Roman (extrait)

Jusqu’à ce que les pierres deviennent plus douces que l’eau

Écrivain

Un jeune Portugais revient chez lui, après vingt-sept mois de guerre en Angola, avec un petit garçon noir, un orphelin. Quarante ans ont passé et, comme tous les ans, cet homme, sa femme, son fils adoptif, sa bru, sa fille se retrouvent au village pour la tue-cochon traditionnelle. On le sait dès le prologue, le même couteau servira à tuer et le cochon, et le père. Comme une sorte de tombeau pour des milliers de soldats, un flot de paroles dense et fragmenté, une coulée d’images diffractées et cruelles donnent corps à cette guerre sans fin. Le père, le « fils nègre » et la fille racontent tour à tour ; c’est sous forme polyphonique qu’António Lobo Antunes, dont l’œuvre sera bientôt publiée dans la Pléiade, a construit son roman (à paraître chez Christian Bourgois). Le premier chapitre clôt notre série d’avant-premières de littérature étrangère promise en cette rentrée d’hiver.

Et cette nuit, comme tant de fois depuis quarante-trois ans, j’ai encore rêvé de l’Afrique, pas des attaques qui commençaient toujours avec la mitrailleuse que les soldats appelaient la petite couturière et qui se mettait à chanter au bord de la piste, c’est-à-dire les cent mètres de terre battue sur laquelle l’avionnette rebondissait, ni des embuscades ni des mines, juste de moi devant les barbelés en train de penser à Lisbonne, voyant le fleuve, les bateaux, les maisons
(des toits et des toits)
depuis la fenêtre du salon chez mes parents, les pigeons tournoyant autour de l’église, ma mère dans la cuisine
— Mon grand
pour que je vienne lui ouvrir le pot de compote
— Tu veux bien m’aider je n’y arrive pas
et le bac à laver le linge dans la véranda, la bassine remplie de chemises laissées à tremper, une de ses robes, deux, sur l’étendoir, l’atelier de M. Abílio, des mouettes tout là-bas et c’est alors, en Angola rien qu’un milan immobile dans les airs, et c’est alors que je me suis réveillé
— Où est-ce que je suis ?
j’ai mis un moment à comprendre qu’ici et que la guerre est finie, la guerre est finie, ma femme tâtonnant sur la table de chevet jusqu’à ce que le réveil
— Si tard déjà ?
surgisse dans sa main, pas la fille à qui pendant vingt-sept mois j’ai adressé des lettres énamourées mais celle avec qui je me suis marié et qui n’était pas tout à fait la même, avec des restes de maquillage implorant
— Ne me laisse pas
sur ses joues privées de la protection de ses lunettes, tristes, dans un rien de temps je vais retrouver du coton avec des traces de fard oublié sur le lavabo à côté du tube de dentifrice tout aplati
(je n’ai pas souvenir d’un tube de dentifrice à inaugurer, dont on transperce l’opercule avec une petite pointe, dans le verre avec les brosses à dents, la tienne, la mienne et une autre, à moitié chauve, qui a certainement dû être à toi vu que les miennes je les balance à la poubelle, j’adore appuyer sur la pédale chromée et voir ce truc s’ouvrir avec une énergie soudaine)
et en voie de momification, ma femme par ses sourcils relevés, pas par sa bouche, toujours à regarder l’heure
— Si tard déjà
tandis qu’un peloton pénétrait dans notre chambre de retour de brousse, sans me prêter la moindre attention, les hommes pas rasés, à bout de force, certains laissant traîner la crosse de leur arme même si moi, remettant les franges comme il faut
— Attention au tapis
puis disparaissant dans le baraquement de bois et de tôle de la chambre tandis que le sous-lieutenant conversait à voix basse avec le capitaine en désignant quelque chose par-delà les cases du village au-dessus duquel planaient des condors, cinq, six, et l’ordonnance affecté au mess, tué il y a peu dans une attaque, ma mère
(l’ordonnance Bichezas, Bichezas)
agitait des gamelles en alu toutes cabossées dans le réduit auquel on donnait le nom de cuisine, ma femme, plus intelligente derrière ses lunettes
— Tu vas te doucher en premier ou j’y vais ?
et donc chaque cil une patte sans que pour autant ses yeux ne courent sur son visage, se fuyant l’un l’autre en ayant peur de moi, ils me fixaient avec une sorte d’appréhension
— Je déteste quand tu me dévisages comme ça
peut-être dans son esprit d’une manière trop brutale parce que
— Excuse-moi
sa bouche un léger tremblement et quelle horreur ce léger tremblement de sa bouche, si au moins j’arrivais à avoir pitié, à te sourire, te prendre le menton je ne sais pas, t’embrasser sur le front par exemple mais j’en suis incapable, j’ignore pourquoi mais j’en suis incapable, le sous-lieutenant tout juste revenu de brousse allongé sur son lit fixant le plafond sans penser à Lisbonne, ni au fleuve, ni aux bateaux, ni aux maisons, ni aux toits, quand ils faisaient le tour de l’église, en bande, les pigeons changeaient de couleur, au loin noirs, en s’approchant blancs, lorsqu’ils marchaient au milieu des terrasses, les mains dans le dos, c’était le levier de leur cou qui les faisait avancer, demain j’emmène mes enfants au village pour la tue-cochon, depuis tout gamin je me souviens d’hommes couverts des cris pleins de larmes de l’animal et couverts de sang, je me souviens de vouloir m’échapper et de mon père me forçant à rester en me retenant par les épaules, affligé pendant que je vomissais
— Je voulais un brave et je me retrouve avec un Fernandinho
Fernandinho vêtu en femme le soir quand les gitans installaient leur campement dans la pinède, rôdant autour de leurs roulottes, un jour on l’a retrouvé le crâne fracassé par une pierre et ça n’a été la faute de personne, le caporal de la gendarmerie l’a repoussé de la pointe de son soulier
— Ça arrive
sa mère et le curé derrière le cercueil, c’était en août et il pleuvait, je me souviens du petit parapluie de la mère et de l’autre, plus grand, avec lequel le sacristain protégeait l’abbé, c’est eux qui ont dû se charger de remettre la terre vu que M. Herculano dont le travail consistait à s’occuper des morts n’était pas venu, par chance il y avait toujours deux sépultures ouvertes en attente de clients de sorte que les gens s’observant du coin de l’œil
— Ce sera qui, le locataire, toi ?
ou s’inspectant le tréfonds, pas rassurés
— Ou bien moi ?
les défunts qui à l’aube viennent boire l’eau du puits, une fois alors que j’allais pisser dans le jardin je suis tombé sur un petit vieux la figure pleine de boue en train de me sourire, j’ai vérifié par le fenestron avant de me recoucher et personne, aujourd’hui encore le premier cochon continue de hurler en moi, mon père comme ils entamaient la découpe
— Tu peux t’en aller mauviette
ma mère croyant me consoler en me faisant chauffer un bol de lait
— T’en fais pas va c’est la vie
combien de fois en Angola après les embuscades sa voix en moi
— C’est la vie
et c’était la vie en effet, c’était la vie, Espinheira avec ses tripes à l’air c’était la vie, la baraque où patientaient les cercueils vides c’était la vie, quatre ou cinq Fernandinhos à plat ventre dans le sentier c’était la vie, si seulement le capitaine m’avait fait chauffer un bol de lait lui aussi en répétant
— T’en fais pas va c’est la vie
sa paume presque dans mes cheveux avant de se raviser, de s’éloigner, Fernandinho ne m’a jamais adressé la parole, il m’observait de loin avec à la place des yeux deux langues qui me léchaient, et moi d’essuyer sa salive sur mes joues, examinant ma manche avant de la tendre à ma mère
— Vous me laverez ça
et mon père depuis la table de la salle à manger m’approuvant, sans bouger ni changer d’expression mais m’approuvant tout comme il a approuvé pour tous les cochons que j’ai tués en Angola et il s’est réjoui des cris, du sang, des tripes, avec sa casquette à carreaux au milieu des soldats, appuyé sur son sarcloir
— Mon fils
intéressé par les fusils, le bazooka, la radio tandis qu’on commençait à entendre au loin l’hélicoptère pour les évacuations qui s’approchait en rasant les arbres pour échapper aux terroristes, ma femme, la serviette de bain nouée par-devant de manière à cacher ses seins dont elle avait honte depuis une demi-douzaine d’années, hésitant comme toujours entre deux robes devant l’armoire ouverte, sur ce point au moins tu n’as jamais changé
— Celle-là ou l’autre ?
la valise, rapportée du débarras, sur le lit afin de la remplir des habits qu’on emporterait pour le week-end au village et la tue-cochon, la maison de mes parents, j’ai eu beau faire ajouter une chambre vu qu’on est nombreux, nous, mon fils et sa femme, ma fille qui ne s’est jamais mariée et qui est née deux ans après l’Angola, du même genre que ma grand-mère, taiseuse, sérieuse, il ne lui manquait plus que son tabouret pour le crochet et son aigreur, même l’arthrite commençait à la déformer tandis que les soldats assuraient la garde pour l’hélico dans les hautes herbes et je crois qu’aucune mine antipersonnel à présent, aucune explosion, aucun nuage de poussière, aucun
— Mon sous-lieutenant mon sous-lieutenant
d’un homme à terre, aucune jambe absente et douloureuse, pour d’autres des œillets de souliers incrustés dans la chair, le docteur se débrouillera bien pour les extraire
— La ferme mauviette
quand on sera de retour, l’infirmier qui avait du mal avec les garrots, qui avait du mal avec les compresses
— Calme-toi calme-toi
et moi muet
— Calme-toi
moi muet, ma femme a plaqué une de ses robes contre son corps
— Comment tu la trouves celle-ci ?
après avoir relevé le store le soleil dans la chambre avec la moitié de la commode illuminée par une photo de nous et une petite rose en train de faner dans un soliflore, un pétale pâle qui s’était détaché tremblait sur le napperon, la quantité de choses que je pourrais raconter sur les roses si l’envie m’en prenait, un jour peut-être qui sait, une de mes chaussures de chant, l’autre à plat, bien plus vide que celle de chant, est-ce que par hasard j’aurais le pied droit plus grand que le gauche, y a-t-il une seule personne qui ne soit pas asymétrique, d’en haut comme ça à première vue on n’a pas l’impression, moi à ma femme, sans faire attention à sa robe
— Elle est parfaite
penser à des roses comme ça fait du bien, les roses, les manèges, les sucettes avec leur petit bâtonnet, je devrais en acheter en prétextant, par exemple, que j’essaie d’arrêter de fumer, une excuse que tout le monde est prêt à accepter à la condition, bien sûr, qu’on ne retrouve pas le bâtonnet dans le cendrier, qu’on le jette dans la poubelle de la cuisine
— Tu empestes jusque dans la chambre
ma femme, blessée
— Tu ne lèves même pas le nez et tu me jures qu’elle est parfaite tu ne t’intéresses plus à moi depuis des siècles
les pales de l’hélicoptère nous ébouriffant tous, le pilote faisant signe
— Vite vite
vu que l’ennemi dans les parages, les hautes herbes couchées vers le lointain en vibrant, un blessé, deux blessés, trois, non, deux blessés seulement, des bouches qui s’agitent sans un son, si seulement la bouche de ma femme s’agitait sans un son quand elle part dans ses histoires qui s’étirent en longueur jusqu’au moment où elle s’interrompt pour une question soupçonneuse
— Qu’est-ce que j’étais en train de dire ?
et si j’étais l’homme que mon père aurait voulu que je sois je répondrais
— Rien d’intéressant
tandis que l’hélico, en s’élevant, s’inclinait au-dessus de la cime des arbres, les frôlait presque, avant de prendre la direction du campement à dix ou quinze kilomètres de là emportant au loin celui que je suis maintenant au milieu des blessés, le premier répétant
— Quand mon grand-père saura ça il se tuera quand mon grand-père saura ça il se
tuera
et le deuxième des prières ininterrompues
— Je vous salue Marie pleine de grâce le Seigneur est avec Vous
ses dents blanches sur ses lèvres blanches, l’infirmier leur mouillant la bouche et l’eau leur dégoulinant sur le cou, s’arrêtant sur un tendon, disparaissant sous l’aisselle, l’infirmier
— Tiens bon
trop occupé pour pleurer, tous s’agitant derrière le pilote en combinaison bleue flanqué du mécanicien, tous glissant au-dehors et au-dedans d’eux-mêmes en se demandant où est passé l’air pour que je respire, où est passée ma voix je ne l’entends plus, qui parle dans ma gorge, qui se plaint d’avoir froid, ma femme, la valise bouclée
— Tu veux partir sans tarder ou j’ai le temps de faire un saut chez le coiffeur pour cacher mes racines ?
des employées avec des bas de contention et des sabots parce que toute une journée debout c’est rude et elles auront beau te cacher les racines
Salon Nouvelle Vague
elles ne cacheront pas ton buste ni ton ventre, ni tes fesses, ni ces bourrelets sous le menton qui se balancent et se balancent comme un battant de cloche de même que ton dos s’enroule sur lui-même, le caporal qui parlait de son grand-père va mourir, ma femme vérifiant son allure dans le miroir de l’entrée après avoir allumé la tulipe argentée du plafonnier, arrangeant ses cheveux sur sa nuque avec la coquille délicate de sa paume, peaufinant au niveau des tempes avec son petit doigt, reculant et avançant d’un centimètre, ses lunettes désappointées dont même l’armature en plastique avait ramolli, embuées par l’haleine de ses pupilles, ma fille, à trente ans, ressemblant déjà à sa mère, les mêmes verres correcteurs résignés, la même démarche pleine de hanches mal appariées, épaisses et osseuses à la fois, des cartilages pas comme les nôtres, énormes, de buffle de rizière, chaque patte une cadence différente, quand je la regarde marcher je cherche toujours un Chinois invisible derrière elle, avec un chapeau pointu, l’aiguillonnant avec une pique, ma fille ma fille ma fille ma fille ma fille, même quand tu rentres à la maison tu ramènes ton Chinois, je sens bien qu’il est là en train de sourire par-dessus ton épaule, silencieux, secret, aimable, on n’entendait plus l’hélicoptère et pourtant, en moi, les Je vous salue Marie n’ont toujours pas disparu de même que n’a pas disparu la main tendue
— Me laissez pas mourir mon sous-lieutenant
pendant que les prières continuaient et moi stupéfait
— Mais combien de bouches as-tu ?
jusqu’à ce que je comprenne qu’on en a plusieurs à la fois qui parlent, qui parlent, une insistance pas seulement dans l’oraison, dans la peur aussi
— Me laissez pas mourir
et moi l’envie de lui répondre
— Je voudrais avoir la paix maintenant
pas en moi-même, à voix haute
— Je voudrais avoir la paix maintenant
et ma mère et ma fille de se regarder, je voudrais avoir la paix maintenant, arrête de me casser les pieds parce que je dois aller au village pour tuer le cochon, depuis que je suis parti de chez mes parents, hormis ma période en Afrique, je suis toujours revenu au village pour le cochon qui commençait à hurler, encore intact, dès qu’on le suspendait au crochet après l’avoir attaché, ses cils transparents, ses pattes ligotées, le groin
— Vous êtes bénie entre toutes les femmes
et Jésus le fruit de vos entrailles est béni, le commandant du bataillon au curé, examinant les lames des couteaux pour faire son choix
— Celui-là non celui-ci non plus ils sont même pas foutus de les affûter comme il faut
tandis qu’il ligotait plus efficacement les chevilles de l’animal
— Filez donc monsieur l’aumônier c’est pas un spectacle pour les jupes
et l’aumônier de s’éloigner du prisonnier après s’être signé en catimini, cela dans la pénombre du cellier avec les baquets remplis de sang qu’il fallait remuer avec une cuillère pas en métal, en bois, ma mère des taches rouges sur le tablier, sur le chemisier, sur les bras, la seule femme parmi nous, du coton dans les oreilles, faisant mine de ne pas entendre les prières mais tremblant avec elles, qui peut m’assurer que le bol de lait qu’elle me donnait au petit-déjeuner n’allait pas servir ensuite pour recueillir mon sang, vite infirmier posez-moi les garrots, appelez l’hélico, ramenez-moi au Portugal parce que par-delà cette brousse Lisbonne, les terrasses, les moineaux, les églises, les canards sauvages sur le fleuve, quantité de nègres à vendre des babioles, des bracelets, des bagues, des girafes en bois, dans quel bric-à-brac ils auront dégoté ça, le commandant me tendant le couteau
— Tuez-le
moins difficile à enfoncer que ce que j’imaginais et le caporal des Je vous salue Marie muet, pas de beuglement, muet, une dent sur ses lèvres obliques, les yeux reculant derrière ses paupières, si loin, quelque chose d’une chose chez lui même s’il respirait toujours et ce quelque chose d’une chose effaçant peu à peu ce qu’il avait encore d’humain, est-ce que je me mets à genoux monsieur le curé, lâchez donc ma soutane et relevez-vous soyez un homme tandis que ma femme et moi dans la voiture, pas dans l’unimog, la mule comme on l’appelait, elle n’est jamais montée dedans, elle n’en a même jamais vu, le général avait interdit la présence des épouses en Afrique, en route vers le village
— Je veux du viril
il disait
— Du viril
encore plus abandonné désormais, plein de maisons désertes, plus que quelques vieux, quelques cabots, quelques chevreaux et quelques poules dans les rues presque toujours vides et pour seule conversation celle des ormes au-dessus de nos têtes qui me réveillaient, recroquevillé de peur, l’hiver, la nuit, quand j’étais petit, je les suppliais
— Ne m’emportez pas dans la montagne
où ma grand-mère racontait que des loups, des milans, de ceux qui emportent les poussins, les dévorent au creux d’un rocher et moi si léger, mon Dieu, sans parler des gitans, graves, solennels, tous de pierre, accroupis autour d’un feu, crachant leur chique et parlant étranger, quand on est arrivés au campement le capitaine a fait appeler le guide
— Où est-ce que tu les as emmenés salopard ?
et les milans de la montagne en Angola également, au-dessus des cases alentour et le cimetière se trouvait là sur les flancs de la première, le guide
— Capitaine capitaine
colline avant la montagne, essayant de s’envelopper tout entier dans ses bras
— Capitaine
le petit café sur la place, des hommes casquette sur la tête, l’un d’eux
monsieur Idalécio
un veston avec une manche vide parce qu’un échafaudage s’était effondré alors qu’il travaillait sur un chantier à Lisbonne, tous en rang d’oignon à l’ombre d’un mur et se mouchant dans des mouchoirs qu’ils avaient du mal à extirper de leur poche, interminables, dégoûtants, les bêlements d’une chèvre perdue quelque part, l’école où j’allais aujourd’hui plus que deux cloisons debout alors que la pissotière, quelqu’un pourrait-il m’expliquer pourquoi, presque intacte, ma femme, qui n’a jamais aimé le village, muette, tout comme le guide muet quand le capitaine
— Je t’ai posé une question où est-ce que tu les as emmenés salopard ?
saisissant le pistolet par le canon et lui écrasant la crosse sur la figure, son treillis différent du nôtre, presque pas de couleur, plus déchiré, un coude maigrelet à l’air, un genou maigrelet à l’air, presque plus aucun bouton, un bout de manioc dans la poche, pas de ration de combat comme nous, le capitaine un coup de pied dans le guide, deux coups de pied dans le guide
— Relève-toi salopard
puis lui écrasant le ventre, la poitrine, l’épaule, des éclairs au loin se rapprochant de nous, comme toujours en provenance de l’est, et pas la moindre pluie tandis que le guide implorait
— Capitaine capitaine
recroquevillé, les mains jointes
— Capitaine
avec un fin collier de perles autour du cou qu’un de mes sergents lui a arraché, ma cousine, qui prenait soin du caveau familial, nous faisait signe depuis le seuil de chez mes parents en compagnie de sa fille de neuf ou dix ans, je ne sais pas, rousse elle aussi, grosse elle aussi, on l’intimidait, elle essayait de ne pas le montrer en s’enfouissant dans le tablier de sa mère, si je me cache les yeux et que je ne les vois pas ils ne me verront pas non plus, ma cousine en la repoussant
— Tiens-toi comme il faut
portant sa blouse habituelle, ses mules habituelles, son chignon habituel, son sourire ressemblant à celui de mon père qui ne souriait presque jamais même si quand j’ai eu mon certificat d’études il a souri et pleuré en me serrant contre son ventre, il m’étouffait et sa montre de gousset en acier m’a blessé au front à cause de la petite fermeture du couvercle, pendant toute une semaine je me suis retrouvé avec une entaille ici, son pantalon et son veston n’étaient pas assortis et sentaient l’armoire, il suffit que je voie une boule de naphtaline pour que je pense à vous et au portrait de mes grands-parents encadré de marguerites en faïence, cassées pour certaines, mon grand-père assis, la cravate de travers et une des pointes de son col qui rebiquait, ma grand-mère derrière lui les doigts sur ses épaules, tous deux en habits du dimanche, tous deux solennels, mal à l’aise, devant un paysage nordique, plein de neige et de rennes, sans parler du bidon de révélateur à côté qui gâchait l’effet pôle Nord, je me souviens d’elle tapant avec une cuillère sur une boîte de conserve remplie de maïs pour appeler les volailles et les poulets de lui sautiller autour, mon grand-père un voisin en a fait deux morceaux avec sa houe à cause d’un problème de, le capitaine, d’irrigation, le capitaine au guide
— Tu les as livrés aux terroristes salopard
et le ciel de plus en plus noir, les éclairs de plus en plus proches, une espèce de nuit solide, en ardoise, nous recouvrant, se brisant en flammes instantanées, le mât du drapeau réduit en cendres, un arbre, un autre arbre, tout cela sans pluie pour l’instant, rien que du soufre et du magnésium, la terre instable, les herbes paniquées, le vent renversant des cases, le capitaine, à genoux sur le guide, la crosse du pistolet en haut en bas, indifférent aux coups de tonnerre, criant encore et encore
— Tu les as livrés aux terroristes salopard
lacérant sa pomme d’Adam, ses joues, son menton, sa poitrine et moi immobile à sa gauche penché vers lui, moi avec un pistolet également en train de le frapper, frapper, frapper maman, moi en train de le frapper, me réveillant à côté de ma femme, en sueur, épuisé et bien qu’en sueur et épuisé me rendormant pour frapper encore, moi dans le village souriant à ma cousine et à sa fille qui s’était mise à pleurer, ma cousine sans comprendre
— Mais qu’est-ce qui t’arrive ma fille ?
ma cousine
— Pour un peu on croirait qu’on est en train de te faire du mal
tandis que je frappais, frappais, ma femme examinant la chambre
— L’armoire est pleine de poussière vaut mieux laisser les habits dans la valise
en plus de l’armoire un lit, une ampoule sans abat-jour pendant du plafond avec un taon sur le fil, ma femme l’épiant du coin de l’œil
— Dès qu’il se met à faire ses loopings moi je décampe d’ici
le jardin à arranger, le potager laissé à l’abandon, des fenêtres grippées, cette lame du parquet quasi foutue et si ça se trouve des souris, si ça se trouve des chèvres
— Je décampe d’ici
et à tous les coups les grillons pendant la nuit entière qui m’empêcheront de fermer l’œil, la maison n’était pas comme ça et le village non plus n’était pas comme ça, pas autant de ruines, pas autant de cabots squelettiques, de maisons inoccupées, de vent dans les rues, d’échos renvoyant le bruit de nos pas entre les murs, le tablier de ma mère à un clou de la cuisine, si j’y touchais sa voix
— Ça fait déjà quelques années qu’on n’est plus là mon fils
ma voix d’autrefois lui répondant
— Où êtes-vous passée mère ?
son soupir je ne sais où
— Parfois on se promène dans le coin
mais où ça dans le coin s’ils n’étaient ni près du puits ni dans l’oliveraie qu’ils avaient héritée de la marraine, presque dans le village d’à côté, c’est-à-dire moitié dans le village d’à côté moitié dans le nôtre, une douzaine d’oliviers tout au plus entourés d’un muret de pierres couleur citrouille par-dessus lequel personne ne sautait, j’espère que quelqu’un vient ramasser les olives en même temps que les oiseaux, le bougainvillier de Fernandinho, desséché, faisant carillonner des grelots vides, la porte de chez lui ouverte sur une pièce où des chats et des ombres, ma femme nettoyant une chaise, avec ce qui avait dû être une balayette, avant de s’asseoir
— On a de quoi faire jusqu’à dimanche
en effet on a de quoi faire jusqu’à dimanche, les linottes de la montagne en vols planés, mon père fumant sur le seuil de la cuisine, en fin de journée, armé d’une tige de roseau pour tracer sur le sol des traits parallèles qu’il effaçait avec son soulier avant d’en tracer de nouveaux sans me regarder, ma mère dos à nous mettant des casseroles à chauffer et attrapant je ne sais quoi sur les étagères, parfois en équilibre sur un escabeau pour arriver un peu plus haut, la paume en soutien dans le bas du dos, une nuque de jeune femme encore, les omoplates bien droites encore malgré ses hanches, malgré ses jambes, malgré ses chevilles qui gonflaient et comme j’aimerais la revoir courir au milieu des pieds de tomates en me défiant
— Tu ne m’attraperas pas
j’avais beau passer au travers au lieu de les contourner je n’arrivais pas à l’attraper, de temps en temps j’atteignais presque sa jupe mais elle m’échappait, elle se retournait vers moi en riant
— Ce que tu peux être maladroit
et me distançait de nouveau avant de revenir me prendre par la taille pour me soulever jusqu’au niveau de ses yeux, non pas marron comme je
— Ça fait déjà quelques années qu’on n’est plus là mon fils
me l’imaginais, plus clairs, des petits points verts et des petits points jaunes que la bordure de ses cils tirait vers le doré, un grain de beauté à côté de sa narine droite, sa peau soudain sans rides, lisse
— Mais vous avez presque le même âge que moi
elle en me reposant à terre
— Si seulement
avant de m’oublier, elle repensait à moi sans motif, m’abandonnait sans raison et moi déçu de ne plus exister soudain, sans place dans la famille, sans place parmi eux, qui sont mes vrais parents, à qui est-ce que j’appartiens, un index m’ébouriffant les cheveux
— À moi pardi gros bêta
et moi tellement heureux du
— Gros bêta
je vous assure, heureux de lui appartenir au même titre que la boîte à couture ou que le collier laissé par sa tante, mis sous clé car
— On ne sait jamais
dans le tiroir de la commode, si bien que si elle me mettait sous clé avec lui, malgré l’obscurité là-dedans et seuls Dieu et moi savons à quel point l’obscurité peut être lourde de menaces, je vous assure que j’aimerais peut-être ça, je pense que j’aimerais ça, j’aimerais ça, mon père tout en me faisant un clin d’œil
— Tu veux en faire une femmelette ou quoi ? ma mère sans se scandaliser
— Exactement
me prenant dans ses bras pour me bercer en défiant mon père
— Je l’aimerais même si c’était un Fernandinho
qui lorsque sa mère n’était pas là, à ce qu’on m’avait raconté, s’amusait à enfiler ses vêtements, il déposait derrière ses oreilles deux larmes de parfum, s’attardait devant le miroir en s’offrant des caresses, Fernandinho plus jeune que mon père de deux ou trois ans, plus petit, plus fluet évidemment, si mon père avait voulu il l’aurait étranglé d’une seule main, moi il ne m’a jamais fait aucun mal, j’étais son fils
— Mon garçon
moi pour en avoir le cœur net, alors que j’avais dans les quatorze quinze ans
— C’était bien vrai hein papa ?
et lui soudain changé, ressemblant à ma mère comme c’est bizarre
— Et ça l’est toujours mon garçon
la fois où je me suis blessé au pied il m’a porté dans ses bras jusqu’à l’autre bout du village pour que le forgeron, qui avait appris les os à l’armée, me répare ça, on a entendu un petit craquement et la douleur a disparu aussitôt, je sautais de nouveau comme un cabri, sans blague, je suis rentré en trottinant avec une pirouette tous les vingt pas, tout joyeux, je l’appelais
— Regardez ça père
de la peine bien qu’heureux, il est possible d’avoir de la peine et de se sentir heureux en même temps, et aussi de ne pas être deux et pourtant d’arriver à me voir moi-même, comme elles sont belles ces plantes grimpantes, comme ils sont beaux ces peupliers, comme tout est beau, je ne vais pas mourir un jour, promis, vieillir non plus quelle idiotie, je resterai votre garçon pour toujours même si le tablier au clou de la cuisine m’assure que
— Ça fait déjà quelques années qu’on n’est plus là mon fils
ma voix d’autrefois, quel mot magnifique, autrefois, leur demandant
— Où êtes-vous passés bon Dieu ? leur soupir je ne sais où
— Parfois on se promène dans le coin
mais où ça dans le coin dites-moi, je vous interdis de rester silencieux ou de vous éloigner de moi, je vous en supplie ne restez pas silencieux, j’ai cinquante-quatre ans et vous trente ou à peu près et donc maintenant c’est moi qui commande, j’ai été sous-lieutenant, je suis allé à la guerre, je vous interdis de m’échapper, je veux vous avoir ici avec moi pour tuer le cochon et par conséquent arrêtez avec vos traits sur le sol et la préparation du dîner dans la cuisine, donnez une chaise correcte à ma femme, enlevez-moi ce hanneton de la chambre, plus un seul grillon dehors, plus un serpent dans le potager, la maison propre tout de suite, l’image du Sacré-Cœur, dont le cadre en verre est ébréché, de nouveau suspendue à son clou en hameçon, papa maman moi, papa maman moi, papa, maman moi, je ne vous ai pas beaucoup écrit d’Angola, excusez-moi, c’était impossible à raconter et puis mon écriture, ma paresse, le manque de temps, là je suis en train de mentir, des heures libres j’en ai eu un paquet quand je n’allais pas en brousse, des après-midi entiers dans mon lit à contempler le plafond, le fusil contre la table de chevet et je n’avais même pas besoin de le nettoyer, je le faisais faire par mes soldats, pour en revenir aux salades dans mes lettres c’est que je ne voulais pas vous inquiéter, je les ai toutes retrouvées au village dans une boîte à biscuits, presque déchirées au niveau des pliures, je me porte à merveille, tout se passe sans problème, un baiser pour maman et une virile accolade, bien sûr, on est grands vous et moi, pour papa, surtout pas de pleurnicheries je vous en prie, la guerre a fait de moi un homme et d’ailleurs, contrairement à ce que certains voulaient nous faire croire, ce n’est pas si dangereux que ça, plus des vacances qu’autre chose, une croisière en bateau suivie d’un safari, des animaux etc., presque une promenade de santé, une cure de repos, seulement un mort dans un accident de camion mais des accidents il en arrive partout et voilà c’est comme ça, un bleu-bite qui se blesse de temps en temps mais rien de méchant, quelques nègres à qui on apprend à filer doux et point final et pendant que j’envoyais ces douceurs à Lisbonne la pluie, une espèce de nuit solide, en ardoise, de plus en plus lourde, de plus en plus basse, nous recouvrant, plus d’éclairs maintenant, les éclairs s’éloignant dans les herbes, juste la pluie, ma cousine me désignant à sa fille qui se blottissait contre sa taille
— Dis bonjour au monsieur c’est presque ton oncle
sa fille enfouissant son nez dans les jambes de sa mère
— J’ai pas envie
et c’est tant mieux si tu n’as pas envie petite, c’est tant mieux parce que moi occupé à aider le capitaine à se relever de sur le guide mort qu’il continuait d’agonir
— Salopard
désireux de le tuer encore plus
— J’ai envie de te tuer encore plus
shootant dans son treillis en lambeaux, ses jambes, ce qui restait de ses souliers en toile, ses bras décharnés, sa face dont on ne distinguait plus les traits, un pied plus grand que l’autre comme moi maintenant, son bout de manioc, qu’il ne mangerait pas, glissant de son pantalon en même temps qu’un reste de poisson séché, déjà pourri, ce que ces estomacs supportent mes aïeux, du sang que la pluie diluait jusqu’à ce que plus de sang du tout, plus d’homme du tout à supposer qu’il ait été un homme, une pointe de cartilage brisé à supposer qu’il ait été pourvu de cartilage épiant depuis un cou maculé de boue et le capitaine
— Salopard
vidant sur lui, balle après balle, le chargeur de son pistolet, criant une dernière fois
— Tu les as donnés aux terroristes
se reposant presque sur moi, épuisé, abattu, secoué de vomissements, se vomissant lui-même en se tenant à mon épaule, les jambes en coton, prêt à se lâcher lui-même, me lâchant moi, insistant auprès du guide
— Dis bonjour au monsieur
non, ma mère
— Ça fait déjà quelques années qu’on n’est plus là mon fils
non, le capitaine se relevant tout doucement
— Fais venir deux hommes et qu’ils l’enterrent là-bas au bout de la piste
soudain plus jeune que la fille de ma cousine, plus désemparé, plus faible, plus insaisissable à ses yeux comme aux miens, le capitaine maintenant à genoux, maintenant accroupi, maintenant debout s’éloignant au petit bonheur en croyant se diriger vers ce qu’on appelait le mess, une baraque moitié en briques moitié en planches, avec la table tordue où nous autres les cinq officiers prenions nos repas avant de taper le carton, la table faite avec des douves de tonneau, nos chaises faites avec des douves de tonneau elles aussi et une toiture en zinc, des tôles ondulées fixées à la diable, que le vent et même la moindre feuille tombant dessus faisaient vibrer, le mess où, après avoir dîné à cinq heures et demie afin de profiter de la clarté du jour vu qu’à six heures, sans transition, presque sans crépuscule, la nuit subitement
(comment raconter ça dans une lettre à mes parents ?)
nous des ombres, moins que des ombres, de pauvres fantômes immobiles attendant que le premier tir, la première rafale de mitrailleuse, le premier mortier s’abattent derrière nos barbelés pour courir non pas sur de la terre, sur du sable, hurler des ordres, s’assurer que les hommes tous aux abris ouvrant le feu au hasard et comment raconter pareille monstruosité dans une lettre papa, maman, la trouille, les blessés, comment arrive-t-on à expliquer ça, dites-moi un peu, comme est-il possible d’insister là-dessus alors que je devrais me taire, ne plus jamais rien dire malgré le psychologue à l’hôpital, chaque mercredi, en même temps que d’autres marionnettes que je ne connaissais pas, d’anciens officiers tout aussi morts que moi et le psychologue insistant pour qu’on parle, qu’on parle, le psychologue qui ne comprend pas mais prétend comprendre, plus jeune que nous, ayant grandi alors qu’il n’y avait déjà plus la guerre, plus d’Afrique, plus de cadavres, croyant nous entendre sans entendre ni le vent, ni la pluie, ni les explosions, ni les Je vous salue Marie des blessés, ni l’odeur des moribonds, le psychologue au bout d’une heure
— Messieurs on se revoit mercredi
aux vieillards qu’on est presque aujourd’hui, pas aux quasi gamins qu’on était à l’époque, moi qui ai besoin de me coucher dans le lit de mes parents, entre eux deux, ce que ma mère refuse et donc moi au-delà la piste d’atterrissage à trébucher dans l’herbe, avec les deux bidasses, chacun avec son fusil et une pelle et les débris du guide, moi tâtant le sol avec mon soulier
— Ici
une coudée ou deux sous nos semelles, à quoi bon creuser plus, une coudée ou deux qu’une hyène viendra peut-être fouiller pour essayer de l’emporter avant que l’Angola ait tout dévoré et l’Angola dévore tout sur-le-champ comme elle m’a dévoré moi, ma femme
— À quoi tu penses ?
et moi de répondre, dans cette maison au village où seuls nous deux existons désormais, que je ne pense à rien, je te jure, je ne pense à rien, je me contente de tracer des traits sur le sol du jardin avec un bout de bois, d’effacer les traits et d’en tracer d’autres en te regardant sans te reconnaître, en finissant par te reconnaître à grand-peine, souriant d’un sourire presque terne, sans avoir à me forcer outre mesure, sincèrement, ma femme étonnée
— Depuis combien de temps je ne t’avais pas vu cet air heureux
s’allongeant à côté de moi
— On devrait venir plus souvent au village ça te fait du bien
et moi restant sans lui répondre, faisant signe que oui autrement dit approuvant sans les mots l’idée que le village me fait du bien, pourquoi ne pas approuver l’idée que le village me fait du bien, rien ne me fait autant de bien que le village, c’est vrai, en dépit de ces salopards de cabots faméliques, de la demi-douzaine de petits vieux, casquette sur la tête pour la plupart, m’examinant en silence, abrités par le mur, d’une chèvre solitaire clopinant dans une ruelle avec autour du cou une clochette qui ne tinte plus, tandis que moi aux bidasses en les distinguant mal, en me distinguant mal par-delà la piste d’atterrissage
— Allez vous me creusez ça rapido qu’on n’y passe pas la nuit
sous un ciel dégagé maintenant, non plus un ciel d’ardoise, transparent, avec une vapeur de nuages paisibles au-dessus de moi, des constellations qui ne sont pas les miennes là-haut, des présences dont j’ignore tout c’est-à-dire celles qui circulent dans les parages et répètent mon nom en silence et des lucioles, des ronces, l’écho des ormes, de l’eau qui coule je ne sais où ajoutant encore du silence au silence, quand on est revenus de la piste d’atterrissage pas une seule lumière dans le campement, pas un bruit, les soldats ont disparu avec leurs pelles en direction des baraques en toile qu’on appelait casernes, il m’a fallu du temps pour trouver l’espèce de cabane où dormaient les officiers avec le lit du capitaine séparé des nôtres par des nattes et sa paillasse d’insister
— Salopard
d’insister
— Salopard
d’insister
— Salopard
de sorte que maintenant, comme mes parents se promènent dans le coin, j’ai commencé à leur écrire cette lettre faite de traits sur le sol.

 

Traduction du portugais par Dominique Nédellec.

© António Lobo Antunes, 2017. © Christian Bourgois éditeur, 2019, pour la traduction française.

En librairie le 31 janvier 2019.