Des monstres magnifiques
Le jeune garçon prépare le petit-déjeuner de sa sœur – des œufs au plat et des saucisses surgelées, blanches de givre – quand il voit un homme croquer dans une pomme de l’arbre juste devant la fenêtre. Il en lâche sa spatule. C’est une belle matinée ensoleillée et venteuse, et un pan du tee-shirt de l’inconnu ondule à chaque rafale. Jamais il n’a vu d’homme adulte en chair et en os, seulement dans les livres, et le spectacle est à la fois plus et moins effrayant qu’il ne s’y attendait. L’inconnu cueille une deuxième pomme, plus haut dans l’arbre, et la dévore en quelques bouchées. Il est barbu, grand comme une ombre, mais le plus bizarre ce sont ses mains. Elles paraissent énormes, grotesques, aussi maladroites que des crabes. Leurs veines saillantes bifurquent aux jointures. Il cueille d’autres pommes et les met dans le sac à dos à ses pieds, baissant la tête si bien que le garçon aperçoit entre ses cheveux le sommet de son crâne dégarni, pâle comme une soucoupe.
Sa sœur le rejoint près du fourneau et chuchote : Qu’est-ce qu’il veut, tu crois ? Elle regarde la créature hideuse dépouiller leur pommier de ses fruits ; son frère risque de se retrouver au chômage, ils ont besoin de ces pommes. Le blanc des œufs commence à griller.
Je ne sais pas. Il a dû s’éloigner des bois.
Je les imaginais moins… laids, dit sa sœur.
Le visage moite de l’homme est barbouillé de cendres, et le garçon se demande s’il n’a pas pleuré. Une brindille est accrochée à sa barbe. Il ne le trouve pas laid – plutôt fascinant, en réalité –, mais ne l’avoue pas à sa sœur qui possède un album de bande dessinée plein d’images interdites de pères très beaux, des pères agiles, élégants, qui jouent au baseball avec leur fille ou la font sauter dans les airs. Il n’y a rien d’élégant chez cet homme-là, dont le pantalon crasseux semble – comme son tee-shirt – avoir été taillé dans une peau de cerf. Ses pieds nus sont noirs de suie. Derrière lui, les montagnes calcinées par deux semaines de feux de forêt fu