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ROCKLIN
Je l’ai vue sortir de la cuvette
de nos collines, les arbres disparaissaient,
mois après mois, remplacés par des routes lisses,
des écoles vides, des culs-de-sac* et des parcelles taillées dans la masse,
des maisons inachevées, des murs antibruit qui incurvaient
les routes en larges sourires de ciment. On
y allait dans les voitures de nos parents – dépassant
les manoirs en toc –, jusqu’aux ronds-points en marguerite,
les feux encore dans leurs housses de mousseline
oscillant lentement dans la brise d’été,
l’air si sec et si chargé de pins qu’on pouvait entendre
les coups de marteau à des kilomètres.
Une ville fantôme, sans ce bruit. On
s’asseyait dans le stade inachevé du lycée, au bord
de ce qui deviendrait les gradins, le multiplexe
à moitié construit au loin, on écoutait le rien
devenir quelque chose, en attendant que le ciel
vire au violet, que le trafic se taise.
Bientôt l’heure du couvre-feu, alors on rentrait à fond à travers
la ville désormais sans limites, radios poussées à bloc
pour noyer nos cœurs lancés à toute allure, les pneus crissaient
sur les grandes artères veloutées. On pensait
que ça ne s’arrêterait jamais,
le ciel vide, cette ville sans importance,
et on retenait notre souffle en éteignant
les phares pour brûler les feux rouges.
BEYROUTH
pour N
Ce château d’eau rouillé tombant
en ruine c’était la salle de cinéma
où les amants s’asseyaient dans une sidération enfumée
pendant que James Bond allumait ses cigarettes.
Le centre commercial tapissé de miroirs
où l’on vendait des jeans belles-fesses et des montres clinquantes
avait longtemps été un souk, où un vieil homme
vendait du za’atar pour quelques pièces.
C’est ici, au coin, que ton père
expliqua au revolver enfoncé dans sa bouche :
il retournait en voiture à
l’appartement pour récupérer le chien
que tu y avais laissé, l’appartement attribué
au chef du Deuxième Bureau,
car lorsqu’un homme comme lui demandait une faveur
il n’avait pas besoin de demander, et on ne refusait pas.
C’es