Art contemporain

Nicki Green : « L’histoire de la céramique est aussi l’histoire du genre, du travail et des corps »

Historien et artiste

La Biennale de Lyon offre l’occasion de mieux connaître le travail de l’artiste queer Nicki Green. Aussi politique qu’érudite, sa pratique de la céramique – un matériau trans – interroge depuis longtemps l’histoire de l’art comme l’histoire sociale et l’histoire du genre et lui donne désormais aussi l’occasion de produire des figures matérielles qui explorent la transidentité.

Virtuose de la céramique, l’artiste Nicki Green sait en explorer la dimension utilitaire (elle s’est fait connaître par des sculptures de bidons et de bidets), pseudo-organique (ses terres cuites sont souvent envahies de petits trous d’un simili-champignon vert émaillé qui fait frémir les trypophobes) et conceptuelle (elle a récupéré les briques réfractaires du four du célèbre céramiste Peter Voulkos pour en faire des installations intitulées Swaddle). Engagée dans la société, elle explore la manière dont les personnes transgenres ont existé dans l’histoire et peuvent vivre dans un monde cissexiste qui les violente et les discrimine. Elle défend l’idée que la céramique évoque la plasticité des personnes et des corps, qu’elle est en soi un matériau trans.

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Ses œuvres sont politiques tout autant qu’érudites, plastiques autant que mimétiques, spirituelles autant que réflexives. Jusqu’à aujourd’hui, ses sculptures étaient des objets usuels et rituels parfois ornés de peintures, mais elle ne s’était pas essayée à la modeler des figures humaines. Dans le cadre de la Biennale de Lyon, A Manifesto of Fragility, elle présente à la fois une céramique inspirée par le bidet du mikveh, מִקְוָה, (Anointed, double bidet with Faucets, 2019) et trois nouvelles sculptures, des figures humaines imposantes, faites de terre cuite, de verre et de textile, qui semblent être les baigneuses du rituel.

Je l’ai rencontrée au musée Guimet le 15 septembre 2021. Ce lieu avait été fondé par l’industriel lyonnais Émile Guimet en 1879 et fut abandonné lorsque la collection d’arts asiatiques s’est déplacée dans le musée du même nom à Paris. Le bâtiment eut plusieurs vies : brasserie, théâtre, patinoire et Muséum d’histoire naturelle, se transformant au fil des projets et des années, avant de fermer ses portes en 2007. C’est dans ce lieu réouvert pour la biennale mais non réaménagé, encore orné de fresques à l’égyptienne et d’anciennes vitrines de muséum, que nous avons discuté des pouvoirs


[1] Le texte de la performance de Nicki Green « Dismantling the Pariarchy One Brick at a Time, or the Soft Brick » peut être consulté ici : il a été traduit par Emilie Notéris dans Les Flammes, l’âge la céramique, Catalogue de l’exposition au Musée d’art moderne de la ville de Paris, Paris, 2021, p. 204-207.

[2] Nicki Green emploi le mot « queerness » difficile à traduire ici. Dans le contexte du XIXe siècle on pourrait traduire par homosexualité, car le terme existait depuis les années 1860, mais Nicki Green envisage la queerness comme une manière à la fois étrange et fluide d’être au monde, tout en étant vulnérable aux discriminations. Je conserve queerness alors que je traduis par homosexualité pour évoquer Oscar Wilde. Queer, littéralement bizarre, peut être une insulte pour désigner les minorités sexuelles en anglais dès le début du XXe siècle, même si cet usage était alors minoritaire.

Clovis Maillet

Historien et artiste

Notes

[1] Le texte de la performance de Nicki Green « Dismantling the Pariarchy One Brick at a Time, or the Soft Brick » peut être consulté ici : il a été traduit par Emilie Notéris dans Les Flammes, l’âge la céramique, Catalogue de l’exposition au Musée d’art moderne de la ville de Paris, Paris, 2021, p. 204-207.

[2] Nicki Green emploi le mot « queerness » difficile à traduire ici. Dans le contexte du XIXe siècle on pourrait traduire par homosexualité, car le terme existait depuis les années 1860, mais Nicki Green envisage la queerness comme une manière à la fois étrange et fluide d’être au monde, tout en étant vulnérable aux discriminations. Je conserve queerness alors que je traduis par homosexualité pour évoquer Oscar Wilde. Queer, littéralement bizarre, peut être une insulte pour désigner les minorités sexuelles en anglais dès le début du XXe siècle, même si cet usage était alors minoritaire.