Harem
1. Pétales sous la pluie
La pluie se mit à tomber.
Doucement au début, et puis plus fort.
La rue du Bac était noire, poisseuse, ricanante. Les épluchures de légumes et les pétales de fleurs chiffonnés jonchaient le macadam et le rendait glissant.
Je tentai de me protéger de l’averse en m’abritant sous l’auvent du poissonnier mais le regard qu’il me jeta me fit déguerpir. J’aurais pu écrire : me fit baisser les yeux de honte, mais aucun amour ne venait à ma rencontre.
J’étais en fuite, très seule, herem, comme on dit en hébreu, exclue de ma communauté et mise au ban. Et les yeux déjà baissés. De honte précisément.
Je mis le pied dans une large flaque noire au moment où je me disais : Reprends les faits un par un, pas à pas.
Il s’agit simplement de comprendre.
Les pieds trempés et gluants, je me sentis encore plus lamentable.
Je voulus courir pour échapper aux morsures de la mémoire, aux aboiements fantômes qui me faisaient trébucher.
Les souvenirs sont une bande de chiens.
Le dos voûté, courbé, la tête enfoncée dans les épaules, les cheveux trempés, j’avais l’air d’une voleuse, d’un petit personnage sorti imprudemment d’un roman de Balzac.
Je me cognai violemment la jambe contre un plot, je ne sentis rien pourtant, je ne pensais qu’à ma boîte en carton.
Je la tenais serrée contre mon ventre. C’était une boîte à chaussures de la marque Eram, sur laquelle quelqu’un avait écrit au marqueur noir et en grosses lettres vaguement agressives mon prénom.
Lara.
Mon foutu prénom. Comme une plaque sur une sépulture.
Une bien petite sépulture, cette boîte à chaussures. Ma vie tient dedans me dis-je. Et cela ressemblait à une prise de conscience. Tant de jours, tant d’heures, tant de minutes, et tant de peurs, tant de sacrifices et tant d’espoirs, tant de méchancetés, tant de violences invisibles, tant d’inquiétudes dérisoires, tant de projets comme autant d’autres vies rêvées. Toute ma vie dans une désolante boîte en carton détrempée.
Lara, Lara-Bouilleuse, La rabouilleuse, comme