Un Roman Mondial
« Bien envoyé ! Qu’on les remballe chez eux par avion ! »
23 janvier 2018 – 20 h 39 min
« On écrit l’histoire, mais on l’a toujours écrite du point de vue des sédentaires, et au nom d’un appareil unitaire d’État »
Gilles Deleuze et Félix Guattari – 1980
Lorsque le courant arrive, pendant 2 à 3 heures vous vous agitez comme un fou
Pour pouvoir recharger tout
Pomper de l’eau
Vous doucher, dormir, travailler, mettre en ligne, vous refroidir
Et respirer
Tout en 2 heures
Nous devons vérifier sans cesse le générateur
Et le recharger en carburant, car il est en marche 14 heures par jour
Alors qu’il n’est fait que pour fonctionner que quelques minutes
Ça peut avoir des conséquences sur nos patients
Ça nous arrive souvent d’avoir une coupure de courant
Et ça ne se termine pas toujours aussi bien
On paie les mêmes taxes
On attend des années pour un permis de bâtir
En vain
Pour eux nous ne sommes que des…
S‘ils ferment le tunnel
Nous sommes prisonniers
Le sous-sol est gorgé d’eau, mais je ne peux pas y toucher
En été, ils viennent se baigner dans notre seul puits
On n’a eu le droit d’accéder à nos oliveraies que 2 jours cette année
Quand on a vu les flammes, nous avons appelé les pompiers
Mais l’armée les a empêchés d’approcher
Ce n’est même pas la peine d’appeler les pompiers s’il y a le feu
On nous traite comme des personnes de seconde zone
Tout dépend du capitaine
Quelquefois cela se passe bien, d’autres fois…
Quand j’allais à l’université, tout le monde arrivait toujours en retard
À cause de ces points de contrôle
3 personnes sont mortes d’infarctus
Parce qu’elles sont arrivées trop tard à l’hôpital
1 fillette de 5 ans née avec de sévères pathologies du cerveau est décédée
À la suite de 3 rendez-vous manqués dans un hôpital
On nous traite comme des animaux dans une cage
On a été arrêtés plus longtemps que l’habitude, sans aucune raison
Il faisait très chaud dans le bus fermé
Le bébé n’arrêtait pas de hurler et il est devenu rouge
Le père s’est énervé et a demandé au chauffeur d’ouvrir la porte
Le chauffeur a refusé, disant que c’était interdit
On nous traite comme des animaux, comme du bétail
Je voulais me rendre à l’hôpital, mais c’est interdit
Là-bas, ils ont refusé de me prendre
Ils m’ont renvoyée en me disant d’aller accoucher chez moi
Ça fait plus d’un an qu’on attend ici
Ils n’ouvrent jamais la porte
À chaque fois ils annoncent l’ouverture sur Facebook et sur Internet
Mais il ne se passe rien
Les antennes de téléphonie mobile sont systématiquement détruites
Isolant totalement de nombreuses familles
Ils ont commencé par complètement bloquer l’alimentation en eau de la ville
Ils sont venus avec 10 gros bulldozers avec près de 70 soldats
Je les ai suppliés
L‘un de mes frères handicapé se trouvait bloqué dans la maison
Nous avons dû le porter alors que le bulldozer tapait dans le bâtiment
On nous traite comme des sous-hommes
Ils leur ont dit foutez l’camp
Pour eux, nous sommes tous des terroristes
- – – – –
Ils confisquent les terres selon leur bon vouloir
La nuit, des hommes venaient piller nos jardins
Ils patrouillent parfois dans les cages d’escaliers
Ils foutent des coups de pieds dans les portes
Et crient : « Vous dormez bien, les minables ? »
Cela dure une demi-heure et puis ils repartent
Mon commerce a été brûlé
Ils détruisaient tout
Volaient nos bêtes
Ils ont pris mes seize vaches, plusieurs étaient en gestation
Je les ai suppliés
Ils ne m’ont rien laissé
Ils ont brûlé les récoltes avec des munitions incendiaires
Ils ont tué les chèvres, les vaches
On n’arrivait plus à trouver de quoi manger
Nous n’avions même pas d’herbe à manger
Ils ont entièrement brûlé la terre
Ils sont partis avec mon camion, qui est mon seul moyen d’existence
- – – – –
J’ai été arrêté un jour par les forces gouvernementales
On m’a mis dans une cellule avec plusieurs dizaines de personnes
J‘y suis resté pendant 2 mois
Quand on m’a sorti de là on m’a demandé de ramener de l’information
Mais je ne voyais pas de quoi il s’agissait
Dénoncé, j’ai été arrêté avec mon frère
Quand j’ai compris pourquoi on m’avait arrêté, j’ai eu vraiment peur
J‘ai ensuite été transféré dans une cellule sans fenêtre, sans toilettes, à dormir par terre
Des armes blanches étaient accrochées aux murs, elles servaient sûrement pour la torture
On s’est retrouvés dans une cellule pendant un certain temps
Puis des gens sont venus chercher mon père
Ils m’ont jeté dans le coffre et m’ont emmené dans un endroit abandonné
C’était leur dernier avertissement
Ma famille était terrifiée
J’avais des traces de lames de couteau sur tout le corps, des cicatrices partout
Je ne fais plus de nouvelles rencontres
J’ai tiré une croix sur ça, je ne sors plus le soir
J’ai eu de gros problèmes de santé, un cas d’infection
Il a fallu en camoufler les causes
Mais l’hôpital n’a pas voulu me soigner
Un jour, il est venu chez nous et nous a demandé de le suivre au commissariat
J’ai été arrêté, interpellé dans le hall d’un hôtel, avec 2 amis par des policiers en civil
Ils nous ont aussi demandé de payer 5 millions de Francs CFA
Pour ne pas envoyer l’affaire devant la justice
Ils nous ont conduits à la police judiciaire
Où nous avons été gardés 3 jours, sans procès verbal, sans être entendus
Ils gardaient nos téléphones allumés
N’importe quel homme qui appelait ou envoyait un message était une nouvelle cible
Il m’arrachait les cheveux par poignées
Puis il a pris des ciseaux à volaille et me les a enfoncés dans la tête
J’ai repris connaissance à 8 heures du matin, couvert de sang
Le visage bleu et les reins meurtris
Si un de mes proches l’apprend, il n’hésitera pas une seconde à me tuer
Ce n’était pas la première fois que mon frère allait tuer quelqu’un
Mais dans la forêt, il continuait à me dévisager sans se décider à passer à l’acte
Ses parents n’ayant pas la force de le faire
C’est finalement son oncle qui l’a poussé dans le vide
Et s’ils ne le font pas
Alors ils se feront tuer pour ne pas avoir rétabli l’honneur de la famille
Beaucoup de gens craignaient de m’abriter
Je n’avais pas le choix, j’ai déménagé ici
J‘étais une cible
Nous ne pouvions plus avoir confiance en personne
Après sa mort, on s’est dit qu’on allait tout arrêter, car on avait trop peur
En tant que défenseurs, nous sommes très exposés
En novembre 2014, on s’est enfui tous les deux
Mon frère a dit qu’il avait soif, le chauffeur l’a sorti de la voiture, en plein désert
Je n’ai jamais revu mon frère
Il puait l’alcool et me hurlait dessus
Pour que je finisse par dire que mon mari soutenait les maquisards
Je n’ai même pas crié, ça lui aurait fait trop plaisir
J’ai juste perdu connaissance
Il est sorti et est revenu avec un couteau
Je n’ai pas ressenti la douleur
Mais je regardais ces coupures et j’avais l’impression que ce n’était pas moi
Puis il m’a tranché la nuque avec le couteau
Ils me tapaient avec une matraque
Mais elle est épileptique, sa mémoire est défaillante
Pour la punir, ils la frappaient avec un bâton
Et la piquaient avec une aiguille à chaque fois qu’elle commettait une erreur
Quand je perdais connaissance, ils m’aspergeaient d’eau et recommençaient
Avant le marteau, je pensais qu’il n’y avait rien de pire que les matraques
Mais j’ai compris que la matraque n’était rien
Ils ont apporté une plaque en fer avec des clous pointés vers le haut
Ils m’ont fait tenir debout sur les clous
Ils l’ont attaché à mes testicules et m’ont obligé à me lever
Ceux qui refusaient étaient roués de coups
Et forcés à boire, en leur maintenant la tête en arrière
On nous faisait ingurgiter de force de l’eau
Par la bouche et le nez
Ensuite ils appuyaient sur nos poitrines avec leurs bottes
Et faisaient sortir l’eau par nos bouches et nos narines
On nous a fait manger du sable
Certains ont fini par craquer et ont avoué, alors que c’était faux
Je ne pouvais pas comprendre
J’ai compris après que j’avais signé des aveux
L’avocat n’est pas venu
Ils ont simplement lu ce que j’avais signé après avoir été torturé
Après 1 mois d’interrogatoire, j’ai dû signer un papier sans même avoir pu le lire
Ils m’ont jugé sans aucune enquête et condamné à 36 ans de réclusion
– – – –
Vers 9 heures du matin, un premier groupe d’assaillants est arrivé
À dos de chameau
Puis un deuxième groupe à cheval
Et le troisième groupe en voiture
Ils sont venus dans notre village vers 8 heures du matin le 25 août
Nous étions tranquillement en train de boire au cabaret
Nous avons entendu des hommes entrer dans notre village
Des hommes en civil sont entrés dans les maisons
Les hommes en tenue sont arrivés et se sont mis à tout casser dans les maisons
Ils nous encerclaient de tous les côtés possibles
Nous ne pouvions nous enfuir, ni par l’ouest ni par le nord
Ils ont confisqué tous nos téléphones portables et ont encerclé le village
Ils ont annoncé par haut-parleur
Que les hommes de 15 à 45 ans devaient sortir de chez eux
Elles ont chanté des chansons pour encourager les hommes durant le pillage
Ils ont même déterré la nourriture que nous avions cachée
À l’école, ils nous ont triés
Ils les mettaient à l’arrière de leurs pick-ups
Ils nous ont mis dans une camionnette
Ils nous ont forcés à monter dans des camions
Ils ont séparé les hommes et les femmes
Ils ont commencé à nous couper les lèvres et les oreilles à l’aide d’un rasoir
Le vieux souffrait tellement
Qu’il les a suppliés de l’achever plutôt que de le faire souffrir de cette façon-là
Ils ont d’abord égorgé les hommes et ont poignardé les femmes et les enfants
Ils ont égorgé 3 enfants devant nous
Puis ils nous ont toutes violées
Nous les avons suppliées à genoux
Nous leur avions donné tout notre or
Et ils nous avaient promis de ne pas tuer nos maris en échange
Mais, après avoir pris mon or, ils ont quand même égorgé mon mari
Quand il a été mort, ils ont mis le feu à son corps
Je les ai suppliés de m’achever
Il m’a dit que je devais avoir des relations sexuelles avec lui
Ou bien que je devrais avoir des relations sexuelles avec tous les autres soldats
Donc je n’avais pas le choix
Il y avait une bouteille de bière, ils l’ont cassée et l’ont enfoncée dans mon vagin
Ils ont bien vu que j’étais enceinte mais n’en avaient rien à faire
Elle poussait des cris, elle demandait de l’aide, sans succès
Les autres ne pouvaient rien faire
L’un des assaillants a déchiré son pagne et l’a violée
Je les ai suppliés
Puis il lui a tiré dessus et ensuite sur les autres
Vers 18h, ils ont mis le feu au marché
Et ont commencé à incendier des maisons
Ils jetaient les enfants dans le feu, sous nos yeux
D’autres étaient fracassés contre les murs, jusqu’à ce qu’ils meurent
Ils les ont accrochés aux arbres avec leurs cordons ombilicaux
Moi aussi j’ai sauté dans la rivière
Ils ont pris ceux qui étaient restés sur les berges
Et ils ont séparé les hommes et les femmes
Ils nous ont tués comme des animaux, comme des choses sans valeur
Certains décapités
Ils ont pris les têtes et joué au foot avec elles
Certains ont été forcés à se jeter dans le vide depuis des falaises
Ils ont forcé les hommes à creuser un grand trou
Ils ont jeté les cadavres dans le trou et ils ont mis de l’essence et tout brûlé
Caché dans un arbre, il assistait impuissant au massacre de son village
Je suis resté là tout seul, attaché à l’arbre, jusqu’au mercredi
Ça a duré 5 jours
Ma maman me manque
Sur 16, on est 2 survivants
Nous les avons perdus, je n’ai aucune nouvelle
Je rêvais de revoir son visage, ne serait-ce pour quelques minutes avant de mourir
Nous l’avons appelé sur son téléphone portable
Mais c’était une autre personne qui nous a répondu
Et qui nous a dit qu’il était en train d’être tué
Je les ai suppliés
Une des villageoises est sortie de sa maison, elle était rouge
La peau se décollait de son corps
Il est dans la cave de la maison, terré
Les soldats ont jeté des grenades par le soupirail
Il vivait encore quand ils ont mis le feu aux pneus
Les militaires ont commencé à tirer
Tout le monde a couru et j’ai perdu de vue mes parents
Certaines personnes s’enfuyaient, d’autres se cachaient au plafond
C‘est elle qui m’a dit de fuir alors que les 2 hommes étaient encore dans la maison
Je n’ai pas pu emmener ma tante
Les autres n’ont pas réussi et ont tous été brûlés vifs
Quand je suis sorti dans la rue il y avait les corps de 2 de mes voisins qui brûlaient
Comme des brochettes
Des soldats pillaient ma maison
Mes voisins leur ont donné 200 dollars, mais ils les ont quand même tués
Ils ont été emmenés de force puis exécutés un par un
D‘une balle dans la tête
Ils ont tué mon frère
Puis ils m’ont jetée de côté
Un des hommes m’a mis une main sur la bouche et m’a maintenue immobile
Lorsque son mari a tenté d’intervenir, les combattants l’ont abattu
Il a placé la pointe d’un couteau contre mon flanc
Et l’a maintenu là pendant que les autres me violaient
Puis, ils l’ont laissée là, attachée sur la toiture plate
Se consumer sous le soleil et mourir de soif
Tout s’est passé le même jour
Ils ont pris l’essence, l’ont versée sur le véhicule
Ils brûlaient tout
Quand nous avons vu cela, nous avons décidé de fuir
Avec mon frère nous avons ramassé quelques affaires, et nous avons couru
Le village a été complètement brûlé
Après mon départ, mes parents m’ont parlé de crucifixions, de pendaisons publiques
Et de gens enterrés vivants
Ceux qui sont découverts sont exécutés publiquement, puis décapités
Et leurs têtes retirées
20 corps ont été exposés dans divers endroits en guise d’avertissement à la population
Ils demandaient souvent aux enfants de tuer des gens dans la brousse
Ils ont d’abord ligoté la personne
Puis ils m’ont demandé de le tuer avec un gros bâton
J’ai vu 10 personnes se faire tuer comme ça
Chaque fois elles étaient tuées par d’autres enfants qui avaient été enlevés
Ils choisissaient les victimes au hasard
Puis ils nous donnaient l’ordre : « Prends ton gourdin, tue cet animal »
La jeune femme se tient debout dans un trou creusé dans le sol
D’où seule sa tête dépasse
Un homme vêtu de noir ramasse une pierre et la lui lance à bout portant
Puis 3 de ses compagnons l’imitent
Elle a été déterrée
Mais des infirmières ayant constaté qu’elle était encore vivante
Elle a été remise en terre pour être achevée
J‘ai fui avec d’autres villageois
J‘en avais un de plus qui avait 5 ans
Elle courait la dernière, moins vite que nous, essayant de nous rattraper
Un soldat a fait un grand moulinet avec son fusil et lui a fracassé la tête
Et elle est tombée
Nous avons continué à courir
Nous avons traversé des rivières et des forêts
Nous avons marché pendant 7 jours jusqu’à la frontière
Au bord de la route, j’ai vu des morts
Certains avaient les mains et les jambes coupées
Sur 5 kilomètres, je n’ai pas arrêté de marcher sur des cadavres
Avec les intestins hors du corps, c’est affreux
– – – –
On a cheminé à travers la brousse
Parce que si on rencontre des soldats, on risque de se faire tuer
À un moment, ils ont bombardé une voiture devant nous
Je n’ai pu ni crier, ni parler, ni pleurer
Je regardais comme un robot
Ils étaient lourdement armés
Ils nous ont obligés à les accompagner
Nous avons marché 15 kilomètres et traversé plusieurs villages
À chaque fois, les habitants devaient se joindre à nous
Nous formions comme un troupeau
On dormait debout
Ils nous emmenaient dans la rue où on devait se soulager, les mains toujours attachées
Ils ont demandé à un homme de nous aider
Quand j’ai demandé à aller aux toilettes ils m’ont dit de faire dans mon jean
Il y avait 3 toilettes pour 300 personnes
Ils ont été emmenés, je ne sais pas où
Des hommes venaient, les choisissaient et les emmenaient
Pour eux, nous valons moins qu’un animal
Quand elles revenaient, elles saignaient et pleuraient
J’ai été donnée comme épouse au commandant du groupe
Ils chantent et ils disent que nous ne sommes que des esclaves
Qu’ils peuvent faire de nous ce qu’ils veulent
Ils nous ont déshabillés
Et fouettés pendant que nos familles étaient au téléphone
Ils nous servaient une boisson rouge à boire
C’était du sang
Parfois, ils tirent près des pieds
Mais parfois ils ratent et tirent dans le cœur
3 personnes qui étaient avec nous ont été sorties de la cellule par les militaires
Et tuées devant nous à coups de machette
Il a sorti les 3 enfants en les jetant au sol comme des pommes
Je les ai suppliés
Il a tiré dessus
Ils ont filmé la vidéo et nous l’ont montrée :
« Regardez votre ami, c’est ce qui va vous arriver bientôt »
Je pensais : « demain ça sera mon tour, après-demain ça sera mon tour »
Chacun de nous sait qu’il a été le bourreau de quelqu’un d’autre
Un jour, ils m’ont demandé d’égorger ma sœur
J’ai refusé, alors ils m’ont brisé les doigts des deux mains, un à un
Le secouriste a eu moins de chance
Il a été décapité après 55 jours de détention
On m’a forcé à appeler mon père
J’ai eu à peine le temps de hurler où j’étais, il s’est évanoui
Alors que j’étais au téléphone avec mes parents, ils me frappaient
Pour que mes parents entendent mes cris et tentent de négocier
Lorsque mon grand frère a entendu mes pleurs, il a vendu sa moto
Mon père est agriculteur, il n’a pas d’argent, il a vendu notre maison
Je priais Dieu pour qu’il me laisse mourir vite
Que celui qui n’a jamais entendu son enfant, son frère ou sa sœur
Hurler à la mort
Se pose la question : « qu’aurais-je fait à sa place ? »
Ma maman me manque
– – – –
Je cherchais de la farine de sorgho pour ma femme, les avions sont arrivés subitement
Et nous ont bombardés
Hier, en milieu d’après-midi, le pilonnage a été intense
Les zones autour de l’hôpital ont été touchées
Nous avons peur d’ouvrir une porte et de tomber sur une bombe
On voyait les avions passer au-dessus de notre jardin
Les bombes explosaient de partout !
Le souffle a fait éclater les fenêtres de notre appartement
Et les éclats de verre l’ont grièvement blessé
Des dizaines de personnes sont ensevelies sous les décombres
Certaines encore en vie
Mais les secours ne peuvent plus leur venir en aide à cause des bombardements
Les médicaments ne peuvent plus être acheminés par avion
On n’a pas de quoi endormir et opérer
Malheureusement, pour beaucoup d’entre eux, il est déjà trop tard
Et ils meurent peu après leur arrivée
Nous ne pouvions plus vivre à la surface à cause des bombardements
J’ai crié pour dire à tout le monde de courir
Mais la bombe a explosé avant que la plupart des gens aient pu sortir
Le ciel est encombré d’avions de combats, d’hélicoptères qui volent à très faible altitude
Impossible de savoir qui nous tire dessus
Des enfants sont restés dans un abri souterrain pendant 4 mois
Ils tirent sur tout ce qui bouge
Et ne font aucune distinction entre un adulte et un enfant
Les gens courent sans savoir où aller
C’est la fin ici
Il y en a qui sont enterrés vivants sous les décombres
D’autres qui sont blessés dans les rues
Personne ne peut les aider, les bombardements ne s’arrêtent pas
C’est le jour du jugement dernier
Une extermination
Croyez-moi
Un baril d’explosifs a été largué sur notre immeuble
Qui s’est totalement effondré
Tous les habitants ont péri, dont mes parents
J’ai vu un chien qui tenait quelque chose dans sa gueule
J’ai pensé que c’était un rat
Puis j’ai regardé un peu mieux
Le chien tenait une tête d’homme décapité
Nous n’avions plus le choix
Lors du premier massacre
Quand j’ai vu un homme à la jambe arrachée, je me suis senti mal
Et me suis évanoui à la vue du sang, car c’était la première fois
Maintenant c’est une scène habituelle pour moi
On était affamés depuis 3 jours
J‘ai vu des gars qui ont découpé les cuisses de l’un des morts
Ils l’ont mangé devant mes yeux
– – – –
Le moment venu, nous sommes partis pendant la nuit
Emportant seulement de l’eau et nos papiers d’identité
Nous avons marché 24 heures, dans le vent, la neige, le froid
En arrivant le chauffeur a dit qu’il n’avait pas été payé
Et nous avons été vendus sur un marché aux esclaves
On nous vendait comme des légumes
J‘ai été vendu pour 1.000 euros
Nous étions entassés dans des entrepôts
Nous avons marché pendant 8 heures
Nous étions quatorze
Nous avons vu des hommes brandir des armes à feu et des bâtons
Ils nous ont forcés à monter dans des camions
Parmi nous, il y avait une fille
À chaque barrière, on nous déshabillait et ils avaient un rapport sexuel avec elles
S’il y en avait 10, tous passaient
Ma maman me manque
Alors j’ai marché pendant 3 jours
Il me dit qu’une voiture allait partir le lendemain
J’ai dit que je n’avais pas d’argent
Il me propose de signer un contrat
Dans lequel je m’engage à lui rembourser le voyage
En travaillant pour lui une fois arrivé
J’accepte
Tout le monde était armé avec des Kalachnikov
Ils ont commencé à gronder tout en nous disant de monter à l’arrière de la voiture
On nous a attachés et le voyage a commencé
Quand on te frappe, on t’oblige à aboyer
Tu dois pleurer comme un chien
Celui qui veut un travailleur dit : « Je veux un animal »
C‘est là que j’ai compris que j’avais été vendu
J‘ai été vendu 4 fois
Le policier m’a ensuite vendu pour 500 dinars à un homme qui m’a fait travailler
Quand on m’a vendu, j’étais avec le petit frère de ma maman
Lorsqu’on nous a vendus, on nous a vendus à… je crois bien à… 1000… 1000 dinars
J’ai été vendu 1000 dinars
On nous a vendus nous 2
On nous a vendus pour gagner de l’argent
Comme si vous vendiez une paire de chaussures ou un téléphone, un smartphone
Comme ça là…
Il vient te chercher et te met dans le coffre de sa voiture
La personne venue m’acheter, leur a donné l’argent
Et ils m’ont amené à la maison
On te vend de prison en prison
On était 100, le mec envoie 70 morceaux de pain
Et là les gens se battent
Et les gardiens de prison nous filment, ça les fait rire
Une somme d’argent était négociée entre ces hommes et le gardien de prison
C‘est le gardien qui recevait de l’argent !
Il nous ont même vendus aux rebelles
On nous faisait passer de ferme en ferme
Certains étaient abattus s’ils travaillaient trop lentement
J’ai été brûlé avec des cigarettes, avec des tasers…
On est battu avec des câbles électriques
Parfois ils introduisaient même en nous des objets tranchants
Vous êtes battus pour que vos familles payent de l’argent
Après la première semaine, ils commencent à te frapper pour que l’argent arrive plus vite
Quand il aura été payé mon mari pourra travailler pour lui et racheter sa liberté
J‘ai mis 8 mois avant de pouvoir payer et de pouvoir partir
Dans la cour, il y avait les conteneurs dans lesquels les filles étaient arrivées
Serrées à 5 ou 6 à l’intérieur
Si elles refusaient de se prostituer, les gardiens les enfermaient pendant quelques jours
Dans une pièce, sans eau ni nourriture et les forçaient ensuite à le faire
Si elles n’étaient pas assez productives, les gardiens leur mettaient un voile
Et les vendaient
Il m’a emmené dans une sorte de hangar, où au moins 200 Noirs étaient entassés
Cernés par des hommes en armes
On mangeait une seule fois par jour, le soir, à 19 h, un morceau de pain
– – – –
Nous avons marché pendant plusieurs jours à travers la forêt
Nous étions affamés
Nous avons pu survivre uniquement en mangeant des feuilles d’arbres
Nous avons marché pendant six heures jusqu à un village
Nous avons marché pendant trois jours
Sans nourriture ni eau, sans habitation ou village en vue
Il ne pouvait plus marcher
Je l’avais soutenu avec mon épaule pour continuer d’avancer
Mais à un certain moment, je me suis arrêté
J‘ai pleuré et je l’ai laissé là
Nous étions trop faibles pour les aider
Ils sont morts
Pendant environ 25 jours, nous avons marché
Presque tout le temps dans la neige, de nuit uniquement
J’avais très peur de me faire à nouveau kidnapper
Le père tombe à genoux sur le sol boueux et éclate en sanglots
Il vient de repérer sa fille qu’il n’a pas vue depuis un an et demi
En raison de la guerre qui a coupé leur ville en deux
J‘avais 17 ans quand nous sommes arrivés dans le camp
C‘est ici que j’ai passé toute ma vie d’adulte
Mes sœurs sont ici
Je n’ai nulle part d’autre où aller
Le pays n’est pas en paix, il n’est pas possible de rentrer
Je l’ai déjà fait une fois et regardez ce qui s’est passé
J’ai laissé là-bas ma femme enceinte
Aujourd’hui, j’ai un petit garçon de 4 ans, je ne l’ai jamais vu
Mais si je retourne au pays, je me ferai tuer
Mes enfants, ils ne sont jamais sortis du camp
Ils ne verront peut-être jamais leur pays
Je suis réfugié ici depuis 24 ans
J’ai passé 20 ans d’un camp de réfugiés à l’autre
Mais il y a un camp où nous sommes restés 9 ans
Nous ne sommes pas autorisés à sortir de cette zone
Nous ne sommes que des réfugiés de l’autre côté du fleuve
Nous n’avons pas le droit de sortir d’ici
On vit comme des volailles, enfermés dans un poulailler
Mon enfant va naître ici comme un animal
Je n’ai déjà plus rien à donner à mon enfant
Nous n’avons même pas d’eau potable
Je n’en peux plus
Si nous restons, nous allons mourir de faim
Je n’ai plus qu’un jour d’insuline devant moi
Mais nous n’avons pas d’argent pour payer les passeurs
Après, je ne sais pas ce qu’on fera
Regardez ma tête il y a 5 ans
Et regardez-moi
Comme je suis vieux aujourd’hui
– – – –
C’est très facile de trouver un passeur, chaque café est plein de passeurs
Ils vous disent : « Où voulez-vous aller ? »
J’ai passé 10 jours enfermé dans une maison avec d’autres réfugiés
Après 10 jours, ils nous ont amenés au port
Sur le bateau, les passeurs nous ont confisqués nos téléphones
Et nous ont enfermés pendant la plus grande partie du voyage
Ils ne nous ont pas donné à manger ni à boire pendant 36 heures
Il n’y avait pas de toilette dans notre pont
Nous avons dû donner 4.000 euros à un chauffeur de camion
Le passeur m’a demandé 1.200 dollars
Ceux qui avaient payé le moins étaient enfermés dans la cale
D’autres ont payé 2.500 euros
Parce qu’on leur a fait croire qu’ils allaient monter dans un vrai bateau
Là, on a pris un petit bateau en plastique avec 50 personnes
Notre bateau a chaviré après 200 km et seulement la moitié des personnes a survécu
Nous étions 33 sur un petit bateau de pêche
Le voyage a duré 8 jours, j’ai cru que j’allais mourir
Plusieurs personnes sont mortes, dont un enfant
On a jeté leurs corps par dessus-bord
De nombreux passagers sont morts avant que l’on vienne à notre secours
J‘ai réessayé une semaine après
– – – –
Cette fois, mon nom est à nouveau sur la liste pour lundi
Je ne peux pas dormir
Ils vont me scotcher la bouche, les mains
Et ils vont m’emmener à l’aéroport
J’ai eu ma mère hier au téléphone
Elle m’a demandé de ne pas rentrer
Elle m’a supplié, m’a dit que ma vie était en danger
– – – –
Je me rappellerai toujours qu’en descendant du car
En Bretagne, le maire était là
Il a commencé son discours en parlant arabe
J’étais très ému
Ma maman me manque
Avril 2018