International

Luciana Peker : « Pour Milei, le féminisme est l’ennemi public numéro un »

Journaliste

Face aux oppressions fascistes et sexistes du président Javier Milei, la journaliste et militante féministe Luciana Peker a quitté l’Argentine pour venir s’installer en Europe. Elle s’évertue, depuis, à alerter l’opinion publique internationale sur les dangers d’une complaisance face à l’extrême-droite, notamment pour les droits des femmes.

L’élection de Javier Milei à la présidence de la République argentine, en novembre 2023, porte atteinte au respect des droits humains dans ce pays et dans l’ensemble du continent sud-américain. Le gouvernement d’extrême droite de La Libertad Avanza (LLA) remet en cause à la fois l’existence d’un terrorisme d’État durant la dictature militaire de 1976-1983 et les droits sexuels et reproductifs conquis par le mouvement féministe, pour certains à l’avant-garde des politiques LGBT. Depuis son arrivée au pouvoir, l’offensive ne s’est pas fait attendre : un projet de loi visant à criminaliser l’avortement en Argentine vient d’être présenté au Congrès, prévoyant des peines allant jusqu’à trois ans de prison pour les femmes qui interrompent leur grossesse.

publicité

Les réseaux sociaux sont le cheval de Troie de cette campagne, Javier Milei n’hésite pas à incarner le profil d’un président influenceur et à troller publiquement les journalistes, autrices ou artistes argentines. Devant la violence et les intimidations misogynes de LLA, la journaliste et militante féministe Luciana Peker a fait le choix de s’exiler en Europe. Membre du collectif Ni Una Menos contre les féminicides, elle a été distinguée par Amnesty International pour son rôle en tant que journaliste dans la lutte pour les droits sexuels et reproductifs en Argentine. Chroniqueuse dans plusieurs médias en Amérique latine et dans le monde, notamment Infobae, The New York Times, The Guardian, et El País, elle a publié un essai en France, La Révolution des filles, en 2020 aux Éditions des Femmes-Antoinette Fouque. Pour elle, la politique de Javier Milei ne s’arrête pas à l’Argentine, c’est « un backlash qui a lieu partout dans le monde ». ASE

Dans un mouvement semblant suivre les arrivées au pouvoir de Donald Trump ou de Jair Bolsonaro, l’élection de Javier Milei à la présidence la république argentine fait basculer le pays sous une gouvernance d’extrême droite. Comment expliquer ce virage dans un pays pionnier en matière de droits des femmes et des personnes LBGBTQ+ en Amérique latine ?
Nous sommes en effet dans une phase de violence politique qui suit celle de l’arrivée au pouvoir de Trump et de Bolsonaro. On pourrait croire que la violence politique s’est installée à partir de l’élection de Javier Milei. En réalité, c’est par l’exercice de la violence que l’extrême droite accède au pouvoir. L’élection de Milei est le résultat d’une offensive, d’une riposte contre le féminisme, un backlash qui a lieu partout dans le monde. Bien sûr, une série de facteurs propres à l’Argentine forment un terreau fertile à un vote aussi furieux, à commencer par une crise économique sans précédent avec une inflation annuelle de 211 %, la plus élevée au monde. La dette publique de l’Argentine dépasse les 400 milliards de dollars, soit 88,4 % du PIB national. Aujourd’hui, le pays ne possède pas de réels instruments de souveraineté économique qui lui permettraient de freiner cette montée de l’extrême droite. La population est soumise à une telle pression que n’importe quel changement, aussi régressif soit-il, apparaît comme une solution.

Après avoir obtenu le droit à l’IVG, arraché de longue lutte en décembre 2020 par « la marée verte », le mouvement féministe argentin est aujourd’hui très fortement pris pour cible. Comment se traduit la menace qui pèse sur ce droit ? 
Ce fut un combat populaire et législatif qui a duré des décennies et qui n’aurait pas abouti sans la participation active de milliers de jeunes femmes et d’adolescentes. La menace est très claire : une législatrice du parti dirigé par Javier Milei, La Libertad Avanza (LLA) a récemment présenté un projet de loi visant à criminaliser l’avortement en proposant d’en faire un délit passible de peines de prison. Elle porte ici la volonté du nouveau président de l’Argentine. Javier Milei l’a répété au Forum économique mondial de Davos, en janvier dernier : le féminisme est pour lui l’ennemi public numéro un, qu’il désigne sous le nom de « féminisme radical». Comme s’il y avait un féminisme acceptable et un féminisme extrémiste, alors qu’aucun courant féministe ne peut soutenir un président qui affirme que l’écart de salaire entre les hommes et les femmes n’existe pas, qui nie la spécificité et l’existence même du féminicide, qui dévalorise les politiques de défense des victimes de violences de sexuelles et conjugales et menace d’abroger le droit à l’avortement légal, sûr et gratuit. Aucun type de féminisme ne peut s’inscrire contre le droit à l’IVG – « l’agenda politique sanglant de l’avortement », selon l’expression de Milei. L’attaque est directe et caractérisée. Il est donc clair que nous sommes ses ennemies. Nous le sommes dans un contexte de crise économique aiguë où, pour survivre, il faut cumuler plusieurs emplois et faire face à des conditions de travail très précaires. Cette offensive atteint aussi le langage. Je travaillais il y a quelque temps pour la chaîne Députés TV. Aujourd’hui, le simple usage du mot « Députée » au féminin a été proscrit. Dans ce même mouvement, Javier Milei a supprimé le Ministerio de las Mujeres, Géneros y Diversidad (Ministère des Femmes, des Genres et de la Diversité). Cette mesure est une mauvaise nouvelle pour les femmes argentines : elle réaffirme officiellement l’impunité des agresseurs et la solitude des victimes face aux violences sexuelles et sexistes, la volonté politique d’effacer tout un programme qui faisait de l’Argentine un exemple de progrès social dans le continent. Aujourd’hui, au contraire, l’Argentine devient le reflet de la régression.

Le contrôle de « l’ordre familial » a été le leitmotiv et la ligne directrice de l’action de L’Église catholique pendant la dictature militaire argentine. Parmi les prises de parole qui ont accompagné la Campagne pour le droit à l’IVG en 2018 et 2020, une phrase circulait dans l’hémicycle, dans les médias et dans la rue : « le droit à l’avortement est une dette historique du retour à la démocratie ». Que signifie ce slogan ?
Il traduit une conscience collective de l’importance de ce droit humain fondamental qui trouve sa place aux côtés de ceux conquis depuis le retour à la démocratie suite à la dictature militaire de 1976-1983. Pour rappel, la dictature militaire a mis en œuvre un régime de violence et de terreur effroyable et commis un grand nombre de violations des droits de l’homme à l’encontre de la population civile : arrestations arbitraires, exécutions, exil forcé, tortures, viols, vols de biens, atteintes aux libertés civiles, politiques et syndicales, censure et persécutions de toutes sortes. Un plan systématique de disparitions forcées de 30 000 personnes a été perpétré, comprenant l’enlèvement d’environ 500 bébés qui ont été séparés de leur mère avec la complicité de l’Église et confiés à des familles proches du régime sous une autre identité. Ce fait est essentiel pour comprendre les enjeux et implications du droit à l’IVG et plus largement la politique argentine relative aux droits sexuels et reproductifs. L’IVG s’inscrit dans un processus de renforcement de la démocratie, dans le sillage des revendications des Mères et des Grands-Mères de la Place de Mai – ce collectif exclusivement composée de femmes qui recherchent depuis plus de quarante ans leurs enfants et petits-enfants enlevés pendant la dictature. Le foulard vert, emblème de la lutte pro IVG, reprend le foulard blanc avec lequel les Grands-Mères se couvrent la tête et qui symbolise les couches des bébés volés. Ce droit est bien entendu lié à la séparation de l’Église et de l’État, qui n’est pas encore effective. Autrement dit, à la mise en place d’une politique de santé publique laïque. Libérer le corps des femmes d’un appareil étatique religieux, répressif et rétrograde a marqué un véritable tournant dans l’histoire de la démocratie argentine. En 2018, la proposition de loi pour le droit à l’IVG a été débattue au Congrès comme aucune autre question ou loi ne l’avait été auparavant. Aucune autre proposition de loi n’a bénéficié d’un tel enthousiasme, d’une participation aussi massive de la jeunesse, tous milieux confondus. Le foulard vert est l’un des symboles politiques parmi les plus puissants du 21e siècle car il est intrinsèquement lié au fondement et à la sauvegarde de la démocratie.

La Libertad Avanza (LLA) s’attaque d’ailleurs au travail de justice mémorielle historique en matière de droits de l’homme élaboré au cours des quatre dernières décennies en Argentine. Victoria Villaruel, l’actuelle Vice-présidente et fille d’officiers militaires, a organisé en septembre 2023 un hommage aux « autres victimes du terrorisme », reprenant l’ancienne rhétorique de la junte militaire des années 70. Pouvez-vous nous en parler ?
Villaruel fait du bourreau la victime et vice versa, c’est à peu de choses près la même rhétorique que celle utilisée par les auteurs de violences sexuelles et sexistes. Là aussi, une forme de backlash, un retour de bâton. L’hommage que vous mentionnez s’attaque en effet à tout le travail mené depuis 1985, notamment « le Procès à la Junte ». À ce jour, près de 1190 responsables et tortionnaires ont été jugés et condamnés et des politiques mémorielles exemplaires ont été développées depuis. Ce n’est pas le cas de l’Espagne, par exemple, qui n’a jamais jugé les crimes du franquisme. Ni du Brésil, frappé d’amnésie collective. Jair Bolsonaro se définit d’ailleurs comme un « partisan de la dictature ». Le 24 mars, une date qui fait référence au coup d’État du 24 mars 1976, est un jour férié inaliénable en Argentine, la Journée nationale de la Mémoire pour la Vérité et la Justice. Le jour où l’on prononce collectivement le célèbre « Nunca Mas ». De la même manière, l’Argentine est considérée comme un pays pionnier en matière de droits des personnes LBGTQ+. La loi permettant aux couples de même sexe de se marier a été adoptée dès 2010. En 2012, une loi appelée « Identidad de género » (Identité de genre) a également été adoptée : elle garantit le droit à l’identité aux personnes transgenres, non-binaires, intersexes ou autre, comprenant le genre comme une expérience intérieure et individuelle vécue par chaque personne selon son propre ressenti. C’est la seule loi au monde à reconnaître ce droit sans l’exigence d’un rapport médical ou psychiatrique préalable. Aussi étonnant que cela puisse paraître, cette loi est absolument rattachée aux droits humains post dictature, c’est-à-dire à l’importance que revêt en Argentine la question de l’identité. Les Mères et les Grands-Mères ont encouragé la création de différentes structures très avancées pour garantir la restitution de l’identité des enfants volés. Enfin, quelques mois avant l’adoption de la loi pour le droit à l’IVG, en septembre 2020, l’ex-président Alberto Fernandez a établi un quota dans le secteur public qui garantit un minimum de 1 % des postes de travail aux travestis, transsexuels et transgenres. Là aussi, cette loi est historique et entend rééquilibrer un tant soit peu la discrimination structurelle envers la population travestie et transgenre. Le féminisme argentin a véritablement été le fer de lance de l’obtention de ces droits en Amérique latine et la politique de Javier Milei, avec tout ce qu’elle charrie de régression et de négationnisme, montre à quel point l’extrême droite, la misogynie et le fascisme sont indissociables. C’est le premier président argentin à remettre en cause le consensus sur les crimes de la dictature. Sa brutalité est sans limites : récemment, il prit la défense d’un officier militaire qui ironisait sur les réseaux sociaux à propos de la voiture Ford Falcón, le modèle utilisé à l’époque par les tortionnaires pour kidnapper les citoyens argentins à leurs domiciles. La Vice-présidente Victoria Villaruel, rouage important du pouvoir, a déclaré vouloir mettre fin aux procès pour crimes contre l’humanité, supprimer les pensions aux victimes et à leurs familles et faire du Musée de la Mémoire – qui se trouve dans ce qui fut le plus grand centre de détention et de torture de la dictature, l’ESMA – une école « pour le plaisir de tous ». Il faut bien comprendre qu’un gouvernement n’est pas démocratique pour la seule et bonne raison qu’il a été élu démocratiquement. Élu à la régulière, Milei justifie la dictature et veut tout interdire, depuis le droit de manifester jusqu’au droit de grève. Sa stratégie est brutale et profondément antidémocratique.

La question de la centralité de la défense du partage des ressources est une autre spécificité propre aux mouvements féministes d’Amérique latine, notamment à travers la résistance du féminisme issu des peuples autochtones contre l’extractivisme. Est-ce cela que Javier Milei appelle « le socialisme » ? 
Au cours des dernières années, le seul mouvement de masse démocratique qui ait véritablement remis en question un néolibéralisme autoritaire est le mouvement féministe. L’obsession de Javier Milei pour ce qu’il appelle « le socialisme » rejoint son obsession contre la pensée et l’action du féminisme, véritable mouvement social remettant notamment en cause le contrôle démographique, le pillage organisé des ressources naturelles argentines et l’expropriation des terres appartement aux peuples originaires, terres riches en lithium, un métal aujourd’hui au cœur des enjeux économiques et des discours. La leader féministe mapuche Moira Millán a beaucoup contribué à rendre visible la situation d’oppression dans laquelle se trouvent les peuples autochtones. Un militantisme très fort se lève en Amérique latine contre cette politique d’expropriation et ce qui est dénoncé comme un terricide. On se demanderait pourquoi diable Javier Milei parle-t-il du féminisme lors d’un forum sur l’économie aussi important que celui de Davos ? Rappelons ses déclarations : « Un autre conflit soulevé par les socialistes est celui de l’homme contre la nature. Ils soutiennent que les êtres humains endommagent la planète et qu’elle doit être protégée à tout prix, allant même jusqu’à préconiser des mécanismes de contrôle de la population à travers l’agenda politique sanglant de l’avortement ». Le mouvement féministe et le succès de sa Campagne pour le droit à l’avortement sont perçus comme une menace parce qu’il a ouvert un champ de transformation sociale et politique qui dépasse largement la maîtrise de la fécondité. Ce n’est pas un hasard si les secteurs les plus conservateurs comptent les mouvements de femmes parmi leurs principaux adversaires. La féminisation de la pauvreté, par exemple, marque une forte sensibilité du mouvement féministe à la crise qui traverse le pays. La perspective de notre mouvement comprend que l’économie doit absolument être au cœur de nos revendications et de nos combats.

En décembre, Javier Milei a posté sur X (anciennement Twitter) une photo d’Emmanuel Macron arborant un maillot de l’équipe de football du Boca Junior signé de sa main. Comment interprétez-vous le soutien dont il bénéficie de la part du président français ? 
Il y a là des intérêts géopolitiques et économiques très clairs autour du commerce du lithium, du gaz, du pétrole, de l’eau, provenant d’Argentine. L’Union européenne fait ici preuve d’une indulgence excessive et impardonnable à l’égard de la politique de Javier Milei, afin de pouvoir prendre sa part dans ce qui constituera l’accaparement des ressources du pays par des entreprises, leur mise sur le marché, après la politique de privatisation annoncée. Le mouvement est aussi en cours dans toute l’Amérique latine et il est évident que seuls les gouvernements d’extrême droite céderont ces ressources au marché, que cela ne pourra se faire que par la force et par la répression violente des protestations sociales. Milei bénéficie en outre du soutien bruyant d’Elon Musk qui se sert de X comme d’un levier politique d’une violence extrême pour enfoncer nos remparts démocratiques. C’est une menace à prendre très au sérieux. Pour parer cette attaque, les réseaux sociaux doivent être réglementés, non pas pour qu’il y ait moins de liberté, mais pour freiner cette violence-là. Cela devra passer par la signature de traités de coopération entre l’Amérique latine, l’Europe et d’autres régions contre cet usage des réseaux sociaux. Sans parler des enjeux naissants autour de l’intelligence artificielle et de son usage par des monopoles aux intérêts coloniaux, extractivistes et misogynes.

La violence numérique a un impact très nocif sur la vie et la santé des journalistes féministes argentines et des militantes, mises à rude épreuve. Vous-même en subissez les conséquences depuis plusieurs années. 
La violence numérique cherche à censurer, à faire s’éteindre les voix des femmes journalistes et à les exclure des réseaux sociaux. L’hameçonnage, les menaces de viol et de mort, l’intimidation, les disqualifications physiques et intellectuelles se multiplient et ne sont pas anecdotiques. Il y a quelques années, j’ai demandé à un média pour lequel je travaillais de fermer la section commentaires de mes articles. Ma position est très claire, je suis évidemment une fervente défenseuse de la liberté d’expression. Je ne me censure pas, c’est la violence elle-même qui engendre la censure. On n’écrit pas de la même façon lorsqu’on a le sentiment d’avoir une gâchette sur la tempe. Il n’y a pas de liberté possible avec un tel niveau d’intimidation. La base électorale de Milei est largement composée d’une sphère de jeunes incels sans emploi : de jeunes hommes blancs hétérosexuels qui portent une vision défaitiste du monde et pensent qu’avoir une vie sexuelle est un droit fondamental inaliénable de tous les hommes, auquel ils n’accèderont jamais. En ce sens, ils considèrent que les féministes les « privent ». La prétendue liberté défendue par Javier Milei et son parti, ceux qui se disent « libertaires », est une déformation grotesque de la notion de liberté. Pour ce parti, les réseaux sociaux sont d’une importance capitale. « La Libertad Avanza » apparaît comme un phénomène politique qui sait tirer le meilleur parti de ces plateformes en se les appropriant par le biais de cyberattaques, de bots et de trolls, et en générant des fake news.

Qu’est-ce qui vous a forcée à quitter le pays ? 
Je suis la cible d’un nombre incalculable de menaces depuis un certain nombre d’années et en particulier depuis que j’ai accompagné et me suis engagée publiquement aux côtés de l’actrice Thelma Fardin, qui a rendu publique en 2018 une plainte pour viol contre l’acteur Juan Darthés pour des faits commis pendant un tournage au Nicaragua en 2009, alors qu’elle était âgée de 16 ans et que Darthés en avait 45. Non seulement Juan Darthés a été acquitté, mais Thelma Fardin a dû faire face à une campagne de persécutions sur les réseaux sociaux de la part de groupes organisés qui cherchent à faire taire les victimes d’abus sexuels. Aujourd’hui, les conditions d’une démocratie en Argentine font terriblement défaut. Les violences contre les femmes et les féminicides vont malheureusement augmenter, non seulement en raison de l’absence de politiques publiques, mais aussi à cause d’une incitation explicite à la violence masculine. Mon adresse a été divulguée sur les réseaux sociaux, un « libertarien » m’a envoyé un message me disant qu’il viendrait à la rédaction du journal où je travaille et qu’il me « mangerait le foie ». Les journalistes féministes font face à une vague extrêmement toxique de menaces. Javier Milei punit les femmes argentines qui sont à l’origine d’un changement social ou tout simplement celles qui prennent la parole. Le pacte démocratique fondé sur le respect de leur vie et de leur liberté a été rompu. On le voit dans l’acharnement public du président contre la chanteuse pop Lali Esposito pour un simple tweet où elle exprimait son désarroi en apprenant le résultat des élections présidentielles : « Quel danger. Quelle tristesse ». Il n’hésite pas à endosser le personnage du troll, dans le mépris le plus total pour la fonction présidentielle. Certaines se défendent, d’autres se font plus discrètes. Pour ma part, j’ai choisi de quitter le pays pour un temps.

Vous êtes aujourd’hui exilée en Espagne et vous avez célébré ce 8 mars en France, pays qui vient d’inscrire l’IVG dans la Constitution. Une photo de l’hémicycle français montre des députées vêtues de vert ou arborant le foulard vert. Qu’est-ce cela vous inspire ?
Un immense espoir. C’est un message politique d’une très grande force pour les femmes du monde entier et bien entendu pour les femmes argentines qui ont tant bataillé pour l’obtenir et qui en payent aujourd’hui le prix fort. Cela prouve le caractère absolument universel de ce droit. Si l’on regarde de près l’histoire des liens de solidarité entre les Françaises et les Argentines, on s’aperçoit que dans les années 70 les exilées de la dictature ont rencontré le Mouvement de libération des femmes (MLF) en France. La loi argentine pour l’IVG porte le nom de Dora Coledesky, une avocate féministe qui a fui le régime en 76 et s’est installée à Paris où elle a rencontré d’autres militantes féministes, à l’Université de Vincennes notamment. Le Manifeste des 343 l’a bien évidemment influencée. J’aime à croire que la couleur verte du foulard argentin a été inspirée par les banderoles du Mouvement de libération des femmes. L’avenir des démocraties est là, dans cette pulsion de vie portée par les femmes à travers les continents et les générations.


Ariana Saenz Espinoza

Journaliste

Mots-clés

Féminisme