Récit

Bas la place y’a personne

Écrivaine

Dolores Prato (1892-1983), née bâtarde, fut élevée par un prêtre et sa sœur («les oncles») à Treia, une petite ville des Marches. Femme indépendante, antifasciste, auteure de récits et poèmes, celle qui se disait être une «personne inconclue» a entièrement recréé le monde de son enfance dans Bas la place y’a personne comme peu de récits d’enfance savent faire : à hauteur d’enfant, d’une petite fille livrée à elle-même, seule face aux mystères de la vie. La publication originale avait été une révélation en Italie ; mais elle était incomplète. Dolores Prato n’en verra pas la publication intégrale. AOC, qui en publie un extrait en avant-première, conclut sa série de prépublications estivales sur ce texte promis à devenir un classique.

Des trois prêtres hiérarchiquement les plus importants, le dernier, l’archidiacre don Ulisse, maigre, très grand, visage étroit et long, si coloré que s’il avait été pape il aurait fait penser à un cierge allumé, habitait à la Rotonde ; les deux autres, l’archiprêtre et le vicaire, résidaient dans les Rues Basses.

L’archiprêtre, don Nicola Graziosi, petit, très maigre, droit et tordu comme une ligne brisée, dans un grand camail gonflé d’un peu de lui, et d’un peu d’air : je ne sais ni l’endroit où il habitait ni avec qui. Mais la jeune femme enfuie avec son amoureux à trente ans, quand elle aurait déjà dû avoir un peu de jugeote, ou s’être jetée à l’eau tout habillée, devait être sa nièce. Elle s’enfuit de là, des Rues Basses. Je me souviens d’elle : elle avait un peu le visage d’une vieille avec un semblant de menton qui deviendrait avec le temps comme celui de la Bonomi naine, Peppina comme elle. Un prêtre à la maison conditionnait un peu toute la famille, surtout les nièces. Peppina était une nièce, elle avait certainement conquis l’estime du village pour qu’il y eût un tel tapage quand, elle, fade et estimée, « s’enfuit ».

S’enfuir signifiait partir avec un homme et puis recoller avec le mariage les pots cassés dans la fuite. Tous la condamnaient. Si elle n’a pas de jugeote à sa trentième année, jette-la à la rivière tout habillée. Je pensais : « Et si elle s’y était jetée elle-même ? »

Jamais cette nouvelle ne circula, même pas comme supposition, mais pas non plus qu’elle fût revenue.

De la maison du vicaire, le plus important des trois parce qu’il remplaçait l’évêque, don Argeo De Mattia, éminent savant comme l’étaient alors beaucoup de Trejesi, ecclésiastiques et laïcs, sortait madame Artemisia ; au milieu de la rue Amos, immobile et droit, visage rond et brun, l’un des deux jumeaux neveux du vicaire ; l’autre s’appelait Matteo.

Le vicaire don Argeo, haut comme un peuplier, boitait avec un naturel élégant, s’appuyant à une mince canne noire. Artemisia était u


[1]. Angelo Litrico (1927-1986), célèbre couturier installé à Rome.

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Notes

[1]. Angelo Litrico (1927-1986), célèbre couturier installé à Rome.