Politique

Ben Gidley : « L’antisémitisme fait partie d’une culture qui imprègne également la gauche »

Politiste

Pour faire suite à la tribune qu’il a récemment publiée avec deux autres militants de la gauche radicale britannique dans laquelle ils abordent avec franchise la question de l’antisémitisme, le sociologue Ben Gidley prolonge sa réflexion sur la nécessité et l’urgence pour la gauche de procéder à l’examen autocritique des traits réactionnaires de sa pensée.

Trois militants de la gauche radicale ont publié le 10 décembre 2023 un texte qui s’intitule « Pour une gauche démocratique et internationaliste. Contribution au renouveau et à la transformation de la gauche »[1]. Daniel Randall est un cheminot basé à Londres, Daniel Mang est un agent de santé travaillant en Suède et Ben Gidley est un sociologue à Birkbeck College (université de Londres). Leur tribune a pour originalité de désigner le proverbial « éléphant dans le salon » de la gauche : l’antisémitisme de gauche aujourd’hui.

publicité

Alors que l’intervention dévastatrice de l’armée israélienne à Gaza s’apparente clairement à une punition collective du peuple palestinien, cette prise de position pourra surprendre. Les auteurs de ce texte dénoncent avec vigueur la violence mortelle qui s’abat sur les Gazaouis, la poursuite de la colonisation en Cisjordanie ou encore la diabolisation de celles et ceux qui apportent leur soutien à la cause palestinienne.

Mais ils abordent aussi avec une franchise inédite la question de l’antisémitisme de gauche, car ils estiment que ce non-dit ou sa négation discréditent la gauche en tant que force émancipatrice, démocratique et qui défend les droits humains. Ils appellent à un renouveau internationaliste qui ne pourra survenir que si celle-ci examine de manière autocritique les traits réactionnaires de sa pensée : son campisme, son confusionnisme, son usage vulgaire de la théorie marxiste et décoloniale, ou encore son indifférence[2] à l’égard de l’antisémitisme.

J’ai réalisé cet entretien avec Ben Gidley, l’un des coauteurs, à Londres, le 23 janvier 2024. Gidley est un sociologue qui travaille sur les relations entre juifs et musulmans dans un environnement urbain européen[3]. Je lui ai posé des questions directes, parfois rugueuses. Ce sont les questions que se posent nombre de juives et de juifs engagés à gauche et dans le combat antiraciste : peuvent-iels encore espérer le soutien de la gauche et des associations antiracistes dans


[1] Texte en version originale anglaise : leftrenewal.net. Texte dans sa traduction française : « Pour une gauche démocratique et internationaliste ».

[2] Philippe Marlière, « Cette gauche que l’antisémitisme indiffère », L’Obs, 4 août 2022.

[3] Voir le résumé de ce projet de recherche collectif et comparatiste.

[4] Charles Kimber, « Rejoice as Palestinian resistance humilate racist Israel », Socialist Worker, 9 octobre 2023, ou « Offensive de Gaza : nous sommes toutes et tous des palestinienNEs ! », site du NPA, 7 octobre 2023.

[5] Katha Pollitt, « Why have feminists been so slow to condemn the Hamas rapes ? », The Nation, 15 décembre 2023.

[6] Le Respect Party a été un mouvement politique actif entre 2004 et 2016. Créé à partir du mouvement anti-guerre en Irak dans les années 2003-2004 (la coalition Stop The War), Respect fut dirigé par George Galloway, un ex-député travailliste. Mouvement socialiste, eurosceptique et anti-impérialiste, Respect était farouchement antisioniste et remettait en cause l’existence d’Israël. Il accueillit des militants islamistes dans ses rangs (des membres de la Muslim Association of Britain, la branche britannique de Muslim Brotherhood). Ses bastions électoraux étaient situés dans les zones urbaines comprenant une population musulmane importante (Londres-Est, Birmingham ou Bradford).

[7] Sean Matgamna, « The SWP, the mainstream left and Islamism », Workers’ Liberty, 28 juin 2002.

[8] Eran Benedek, « Britain’s Respect Party: the leftist-islamist alliance and its attitude toward Israel », Jewish Political Studies Review, Vol. 19, No. 3-4, automne 2007, pp. 153-163.

[9] Voir Philippe Corcuff, La Grande confusion. Comment l’extrême droite gagne la bataille des idées, Textuel, 2021 et Philippe Marlière, « Prendre au sérieux le confusionnisme politique », AOC, 7 octobre 2021.

[10] Moishe Postone, Critique du fétiche-capital : le capitalisme, l’antisémitisme et la gauche, Presses universitaires de France, 2013.

[11] Emma Green, « Are jews wh

Philippe Marlière

Politiste, Professeur de science politique à University College London

Notes

[1] Texte en version originale anglaise : leftrenewal.net. Texte dans sa traduction française : « Pour une gauche démocratique et internationaliste ».

[2] Philippe Marlière, « Cette gauche que l’antisémitisme indiffère », L’Obs, 4 août 2022.

[3] Voir le résumé de ce projet de recherche collectif et comparatiste.

[4] Charles Kimber, « Rejoice as Palestinian resistance humilate racist Israel », Socialist Worker, 9 octobre 2023, ou « Offensive de Gaza : nous sommes toutes et tous des palestinienNEs ! », site du NPA, 7 octobre 2023.

[5] Katha Pollitt, « Why have feminists been so slow to condemn the Hamas rapes ? », The Nation, 15 décembre 2023.

[6] Le Respect Party a été un mouvement politique actif entre 2004 et 2016. Créé à partir du mouvement anti-guerre en Irak dans les années 2003-2004 (la coalition Stop The War), Respect fut dirigé par George Galloway, un ex-député travailliste. Mouvement socialiste, eurosceptique et anti-impérialiste, Respect était farouchement antisioniste et remettait en cause l’existence d’Israël. Il accueillit des militants islamistes dans ses rangs (des membres de la Muslim Association of Britain, la branche britannique de Muslim Brotherhood). Ses bastions électoraux étaient situés dans les zones urbaines comprenant une population musulmane importante (Londres-Est, Birmingham ou Bradford).

[7] Sean Matgamna, « The SWP, the mainstream left and Islamism », Workers’ Liberty, 28 juin 2002.

[8] Eran Benedek, « Britain’s Respect Party: the leftist-islamist alliance and its attitude toward Israel », Jewish Political Studies Review, Vol. 19, No. 3-4, automne 2007, pp. 153-163.

[9] Voir Philippe Corcuff, La Grande confusion. Comment l’extrême droite gagne la bataille des idées, Textuel, 2021 et Philippe Marlière, « Prendre au sérieux le confusionnisme politique », AOC, 7 octobre 2021.

[10] Moishe Postone, Critique du fétiche-capital : le capitalisme, l’antisémitisme et la gauche, Presses universitaires de France, 2013.

[11] Emma Green, « Are jews wh