Quatre récits
Veille de nuit
La nuit, encore. Une lueur blême, couleur de rêves évanouis, flotte au-dessus des ombres suspendues… C’est la lumière d’ambre de la lune, chagrine, qui se fraie un chemin entre les nuages de pluie. Elle joue du bout des doigts sur les toits mouillés, fait luire d’un éclat phosphorescent les flaques de boue, se reflète sur les pierres tombales. Les heures gagnent en profondeur, forment en s’imbriquant un bloc d’une seule masse. Retiré tout au fond de son cocon, le temps n’est plus qu’une respiration haletante, qui souffle sur l’éternité… Moins une respiration qu’un long soupir empli de regrets. Comme si ce lointain pays que nous appelons « minuit » hurlait seul à la mort… Cette obscurité, le silence et l’esseulement du monde, et ces pages vides, blanches.
Les mots se mettent en route, tardivement, vers la nuit d’où personne ne revient jamais… Au fil des larmes, des pièges, des gouffres, à chacun sa voie lactée, son exil infini… Le Mot se diffuse à l’horizon comme un augure, gonfle, assombrit tout ce qu’il touche, et s’imprime. Il rencontre l’odeur humaine. Telle une étoile morte, il embrase le ciel d’un bout à l’autre, l’illumine dans un sourire d’adieu glacé. Avec l’ardeur désespérée de vivre, il déroule boucle après boucle son tissu de symboles, renoue l’infini et l’unité du sens pour tisser une totalité inédite.
Veilleurs de nuit, les mots progressent en file indienne dans l’ombre, dans les dortoirs, les couloirs et les arrière-cours de la mémoire qu’ils arpentent en tous sens. Contre les murs infranchissables ils s’appuient et attendent, et pareils à l’ombre, grandissent dans la nuit. Pour l’éternité ou pour un seul instant… De leurs mains osseuses ils arrachent les pierres une à une, écoutent, prospectent. Peut-être cherchent-ils le chemin qui ramène à la vie, une porte que nul n’a encore découvert. Ils font ruisseler des secrets, ils creusent, prospectent. Dans ce lieu désolé qu’on appelle le « cœur »… Tels des fous qui n’ont pas trouvé ce qu