches électorales, des trucs comme ça. Je pense qu’il y a quelque chose de l’époque, entre le détournement, le recyclage, et même le sampling en musique. D’autre part, je trouve toujours intéressant de travailler cette matière quand il y a une dimension supplémentaire, en l’occurrence un peu méta. Dans La classe américaine, c’était dans le propos puisqu’on recyclait des scènes de films existantes en modifiant les paroles. Pour les deux OSS, certaines blagues étaient un peu touchy – sur les arabes, sur les juifs, sur les femmes. Que des sujets casse-gueule. C’est un film sur les clichés. On a travaillé sur tous les clichés du cinéma de cette époque, ce qui participe à faire en sorte que ces blagues passent dans un tout cohérent. Pour The Artist, c’est encore différent, je voulais vraiment faire un film muet en noir et blanc. J’avais plein de sujets, mais souvent on m’interrogeait sur l’intérêt du projet formel. J’ai alors pensé à écrire sur un acteur muet lorsque le cinéma passe au parlant, ce qui permettait de justifier la forme.

Dans vos comédies, vous jouez avec les codes esthétiques : OSS s’inscrit dans la logique esthétique du film d’aventure comme L’homme de Rio ou James Bond, vous filmez dans Le Redoutable à la manière de Godard, etc.
Absolument. Souvent, on emploie à propos de ces films les termes de parodie ou pastiche, j’y vois pourtant une grande différence. Dans la parodie, on trouve une certaine moquerie, voire un ricanement, alors que dans le détournement ou le pastiche, au contraire, on trouve une dimension d’hommage – c’est un bien grand mot, mais en tout cas, une façon de jouer avec les règles en respectant complètement le geste détourné. Il faut d’abord construire un premier degré pour pouvoir aller au deuxième degré. Voire au troisième. Je trouve cette façon de procéder stimulante parce qu’elle m’offre une dimension supplémentaire : le travail sur la forme est en relation directe avec le fond. J’aime bien cette phrase « le style, c’est quand le fond remonte à la surface ». En travaillant ces différents niveaux, un jeu s’installe avec le spectateur. Dans le cas du Redoutable, si on ne garde que l’histoire, le personnage de Godard est mis dans ses contradictions, dans des situations difficiles. Bref, cela pourrait sembler à charge. En revanche, la forme lui rend totalement hommage. La forme raconte que c’est un très grand artiste. En prenant en compte le cinéma, ou l’histoire du cinéma, ou pour mon dernier film, les gens qui font le cinéma, ça enrichit. Ça met une distance supplémentaire. C’est comme jouer sur l’accrochage pour un artiste.

Coupez ! est un remake d’un film japonais. Il s’agit d’un film sur le tournage d’un film de Zombies. Vous multipliez les mises en abyme, les niveaux de jeu et de mise en scène. Vous aviez l’idée de réaliser un film sur un tournage depuis quelques années déjà.
J’avais une idée toute bête – comme n’importe quel type qui travaille : tout le monde a le sentiment qu’il y aurait un film à faire sur son lieu de travail. Eh bien moi aussi ! Le cinéma, depuis le temps que j’en fais, est un bel endroit de fictions. Mon idée : une journée de tournage d’un type, pas hyper en place. Le film devait démarrer au moment où le réalisateur sort de la voiture qui l’amène sur le plateau de tournage. Il met le pied au sol, c’est le moment où les emmerdes commencent. Il dit « Aujourd’hui est notre dernier jour dans ce décor, on a dix-huit plans à faire, on ne fait pas comme hier, on est efficace, aucune place pour l’imprévu. » Sauf que dans la scène, il y a des lamas, des mariachis, pleins de trucs, et bien sûr, à 14h, il a fait deux plans. Pas uniquement de sa faute, avec tous les aléas qu’on retrouve sur un tournage. Le soleil commence à tomber, il décide de faire un plan-séquence pour tout faire avant qu’il ne soit trop tard. On termine par ce plan-séquence miraculeux, où tout ce qu’il a demandé pendant la journée s’agence parfaitement.

C’est étonnant par rapport au film japonais, Ne coupez pas !
Oui ! Je suis au téléphone avec le producteur Vincent Maraval pendant le confinement, je lui raconte mon projet. « C’est complètement dingue, je viens d’acheter avec Noémie (Devide, son associée, NDLR) les droits de remake d’un film, vois-le ! » Je le vois, le lendemain, je lui dis que je le fais, c’est mieux que mon idée. On démarre avec un plan-séquence, puis on découvre les conditions du tournage. Un champ, un contrechamp.

Comment avez-vous adapté le film ?
J’ai d’abord gardé la structure qui est extrêmement maline et brillante. J’avais évoqué ce projet à Tavernier qui m’a parlé d’une pièce de théâtre fonctionnant sur le même principe – on démarre sur un film un peu foireux, puis on voit l’envers du décor. Cette pièce s’appelait En sourdine, les sardines, ce qui le faisait beaucoup rire ! Je voulais vraiment garder cette structure. Ensuite il faut se l’accaparer, ce qui est bien avec le remake – en l’occurrence ici le film est vraiment très bien, on fait ses courses, on prend ce qu’on aime. J’ai demandé une version du scénario : j’ai poussé certaines situations, certains rapports humains, j’ai ajouté le personnage qu’incarne Jean-Pascal Zadi – le travail sur le son n’a pas du tout été fait dans le film originel, c’est en plus source de gag, et une bonne manière de raconter –, on joue le remake aussi – pour leur rendre hommage, la productrice du film japonais joue aussi dans mon film. J’ai enfin apporté d’autres comportements d’acteurs, ou de techniciens que j’ai pu observer et qui me font marrer.

La structure est simple, mais les différents niveaux de jeu et de mise en scène sont complexes dans la mesure où une situation délicate, suspendue dans le film en plan-séquence se comprend dans la seconde partie en voyant les conditions de tournage. Pour les comédiens il s’agit de jouer avec justesse un jeu parfois approximatif des personnages, la mise en scène est chaotique parce que le film est fauché et les protagonistes pas toujours là. Comment avez-vous préparé le film ?
Dans la première partie, les acteurs doivent jouer des acteurs en train de jouer. Ils jouent leur texte – je parle des personnages. Ce ne sont pas des acteurs géniaux, mais ils jouent leur texte. En revanche, parfois, ils jouent un acteur qui se trouve dans l’incapacité de jouer parce qu’il n’a pas son texte, ou pas son partenaire, ou pas l’accessoire qu’il devait avoir etc. Les acteurs – pas les personnages ! – me demandaient toujours « on doit mal jouer ? » Je leur disais non, vous devez jouer un acteur qui n’a plus de texte. Ça ne veut pas dire qu’il joue mal, c’est juste qu’il ne sait pas quoi dire. À d’autres moments, ils peuvent jouer un acteur qui s’emballe dans une scène, et joue beaucoup plus que ce qui lui est demandé. À chaque morceau, à l’intérieur du plan-séquence, il y avait une situation de jeu. La difficulté réside dans le fait qu’il s’agit d’un spectacle un peu foireux, une série Z. Or je ne pouvais pas faire de ce film un peu raté, un film totalement réussi – type parodie avec pleins de blagues. Ce n’est pas ce dont j’avais besoin pour la deuxième partie. Donc comment faire un truc raté qui soit quand même acceptable, intrigant, avec un intérêt dramatique, et à peu près tenu ? Parfois c’est l’histoire qui fait tenir debout le film – on s’intéresse à ce qu’on nous raconte –, parfois on est intrigué par les acteurs qui regardent la caméra – on se demande pourquoi ? –, parfois c’est un gag ou encore la place de la caméra au sol qui intrigue. En tout cas, on a l’idée de tenir coûte que coûte un intérêt dramatique pour les spectateurs en acceptant l’idée de regarder un film un peu foireux. C’est très compliqué à faire. Tout ça doit en plus s’intégrer dans une sorte de petite prouesse technique, s’intégrer dans un plan-séquence où la caméra bouge beaucoup, ça court, on coupe des têtes, il y a de l’hémoglobine, des cascades. On a fait cinq semaines de préparation pour ce long plan, avec les acteurs, et l’opérateur, Jonathan Ricquebourg. J’ai storyboardé deux fois cette séquence : une première pour la préparation, et une seconde fois, au vu de ce qu’on travaillait à chaque fois avec les acteurs, je modifiais la place de la caméra en fonction d’où se trouvait la scène, en répétant. Faut concevoir tout un ballet pour que l’opérateur de mon film ne soit pas vu et puisse circuler dans le plan. C’est pareil avec l’ingénieur du son, qui doit se trouver toujours au centre de l’action pour enregistrer et circuler, sans gêner la continuité. Une autre chose est compliquée à gérer, il existe une sorte de métronome dans ces trente minutes de film. Je laisse certains moments en suspens de façon à tenir les scènes que j’ai à raconter après, en coulisse, pour qu’elles rentrent dans le même timing. Qu’on ait l’impression que le temps qui se déroule dans le film est le même que celui qu’on voit ensuite, côté coulisse. Ce qui n’est pas tout à fait le cas. Il fallait qu’on ait la sensation que les errements dans le film au début correspondent bien, en termes de temps, à la situation qui les explique sur le tournage, dans la seconde partie.

La première partie est un film de zombie. La seconde partie de votre film est le hors-champ de la première partie. On revoit les situations d’un autre point de vue. Du point de vue de ceux qui font le film. Il y a une grande profusion de situations et d’actions, ce qui suppose une précision dramaturgique. Par ailleurs, la comédie suppose une logique de montage, une rythmique singulière.
C’est une nouvelle écriture, bien que nous ayons beaucoup travaillé en amont pour avoir une idée assez précise. Je n’avais par ailleurs pas autant anticipé l’importance que prendrait le son. Je veux que le film soit simple à regarder, mais le spectateur a d’un côté le fantôme de ce qu’il a vu une heure avant, et de l’autre le déroulé du film avec une équipe qui rencontre des problèmes. Pendant qu’un gars gère quelque chose, une autre, à l’autre bout prépare autre chose, et les derniers sont en régie. Le spectateur a donc en moyenne au moins trois lieux en tête, voire quatre. Pour que toutes ces histoires aient l’air de rouler en même temps, de manière fluide, et qu’on ne soit jamais perdu ni dans l’espace ni dans le timing, avec le mixeur, on a fait un travail sur le son d’une très grande précision. Il fallait vraiment savoir vite qui est où. La spatialisation passe beaucoup par le son. Bien sûr le montage travaille cet aspect en premier lieu, mais le son nous a demandé un gros boulot.

Vous mêlez au moins deux matières formelles très différentes, une certaine lenteur du film de zombie et la vitesse de la comédie. Comment avez-vous procédé ?
Sur les questions de rythme, je vois le film comme une espèce d’accélération. Il commence doucement, en un plan, la première demi-heure. Puis je vois une deuxième partie, dans laquelle on est davantage sur des situations, on installe les personnages dans une narration finalement assez classique – c’est le moment de la préparation du film. Enfin la troisième partie est la résolution de ces deux parties précédentes, dans une logique plus proche du vaudeville. Ça court dans tous les sens, on ouvre une porte, quelque chose doit arriver mais n’arrive pas, etc. Le rythme de montage n’a rien à voir dans cette dernière partie.

C’est un film sur un tournage, et plus largement sur le collectif.
Complètement, au-delà du cinéma, je trouve que c’est un bon message. La promesse du film est d’abord de faire rire, on raconte quand même quelque chose ; en l’occurrence l’importance du collectif et d’être ensemble pour réussir des trucs. Même ratés, ce que j’aime bien dans ce film. D’une certaine manière, le film pousse à la bienveillance. On voit d’abord un film qu’on ne peut s’empêcher de juger – c’est quand même de la merde, mais une fois que le spectateur voit ce qu’il a fallu déployer pour y arriver, le regard sur le premier film est très différent.

 

Coupez !, réalisé par Michel Hazanavicius, en salle le 17 mai.


Quentin Mével

Critique, Délégué général de l’Acrif

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