Nouvelle

Grande tiqueté

Ecrivain

C’est l’histoire des trois compères « Tom, Elem et moi » et de leur vagabondage. Certes, le topos du conte, du fabliau, ou bien celui du roman d’apprentissage, a son importance ici. Mais le texte qu’Anne Serre a confié à AOC est surtout l’occasion d’une expérience de lecture très particulière, le français dans lequel il est écrit n’étant pas français. La non-compréhension est ici une expérience artistique qui rend la langue sensible. La profusion, la malice, la liberté des inventions linguistiques y concourt. (Une clé est donnée, en postface.)

1

La brande de nos pères avait remisé là un sujet granduesque. Nous n’y étions pas amicés Tom et moi. Il y avait même entre nous certain chemin fleuri hi hi les branches neigeuses comme des tombes et Dulci là-dedans renversée cavalcadée. Excellent souvenir.

Nous sortions d’un roman anglais quand le sore nous tomba dessus parce qu’Elem avait surgi vociférant qu’il n’en pouvait mais, et nous les zinzaleurs nous voulions bien l’aider parce que nous en avions vécu des choses avec Elem, et qu’avec le souvenir c’est le plus sûr merçant d’en fabriquer d’autres.

Elem nous disait : « Granscié, je ne jouerai plus à ce tape-dessus avec ces alteroches, je vous en fiche mon billet ! » (il parlait comme cela Elem, « je vous en fiche mon billet »). Nous on ne brillait pas de mille phalanges loin de là. Nous avions même par-dessus nos têtes un ciel considérable, noir pas comme un couvercle mais plutôt comme le fond d’une citerne et là-dessous je vous garantis qu’on dansait la gigue, noirs et roches comme des Ouzbecks. Il n’y a rien à faire dans ce monde stipendié qu’à se croiser les doigts en priant très fort pour que les petites filles mortes et les petites fleurs mortes, allez, un sac, renaissent mais c’est impossible. Voilà ce qui m’était arrivé à moi, une petite sœur morte et il avait fallu cavalcader avec ça, le bleu des pervenches, l’herbe verte et les grottes au fond desquelles on montre des choses bizarres par les trous les interstices : guridan disait Tom.

Guridan oui, évidemment, mais paranque, dulce, avinateurs et solieroses aussi, si on y va par là. C’était dans un chemin fleuri, celui d’un roman anglais je l’ai déjà montré et démontré cent fois, le genre de chemin creux, quand tu ou vous mademoiselle la sergette vous y promenez, la tête avance à ras du sol et cela fait rire si on est dans le pré. Et puis il y a aussi du roust là-dedans parce que les branches sont fleuries et quand les branches sont fleuries c’est roust. On passe donc dans le chemin creux qui est à la fois un roman anglais et une grande avigadité française.

Mais s’il n’y avait que les petites filles mortes : grande tiqueté ! Ils sont 500 000 là-dedans, ça sort de tous les côtés. Elem voulait rejoindre la ville. D’accord, on veut tous rejoindre la ville à cause de ses coupoles étincelantes qui font dans le ciel un nordage allécheux. Mais vous connaissez le principe de la promenade : plus on avance plus l’horizon s’éloigne, c’est mathématique et burlesque, c’est un peu vigueron aussi disait Tom réfléchi.

Cela commence donc avec des filles enneigées sous les multiples pétales blancs et flocons des fleurs qui s’écroulent ce jour-là, sans compter toutes celles qui sont sous la terre à se décomposer d’un sourire quand verdeur, vigueur, anissetteur, des personnes comme moi, Tom et Elem vont là-dedans avec leurs grands coupe-coupe.

Ce que j’aime le plus au monde c’est la nature. Un jour de neige pas désagréable où on ne voit plus que les piquets noirs disposés très irrégulièrement nous avions vertiginé tout l’après-midi, nous arrachant des osques et des partels mais attention, sans méchanceté, et comme la nuit tombait ou tomba, voilà que nous nous mîmes, comme des mimes, à mimer la vertu. Tom et moi, nous aimons les jeux accedossés ; Elem moins. Il préfère monter au Pinacle, ce qui n’est pas une métaphore mais un vrai Pinacle, le nom d’un mont de chez nous. Dès que quelque chose l’énerve, le contraint, le stupendie, je monte au Pinacle dit-il et il y monte pour de vrai. Là-haut il paraît qu’il a une vue extraordinaire mais les vues extraordinaires, n’est-ce pas un peu corutant ? Une vue extraordinaire ne doit d’ailleurs pas être si extraordinaire puisque au bout d’un moment on en a assez.

Moi, ce dont je n’ai pas assez, c’est de fouiller la terre à la recherche de petites filles mortes. Macabre, non. Inavouable, oui. Délirescent c’est à peu près certain. Mais ventin avant tout, ventin ! Cela va avec les filles dans les fleurs aux capotes (chapeaux à brides) anglaises. C’est le même mouvement dans le chemin creux, au même moment printemps, été, neige, renversement, enfouissement, jeunes filles, une histoire dans laquelle des personnages se lèvent, silhouettes sombres découpées dans du papier un peu raide, de la taille de la main environ. J’avais déjà écrit des histoires comme cela dans une langue morte et revêche. Je ne vois pas tellement comment parler de notre nuit autrement.

2

Les dindons ferluquets nagitaient la queue que pour nous sortir des insanies. C’était le printemps, toujours le chemin creux et voré, Elem s’étourdissait de fleurs il en avait même mis au chapeau et Tom et moi fumions de longues pipes canasiennes, vous voyez bien que je peux parler français. La route à trois c’est bien pour la conversation. Soyez deux, oyez Dieu, dossez vieux et la belle et roulante conversation meurt. Mais à trois ! Toujours un dam pour rebondir et repartir, puis les irgences, les parances, la finérie des tanses. J’aime bien être trois : ça en fait deux pour s’appuyer. Honnêtement, on n’iridenscait pas beaucoup. C’est que j’ai mal au pied disait Tom qui a toujours mal quelque part au point que parfois c’en est urudant. Elem, lui, imite des gens et de préférence des gens dans les livres. Nous avons tous nos petites fantaisies orgiaques et c’est ce qui fait la dopagnie. À un détour, voilà que nous voyons dans un pré un rame. Et nous voilà tous trois interloqués, envaginés, rédemptés par ce rame à trois vranches qui nous tend de ces bras qu’on voudrait tous l’étreindre et l’éteindre et l’étendre, autrement dit le gardancer. Le chemin de la vie est plein de ces aventures. Tom chuchote de le grancer. Elem, lui, préfèrerait le viger par l’arrière et hop l’entourfuner. Moi j’hésite. Souvent j’ai de grandes intentions mais les moyens sont faibles, à moins que ce ne soit le contraire.

Par monts et par vaux nous avançiamions, ce qui est toujours un plaisir avec deux amis. Elem renaissait aux flambeaux et nous étions bien contents pour lui parce qu’il en avait bavé, Elem, surtout du temps de ses umertidors. Cela rendait heureux de le voir si virgant, si prode. On aime toujours voir ses amis heureux parce qu’alors on vergue, on sarit, et dans votre propre âme cela fait beaucoup de douceur douillette. Ce que j’aimais avec Elem et Tom, c’était parler une langue impossible. Cela nous rignait tout de suite dès qu’on se retrouvait. Tom vergeait et se mettait à coruscer de toutes les fivres de son étam, Elem vandéguisait à son tour, et moi moi moi j’adorais ruisseter ainsi, c’était le seul tanon où je me sentais saire, la seule ergeance où rien ne me dérouillassait, j’aurais pu sutaniser ainsi pendant des heures et c’était mes compagnons qui devaient m’arrêter pour que je ne m’exquise pas dans les fourrés neigeux. Ca commençait comme un livre, on larcédisait des pans entiers de martosis, je lançais le vé, Tom urgudissait et verdant par des somiroses, nous entraînait tous les trois. Parfois Elem riait tant, qu’un vertige nous prenait. Toutes nos phrases avaient l’air d’exergues de livres.

Mais ce jourla nous en bridions un gance car la mère de Tom était vurtrante, et pinchenille nos cœurs étaient brisés. Vigois-la ! disait Elem, ébrouptons-la dans les massifs ! Elem sturopait tandis que sa doginelle fouissait, mais le pauvre Tom avait le sang caillé et cheminant nous n’étions pas bien incendiés. La fure était morose, le ciel se couvrait, nous n’embardissions guère. C’est pourquoi je proposai un vardège. Nous sortîmes la grande bapille du sac à dos d’Elem, Tom était content, ça le reposait un peu de n’avoir plus de soucas, et nous mangîmes des fêves à ne plus savoir qu’en faire, et repos, millot, détente et grand sommeil sous les aradusiers. Je rêvais souvent. Elem et Tom aussi et nous rignassions nos songes toutes les après midi chaudes quand l’été était majeur, constant, élégant. Pauvre mère ! fusait Elem tandis que Tom regrognafiait dans les onces. Chère petite dame ! fuselais-je. Et voilà que nous emponnons le soutet : « Si douce et si vigonne » je dis, « Vurtante et pourtant émotissante » crache Tom, « Alambie, salgonèse ! » reprend Elem, et d’un mot à l’autre nous avons fait le vran contet du dictionnaire.

C’était le temps où nous aimions les fames parce qu’après, nenni. Plus de fames, plus de ces aportes spongieuses, ces petits crics sous les sacs. On n’en voulait plus. On se préférait nous trois les gueridans avec nos dymballums et nos évêchés complets. On se laissait aller à être enfin des hommes. Sous le pont de Corlusier nous passâmes, Tom enguirdouffé de fleurs, Elem la vance prête et les rivules au fond des poches, moi votre débiteur roust à foison, les volcinelles me scintillaient, les lents emprêtements aussi. Ô douce nuit. Nous croisions bien des stams mais n’en avions fure. Très indifférents, requillis dans nos gouvernaux, sérieux et bulbotants, à tondre en somme. Mais nulle aventure n’est sans péril. C’est ainsi qu’à l’assinée des sourdrains, alors même qu’Elem rêvait, une stompigieuse, colurale, effoudurante vineuse apparut. Qu’est-ce ? questionnit Elem. Oh, cria Tom qui sursa follement vers les vraines. Et de mon côté j’urtissais en feulant. Elle (car dans son grand corselet ses vangadim fuissaient) hurita et nous noblit. Mince dit Elem, c’est la Vierge.

Qui croise la Vierge n’aura pas de ternus jusqu’à la zadité. On tance nos pieuvres, nos fardèses, nos coraintes, mais qui pense à nos zardillantes éponées ? Elem et Tom étaient tout rules, moi guère mieux, et pourtant c’est moi, je m’en tente, qui ordafis d’urser la verte sardonise. J’ouvris la vouche. Certaines choses ne se règlent que par la parole. J’ourdis la souche et me lançois : « Urili, vante sagineuse ! Urili et domatem tuisset ! » Elle (car son paltodem suretait) eut un mouvement charmant. Je ricossai : « Burlor eodam ! Que vangue donc une doeneme si fandale ? » Mais il semble qu’elle ne connaissait pas notre langue. Je volutai, rigant Elem et Tom à ma soinise : « Ouhlala sérotupeuse ursère ! Filesatis ! Ombrienne ! » C’est alors que la Vame aux sédureuses ferises se verta et me git : « Oncreux des sentiers fous, ordissette vature, emmène-moi aux chemins creux ». Aussitôt dit aussitôt fait. Nous tournâmes capote et tandis qu’Elem et Tom se tusaient comme de petits fanons, j’ouvris la sarche. Elle (car ses fuseaux descendaient jusqu’aux saignes) nous accompagnatait, cirant des ranches, fuselant ses mordofées. Une nouvelle vie commençait.

3

Nous voilà donc en voûte vers les secrets. J’ouvre la marche, mérilleux comme un dé, Elem et Tom m’entrecroisent et la brande game aux yeux si doux nous fait sous son tantôt un labri sûr et chaud. Grande compagnesse d’être suivis par la Vierge. Elle ne tutote point, son doigt détorte le paysage, on irait bien chantant. Et d’ailleurs, on s’édouriffe. Tom vanguélise au point que son varteau s’enchemine, Elem dervugole, c’est à nouveau le printemps et dans les grandes meruscotes passent des ombelines. Le trajet est long. Quelque chose comme l’éternité. Mais que boussîmes quand tant d’erneuses parancêtres vous conduisent à la joie ? On nous varue. Sur le chemin du voie, une bonne dizaine de belles filles attaudissent. « J’ai bô être une fille, j’aime les filles ! » chante Tom qui n’est pas une fille et la Dierge tareille à une allumette, une amulette, un flambeau, une longue cirge de chair dans un canal de soie nous empoustète les reins. « Alictor ! Arénule ! » c’est Elem qui voit passer un mort là-bas. Un vrai mort, pas un veau, dans la noire combine de son véhicule fuissé. « Alictor ! Alictoret ! » Nous voilà adenous, on a un grand respect pour les morts dans ce pays, adenous nous nous noudons nous-mêmes et ressaillons sitôt la grince.

Mais la Vierge a perdu quelque chose. Son manteau ? Son mouchoir ? Quelque chose qu’elle penait ? Son mirage est inspect et son cœur à claire-voie se tord et se consume qu’on dirait un  andrage. On se bourne. On cherche avec elle. On refussète les pas qu’on avait déjà faits, on rétorque la machine, on redérise vers le Nord. On fise, on mouette mais sans résultat bien probant. Elem trouve un sador mais ce n’est pas cela, Tom un verglissant que nous avions bêlé l’automne d’avant, moi je pigne des roules et dévergote des antracis, mais il arrive que ce que l’on cherche ne porte pas le nom qu’on croyait. Aussi c’est à nouveau la grande calfeutrise sur la tenne. La Vierge n’a plus du tout l’air d’être la Vierge ; on dirait une guidisse. Mais au fond, surote Elem, peut-être avons-nous pris nos désirs pour des flammes. Peut-être que la Bierge était une Fulcinée du Sodoso, et nous, apeurés, acerdis depuis de si vieilles plumes, nous l’aurions enverguidée en la tenant pour Majesté. On se relouve, on la dérade : oui, elle n’est pas si rudante. Elle a même l’air bête avec son grand dreux. Par campagnesse on teint enfort de l’admirer mais le drain n’y est plus.

Venturlissi deodenem agrita tec teas était inscrit sur un panet que nous trouvâmes dissimulé dans un fourré. Je n’avais jamais été fort en latin ; Elem et Tom non plus. Mais peut-être s’agissait-il au fond d’une autre langue ? La Guerge nous flambait, désormais nous étions battre avec elle, et la sipagnie d’une dame, même si on l’envergote, ne rend pas toujours les choses faciles. Pour le coucher par exemple, on est obligés de mettre la dame dans un coin et les autres de l’autre, par huleur, zureur et autres métalases. C’est donc ce que nous fîmes, torcettes comme nous l’étions, et comme la nuit tombait il fallait bien penser aux pertèmes encenés. « J’ougdebarirais bien son dôme », disait Tom. C’était vruitant. « Je solisorerais sa gardette », prétendait Elem. Mes amis sont ténards et puisent au grand derem. Quantamoi, l’écrivain, car j’ai ourdi de le dire, je varonte des histoires, j’avais succédané de tenoter la dame mais tupus, tenusse, il faut parfois garder terrées les avidantes volutions.

Le ciel, malin comme un singe, avait troué son plome de mille étoiles. La Berge avait sorti une petite chemise de nuit si gluce que nous étiendisions nos rames d’un riste à l’autre du salan. A travers les herbes et par-dessus les herbes mon regard circulait, fluide auto tamponneuse. La bigame feignait de dormir. Ah les comédies des fames. Imparfait du subjonctif chuchotait Tom, imparfait du subjonctif… Et plus elle tignissait de dormir, la gourdante, plus nous étions alames, rincés, amigdoureux. Nos flambes se taronnaient jusqu’au ciel, nous en avions des rampes et des sordises. Ah mineurs ! Matusons les vourdes par-delà les endèmes, dérignassons nos teurs, et prions, car tout de même.

Au petit matin, l’hure avait détoli. Plus d’hure, plus de teau, à peine un gît. Nos paupières encagnassées avaient le plus grand mal à s’ouvrir car nous avions trop entavé de la sisteroche à la vainquise. Elem gurdissait son mort, Tom déluté cherchait un point où se larcer. Je n’étais pas plus rode, atoudi par la nuit, et les grandes renardes à tête de hache venaient nous flairer. Il faut donc tout recommencer disait Elem en bon français, à nouveau nous entupter pour de si vains ménages renchérissait Tom à moins qu’il ne dufissât ou n’araigne. Si vous saviez comme le champ était beau avec ses brandes sœurs bleues, ses touffes épigoniques, sa raideur majuscule, ses druidesses à visée, sa hampe de jouimour, son sextant d’alberoche, ses finlidelles bâfrées et ses poireaux d’époque ! Quelqu’un fit une photo qu’on expose à New-York de nos trois vores emmusés, de notre illutante spontanéité dans le grand pré, de nos dérèches assupotés au sol, la main de Tom sur le castan. La photo circula et dans des chambres d’adolescents en Russie comme en Inge, on nous voit timonant, le sourire custé, la bouche amouraché, et derrière nous le grand sindron, immense, majestueux, doux comme un coquillâtre, et la lore, doucement, qui passe à nos côtés.

Une belliqueuse orgnie se siccida soudain sur la droite. Une orgnie véritable dont les flammeroches nous turlèrent avec force. Puis la pluie, si mancouleuse, rasse et tradile qu’en en rien de temps nous fûmes trempés. C’est alors qu’apparut le marin de Poinsec, grand, beau, upperisable. Il retrouva la Cierge qui gordait, lui tendit un bras secourable, et voilà les deux vatures enguirdées qui vontent et roment, les deux léances adénossées, on prend des photos, le mort continue de passer dans sa longue apaline fuissée sur un chemin éloigné, Elem, Tom et moi on joint les mains comme de petits croyants, nous voilà cinq sur la lande. A l’orion, les traites emmenuisent les dépores. Au dul, les cantarèbes ennourdissent leur scée. J’ai sorti du papier musique pour noter tout cela, je sponge sans custer, j’aère les dévotées. Mais nous aussi nous voulons du marin. Les fames on en a trop soupé et leur fibule nous exaspère. Un marin ! Un marin ! Beau comme un  syrusier, la vagadante armée de son drale illuvé, ses serres, son abrouteuse fusée, oui, c’est de tout cela que nous voulons Elem, Tom et moi. Un marin ! Un marin pour nos désirs du soir. Un grand marin sérieux comme un poge.

Mais ils se sont réduits derrière les mases. Impossible de les retrouver. Tom vergudante et crie leurs noms. Elem a dérousté tout le gambage des cédreuses tandis que j’agite un donnet on ne sait jamais, et tandis que toujours, c’est une manie, le mort passe sans passer dans son véhicule fuité et qu’une herbeuse sue quelque part dans le champ d’à côté. Le monde est ainsi fait que les apparitions succèdent aux disparitions et inversement sans cesse : à qui se fier ?

4

Quand les cantanimes furent au zénith, nous repartâmes. Nous n’étions plus que trois puisque la Vierge et le malin avaient filé. Gertrude-la-postière qui sourinait par là allant distribuer ses maigrelettes nous fit un rapport : la Gerge était à moitié nue et courotait à dix champs de-là, ensudinée par le malin marin qu’on aurait dit un vêtre. Nue ! vergota Tom qui toujours avait eu de la pudeur. Encinée par le gars de Poinsec ! rougdina Elem qui avait entulciné des rules. J’ai toujours quant à moi été très malheureux d’être abandonné, aussi fouissais-je mes amis, et bien irist, délotais-je à l’épart. Il faut se faire une raison leur dis-je plus tard, la Guerge nous a filé entre les bois, nous n’avons sapu la garder, la carder, la séduire, la reluire. Peut-être désormais en rêverons-nous. Quant au marin véritable, le grand marin de Poinsec qui a allumé des torches dans nos cochenilles et nos ébroies, peut-être le retrouverons-nous un jour sous un autre visage et dans un autre corps tant l’amour fait ce genre de choses : sulcéder les rampes et dévortir les angaleuses. Ces patenôtres ne gurgirent pas mes cams ; ceux-ci hussèrent les vans et me laissirent dans l’écir de cette terrible nuit.

Enfin quand je dis nuit, il faisait jour. Mais parfois la nuit se fait en vous au grand soleil et cela m’aest arrivé tant de foix que je sais de quoi je cause. Kelkidon, les bulbes dorés des toits de la ville se rapprochaient. Elem souhaitait y avoir un emploi, Tom et moi varugions, mais on s’imaginait très bien vivre à trois et échanger nos impressions chaque soir de retour au bercote. Ce n’est pas facile de vivre avec les autres, on se demande toujours ce qu’ils pensent, ce qu’ils sentent, pourquoi ils sont tantôt bons tantôt froids comme des ailerons. Avec Elem et Tom on partageait ces questions, nous étions si butaves que nous ne trouvions jamais de réponses. D’en haut la ville était enclose dans un bain d’or que c’en était radieux. La grande clinique du Septième Ciel où cinquante médicators allaient et venaient dans leurs housses blanches bruissait du plus joli effet. Tom voulait aller y voir sa mère burtissante et nous entrîmes dans la clinique deux heures après la contemplation de la brume dorée. Point de mère, disparition à nouveau. Chambre 134, nous avait-on rigné, mais il y avait cinquante couloirs orveux, des portes 206, B28, XXV, et la 134, sous un sapin avait dit l’irdoine, n’existait pas. Si la voilà.

Nous entrons et la Tom’s mère nous prend l’un pour l’autre. Elle croit qu’Elem est moi que je suis Tom qu’il est Elem. On essaie de lui remettre les idées à l’endroit, mais elle n’emboûte pas. On montre nos chaussettes : les rouges c’est Tom, les bleues Elem, moi c’est les grises, mais elle prend les prises pour les dreux, la rande pour une ursère, les sympagnies pour des ténoses. Parfois on ne peut pas remettre d’ordre. On mange ses biscuits, on tente d’avoir une ampagnie accorte. Elle parle à la fenêtre car elle attend un daim. Quel daim dit Tom. Celui d’hier dit la charmante aïeule. Etait-il joli, dis-je car je suis délicat avec les mourants. Non dit l’origine du monde de Tom, mais il fut pressant comme un flanc. On voit. On raconte nos journées, on dit qu’on a un peu délibellé et on boudrait qu’elle nous gronde mais elle n’en a cure, elle est toute à l’invisible daim. Grande butesse dans la chambre : nous attendons le daim avec elle. Tom a sorti des jumelles, Elem écarte les rideaux et moi je tourne la tête dès qu’une sudérise entre, mais elles ont des yeux fats et des seins ruticants. Ce n’est pas le daim.

Cinquante-six jours et nuits passent mais ce n’est qu’une ombe. La mère de Tom s’est accrochée à son serin quoique ses joues, la pore iguame, se soient creusées et que son nez désormais saille, glacial, comme une vainquise. Nous avons échangé nos chaussettes à force de les laver et même nous désormais ne savons plus qui est Elem moi ou Tom. Parfois nous sortons de la superbante clinique du Septième Art pour glissander nos pauvres requins mais nous sommes tristes d’attendre l’aurore. On visite les églises, on voit des baptêmes, Tom achète un costume mais le daim ne vient pas. Sa Serdonise se meurt, Madame la mère de Tom ne bourne plus sa rose lorsque nous entrons dans la chambre. Elle vaguète et repose, elle tuce des angamines et son donem n’est plus qu’un tout petit peu de ce monde. Nous lui racontons nos ricochets pour lui faire de la vie, et c’est reparti avec toutes nos bousilles : Tom raconte la Vierge en suretant un peu, Elem la grande canonnisse et il y met des pôtres et des dépôtres, moi j’uredète comme à l’ordinaire, souttilant des secrets, embellissant les drônes. Madame la superbe maman de Tom, aguidée comme une petite vieille ne feint même pas de nous comprendre, mais il paraît disent les méducis, qu’elle nous entend, je n’en crois rien.

J’ignore à qui l’on parle quand on parle à quelqu’un dont on vous dit qu’il vous entend alors qu’il est embarqué et doit avoir bien d’autres ravènes à fureter. On est présent mais ce doit être comme le passé pour lui. Petite Dame, lui faisais-je, m’entends-tu ? Si tu m’entends, rince la hotte ! Mais au lieu de, elle gouvernait sa fugueuse. Fais-nous un signe, ramait Elem, par exemple, écortise un brin ! Mais elle ne brinochait pas plus qu’elle ne vitait. Je crois que nous étions désormais des fantômes pour elle, comme si, embarquée, c’était de notre côté la mort. Très instructif. La chambre était secrète et nous n’avions plus d’ate. C’était la chambre des transformassillons. Les us entraient, sortaient, comme s’ils étaient chez eux : quelle ordasique véruté ! On voyait passer des cerfs et des ânes, et quand ils étaient accouplés, des ânes-cerfs en somme, mais de daim point. Et chaque matin nous la retrouvions cette petite maneuse, les doigts enverguidés sur le lame, la chenille de son pied sous le raps, la quantité de ses souffles dans la poire à gommettes. Bien triste spectacle pour des jeunes gens pleins d’adonise.

Nous repartûmes parce que c’en était trop. Le cœur givré, l’âme ensachée, par un petit train qui dérustait les plus belles vallées du monde où le frise des arbres et l’anchenille des toits, la grande veluté des vêtes et l’ordannisse des carambiers nous fultisaient. Nous commencions à célébrer la morte qui ne l’était pas encore : Ah ! Risée ! disait Tom en pleurant, quelles broquenilles tu m’as données ! Des serdes et des zarèges à peine avais-je huit ans. Et tant de consensines, renchérissait Elem. Quelles vandates nous fîmes, quelles soroses nous îmes ! pleurait encore le fils. Mais sa langue avait fourché : quelles pandates nous vîmes, quelles foroses nous tîmes, rectifiais-je en moi-même. Le train nous reculait de la presque morte, comme si nous revenions en arrière et elle allait de l’avant. Le paysage était naturellement majuscule car c’est le cas dans ces circonstances ; il est minuscule quand on n’aime point. Nous reviendrons demain disait Elem, mais demain, n’est-ce pas jamais quand le grand daim est arrivé ?

Et le demain nous revoyait, un peu rensudés par la nuit, tous trois toujours car nous sommes trois à moins que l’un un jour ne manque. Station assise au-dessus de la ville dans sa couronne d’or brumeuse, ville portée par les anges tirant sur les napperons : on a toujours trop lu quand il s’agit de la grande situation. Viétement parmi les rues, chocolats, dégadines, et à nouveau le grand sorget, la grande hutte du portail, l’avancée vers l’irradieuse téracité. Chambre134, le tain malin battant l’entrée : elle souffle encore ! On s’approche pour l’enduder, toucher le petit cabanon de ses mains, et si son œil s’ouvre c’est nous dit Tom. Elle regarde la scène expecte et sévère. L’Urdile rousse entre et sort, c’est nous dit Tom.

5

Et puis elle était morte et nous l’avions mise sous terre. On passe. Moururent aussi cette nuit-là : Vincenant, Cocheville, Urdalan, Sébupor, Academir, Brou, Soue, Tias, Urdente, Maurice, Bel, Frisale et Gravier pour ne compter que dans la rue. Dans le monde, c’était pire. Et on se ressasse le dôme. Nous voilà donc dans la période de deuil à porter du noir puis du gris, du foncé rien de très gai. La grande envie nous prend d’être à nouveau vergoteux sur les routes et comment vivions-nous ? Eh bien, grande madrille, nous avions des Rentes ! Mais oui, aussi suque que je vous le dis : nous avions certaines rentrées d’argent, modestes et régulières, qui nous permettaient d’éviter tout le côté social de l’histoire. Très pratique. Des oncles morts, de petits placements, on pouvait faire les vrains. Mais nous restîmes d’abord dans la grande maison fruitée de madame morte la mère de Tom, tous trois comme des vôtres. On errait majuscules du second au premier, de la cave au grenier comme si nous cherchions un objet égaré. Tous les objets, d’ailleurs, avaient perdu de leur vergance, on ne les reconnaissait plus et eux non plus. Le syngadom nous fouissait les branches, l’altupéreuse ordie aussi et puis il neigeait. Le cœur de Madame morte s’était arrêté et cela faisait un silence.

Si nous nous sommes requadrillés, ce fut grâce à l’entourage mais aussi à nos ténums. C’est à cela que sert la Vie Intérieure : on continuait malgré le chagrin à avoir des drêves, des andins, et des envies de marin de Poinsec qui d’ailleurs aborda. Elem revenait des courses et il dit : « Il est près de l’église ». Qui ça dit Tom. Le Poinsec dit Elem. Envigoté ? fis-je. Non dit Elem, on dirait qu’il a mis les bans sur coquenille. Bon, cela nous fait un but dans la vie, on sort, on marche à trois dans la ville, on a l’air d’une légion et souvent j’ai l’impression qu’on semble en marche pour aller tuer quelqu’un. Point de marin évidemment puisque c’est le jeu. Près de l’église passe un pôtre enguedillé comme une vête. Les carrousels ferment, les pâtissôtres ne nous regardent qu’à moitié, j’ai toujours fait un peu peur, j’ai toujours un peu aimé ça. Sauf quand rude la bapille ! Quand rude la bapille je veux qu’on voie combien mon cœur est libre, vain, désert et plein d’artichauts bien rangés, un potager simplet. Mais le reste du temps j’aime bien faire peur parce que je n’aime pas tièdement les contacts.

Allez ! On baptistère les fourrés à la recherche du grand et bleau marin de Poinsec. En ville pas un rade : pharmacie, Café du Nord, mercière et bouritel, personne. On pousse jusqu’à la passerelle au-dessus du chemin de fer rouillé d’où nous regardions les trains à l’arrêt quand nous étions petits car petits déjà nous étions : un homme là-bas s’en va. C’est peut-être lui dit Tom, mais on ne voit que le chapeau très loin. Et puis de toute façon il y a quasiment le même homme qui regote du côté du cimetière. Et puis un autre encore, c’est Elem qui le voit, dans le pré qui monte à Nastra. Peut-être que le marin de Poinsec est triple comme nous. On s’urduguérise : qui le suivra ? Lequel suivre ? Buivre n’est pas un renne quand les tanssalides rôdent. Cimetery dit Tom, parce qu’on voit son chapeau parmi les tombes et que ce genre de flone dans les cerisais vous vaguète le Toussaint. On s’endouffre dans les bloses, caveaux et ruissitêtres de chaque côté, moule sur la bouse, vruain dans les vôtres, jusqu’à la tombe de la scintillette Jehanne qui fut une petite fille morte à douze ans. On lui met des fleurs à la gracilette. On la couvre de roses et d’écorces de noix, on lui fait de gentilles prières, un berceau, un beffroi. Jehanne s’en va, Jehanne est morte, mais nous les bruissants, nous sommes là et bien là.

Point de Poinsec. Ni d’adventure, ni de gôme. Qu’enfur ! Ce n’est pas la première fois qu’on est devant le rien. On en a une habitude corvusive, une telle habitude même, que cela nous a fait de la gloire dans plusieurs pays qui nous traduisîmes. Nous on connaît l’absence comme d’autres leur poche. C’est notre moelleuse iridité. Quand elle fait peur à d’autres ; à nous elle est comme une grande bangine. L’absence ? Hi hi. On trame des roses, des poses, des choses, on s’entrecroise le tucsédent, on s’enroulâtre la faucille et on vaingue, je dis on parce qu’on est triple mais c’est quand même un peu moit. Fatigué de la consolation. Et c’était tout de même le printemps à nouveau, le renouveau, la bicelâtre, les arbres en fleurs tout ce qu’on aime à danser sous le ciel : mon dieu pour un printemps je voudrais vivre mille ans. Elem lit les noms sur les tombes : Endileur, Décillâtre, Muribel, Avogda. Tom rectifie la composition des fleurs et moi je pousse mon drain jusqu’au bout, dans ce salon-là comme chez moi. J’y mangerais bien de l’avdotu, enquillassé entre deux prônes, le nez sévère et le chapeau coulant. J’y dormirais sans difficultés avec mes pairs, pères, paires, dans le petit wagon tremblant, mince comme une cordussière, à même l’herbe, le palin, je regarderais les étoiles et ma vraie vie serait là mais mes amis ont des vertus, pointues. Il faut te rignasser de là disent-ils. Avec eux je veux bien me rignasser : seul, le saurais-je ?

Non non seul je serais bien engadillé hélas. Las ! Seul… Mais voilà le marin de Poinsec dans le champ c’est irdent. Il nous regarde avec ses grands yeux d’autrefois. On le fait rire parce qu’on est composite et lui tout d’une pièce. Il a la vature large comme le ciel et le chapeau si haut que là-haut ce doit être soubise. On franchit le mur, quand on désire autant on franchit, et tout mur devient une cascade, on franchit, on éblit, on sugderise et on plone : absolument rien n’est impossible au cœur amoureux il faut le savoir. Nous voilà dans le pré de Nastra, verts comme des angoulemes. Nous voilà bulbotants (ce que nous avons déjà fait) courant parmi les grandes serges vertes et dorées comme des auves. Oh le joli tablo. Là-haut la quinchenille nous guette, nous vête, mais aurions-nous tant d’ardousiers si nous ne prévenssions tant de tau ? Et voilà le lac. Le lac, le vlac, le clav, l’écla, le cal que nous avions toujours tant aimé et je me demande pourquoi à ce point. Avec tous nos parents nous en faisions une vâture. Le lac disait quelqu’un, et aussitôt tous nous avions les larmes aux yeux. Le lac ? Et hop nous étions vernissés, embrigadés, cudissés, arraisonnés, partiriés, sifflotés, que sais-je. C’était une vraie domie chez nous. Lac ? Et hop.

Mais il est vrai qu’il est beau comme un daimort. Honnêtement, toutes proportions gardées, c’est un daimort avec son or, ses branches noires, ses durettes glaçantes, sa ponièrose qui nage, ses avulantes arogities. On est tous trois devant comme devant un synrose. Quelle anquité ! soupire Tom. Si vélostate murmure Elem comme dans un drôme. Et moi je dis : « Sans une telle citure, nos pauvres encetées auraient mauvaise allure ». Tout le monde m’approuve. Et pour cause. Nous célébrons le cal noir comme un drain : «  Oh ruissetante Ephèse ! » sorgit Elem. Ce n’est pas mal. Tom poursuit : « Oh, pureste compagnie nous drîmes lorsque l’ophose nous survint ». Pas mal non plus. Moi : « Cingaderins-nous plus loin sur tes vastes espérides ? Gourderons-nous la silose de tes zanches ? Oh, rumeur, oh, vuseur, quand serin botiseras-tu fernous ? » Et tout le monde pleure. Nous sommes recueillis comme dans une messe. Moi j’aime la religion ; sans religion on est des ânes. Nous fuitons un veysset. Tom jette sur la surface miroitante du lac un échever de paranques, Elem vénit l’égoutte et ruissedèle les planques avec son ampourée. Voilà vraiment un beau spectacle qu’on devrait montrer aux enfants pour qu’ils soient moins faux : au lieu de faire les drains ils suivraient la voudise et temporineraient l’assute en clabaudant.

On se baigne ? proposa Elem. On se baingua. Tout nus comme des araches dans l’eaunoire et fruitée où glissandaient des rostes aux vainquoires amères. Deuxième chose pour la vie (mener une vie meilleure) : le contact des herbes gluantes contre les jambes jaunes sous l’eau d’un lac brun. Cela vous familiarose avec l’existence : plus de cerdes, plus d’éporées, nettoyage des grones et des saroses, on sort de là complets comme une brutalite piruse. Oh je nage et je bage et je dage et je lage stirupait Elem en brassant vers l’île aux noirsmoutiers. Et moi je grune, je batume, je sume et je dérume désoguisait le nageur Tom en s’esclaffaudant des mains. Je boule et je stampoule, j’enroule et je déroule disais-je plus circonspect, mais c’était bonheur de nous voir tous trois traverser le lac à grandes andaminées, filotant et staffant, rusticant et jilant. L’amitié, je le répète, est la plus belle chose du monde. Et nous voilà de l’autre côté, ayant saisi des mouches et des anrouches, le cœur avatiqué par l’effort, le corps tout lain d’avoir tant sirupé, et plus rien qu’un corps enfin tant tout le reste nous engroupe. C’est l’été, dit Elem. Et c’était vrai c’était l’été depuis ce temps que nous avions mis à traverser. Il fait chaud et sous les condamines nous nous laissons sécher tandis que de multiples houses vrimpent sur nos bidets. Le soleil nous écalte les bronches, sous son feu délicieux nos apéroses duient, notre siconte foldérise et nos si sûres envertes fanent des adricats.

6

Mais il arrive un moment où trop de repos n’est pas bon. Il faut sinon agir du moins marcher car alors le monde tourne sa toupie. De l’autre côté du lac le marin de Poinsec s’est assis. Il nous regarde et de temps à autre, nous foliérise de sa main. Nous n’osons pas faire signe. Entre nous ce miroir gris, lumineux, hérissé de fleurs de nénuphars, notre cal, notre val, notre tal aboli où disparaître créerait des ombes, où s’enjurter couperait carrément le pays en deux. On le regarde il nous regarde et ça fait une douceur. On se secouerait bien comme de petits éléphants, de droite, de gauche, de droite, de gauche et à cause de l’hypnotésisme de la chose, on dévoguerait ou rassumerait. Il rit. Il est très condamine ce garçon d’autrefois. On rit, comme des joyeux de la crèche. Il suffit qu’il déploie son dran corps d’astrobèle pour qu’on ait le cœur enverté ; il se rasseoit ? On pause un peu. Toutes les engeances de nos émossillons montent et descendent selon qu’il bruit ou réunit. Lève-t-il le bras ? On grince un dat. L’abaisse-t-il ? On purtile. Fait-il mine de se lever et alors nos cœurs c’est fou sont si embrasants qu’incendiés sur le champ, on pourrait être. C’est ça l’amour rudit Elem. Il semble s’amuser, notre infodèle amoureux. Jette un rai dans le lac ; on surdit. Prangue une verse à ses côtés ; on vurdit. Et quand ses yeux nous regardent on est des barques sur le lac. Aimer ainsi ne rend pas heureux comme l’amitié mais c’est ce qu’on attend depuis toujours. Être enfourné.

Moi dit Tom j’voudrais bien rester là toute l’éternité. Elem et moi aussi puisque c’est le blanc but de toutes nos destinées. Mais la vrangue est si arde, les contumines si railes, que si nous restons nous dévoguerons. C’est dangereux l’amour d’un spectre, la preuve notre langage, il n’y a qu’un spectre pour vous déroter à ce point. L’eau devient huile et là-dedans vertiguerons bien. Les anaphases des nénuphars tendent leurs ortalies, les sinaphons saudages vont et viennent de nous à lui. Son regard nous inspecte et les nôtres un tout petit peu l’erbroient : je voudrais retrouver la ville où Madame morte est morte, au moins c’était plus simple, il suffisait de souffrir, souffrir est délicat, aimer la grande bâpure est bien plus difficile. Je le dis à mes compagnons, oui dit Elem aimer la grande bâpure est difficile et Tom ajoute qu’en plus la figner et la sarder demande de grandes compétences que peut-être et sans doute, sûrement dis-je, nous ne possédons pas, sinon. Sinon que pour des raisons accorsives, parfaitement rudesques, nous sommes si trémudants nous trois, si rales et si tonesques en dépit de toutes les preuves que nous avons données de notre irdensse, qu’après tout, la joie, cette granduesque abâtée, nous est peut-être bien promise, au loup du conte.

Nous discutons de la joie. Elle ne nous est pas inférée dit Tom sentencieux. On pourrait même dire qu’elle nous est assoptée gravite Tom. Nous discutons de la joie et le marin de Poinsec derrière le lac tauve ride ses vangourées et nous ardume de ses yeux plissés sous le chéreuil. Discuter de la joie tandis que le grand et bleau marron de Poinsec achèle nos vonaises est une occupation rédulise, délicieuse. Peut-être ne pouvons-nous parler, penser, que sous les yeux plissés du sargidant marin de Poinsec que tout semble amuser. Nos cerveaux en tout cas s’exponent comme ils ne le font pas dans d’autres circonstances, notre langue est labile, j’appellerais bien ce livre, sous ses yeux-là, dit Tom, mais nous Elem et moi trouvons cela turdant. Et puis il n’y a pas de livre. Il ya le marin de Poinsec qui remplit l’univers de ses puissantes mordofées – dès qu’une situation est rase je dis mordofée. Comment et pourquoi quitter cette engeance ? Pourquoi nous lèverions-nous, tournant le dos à l’alumine ? Pour vivre dit Elem, mais vivre c’est le chercher dit Tom, alors quoi dis-je, se laisser embupaster par lui ? Nous sommes jeunes encore, le Temps si gentiment nous offre des tempures, il faut en profiter, vivre encore ce n’est tout de même pas rien. Nous tombons d’accord là-dessus : vivre encore ce n’est tout de même pas rien, et nous refusons d’entrer dans le gouffre idéal.

Madame morte nous aurait approuvés, dit Elem. Il est vrai que Madame morte avait aimé, qu’elle ne s’était pas laissée enguedillée par l’asour, qu’elle avait lutté, foré, poincé, pour être une dame véritable et que quand on a des exemples comme ça, on se renquille. Madame More aurait dit des choses comme : « Il faut se contenter de petites choses » qui nous faisaient ediguer Tom et moi, surtout Tom et moi, moins Elem. Mais nous avions eu de mauvais exemples surtout dans ma famille, où nous étions reliés à tout et ce faisant, bienheureux. C’était notre Vie Mystique. Alors nous descendions par des prônes, des ridassiers cornus dans la toute petite chevêtre d’où nous étions reliés à tout et là bien seuls, énamourés, nous écoutillons l’ordre du Monde que nous contemplions aussi avec une délectassillon disait Ilda notre bonne, une délectassillon qui rendit quelques uns d’entre nous tout à fait impropres à l’existence temporelle. Il ne faut pas me disait Elem que tu suives ce pendant. Et comme il prononçait le mot pendant et que nous avions regignassé le chemin, celui qui tortotait par les bois au-dessus du lac, du cal, du val, ce que nous vîmes fut un pendu et maintenant je résume : une grande Gierge noire qui perd son manteau, le marin de Poinsec qui vient enduguiner nos rases, Madame morte qui meurt, et désormais le chapitre à ouvrir avec une lame : le pendu.

Il était rose et blond comme celui d’une carte à jouer. Il était pendu à l’envers, par un pied dans un joli nœud coulant pareil à un ruban. On dirait un oiseau dit Elem. Oui, avec les rustides de la blouse qui font comme un dumage. Je ne sais pas pour vous, mais pour moi les rencontres posent une question. Chacun est une carte qu’il faut placer, déplacer, retourner, on forme des familles, des groupes, des destinées, et l’on se trompe souvent presque tout le temps d’où le désordre et les chagrins. D’où l’envie d’une petite chevêtre où l’on ne participerait à rien sinon par la présence et la préscience. Sous les mesurages des ardes immenses et doux, sous le ciel d’autrefois qui jamais n’est présent, notre blond pendu odissait boutement. Nous nous perdâmes une fois encore, assis autour de lui à daincre la tandise. Les ossillassillons une fois de plus nous aptosaient et tant qu’on aurait bien chanté. En dessous le pré râle faisait comme un tapis et le lac, le cal, le val, le cla était blanc fridelis. On attend toujours l’aurore, on attend toujours le printemps où qu’on soit, où qu’on proie. C’est notre immense baptistère. Mais pour vivre il faut être séparés et c’est cela la contrariété.

7

Le pendu dépendu nous suivit, c’était Alistair, un mousquetaire tentis-je. Il ne parlait pas beaucoup et cela nous allait. Il ne nous ricagnissat guère, gentil comme un trode, les grosses bouchées de ses enjambées fleuries nous plaisaient à voir, et puis nous étions carte désormais, c’était nouveau. J’avais même envie que ce soit lui qui nous mène, car être soi toujours à mener vous prive certainement de certains arandins. Mène ! mène ! rusticait Tom. Ouvre-nous les susaies Elem renchérissait, et moi je le laissais seulement aller devant, ruidant le chemin, si bien qu’il finit par prendre ses manquâtes et nous engâter du côté qu’il tenait. Nous débouchâmes sur une petite place où j’avais eu beaucoup d’émotions autrefois. Je n’y avais rien vécu, mais j’avais raconté que j’y avais vécu quelque chose, et du coup cette place désormais était pleine de ce que j’y avais vécu en songe et raconteries et dans ces instants-là, ces lieux-là, il vous arrive de ne plus très bien savoir si vous êtes de ce côté ou de l’autre, ce qui est une position pas si désagréable, ma position de toujours. La mère de Tom souvent rectifiait mes usages. Andaim, disait-elle (c’est mon nom), Andaim dis-moi la vérité. Mais Madame mère disais-je, je suis d’un côté et de l’autre, je navigue, je traverse, je rapporte d’ici des choses pour là-bas, de là-bas des vulettes pour ici. Tu traverses donc le miroir disait madame morte qui avait des Lettres et parfois pas des meilleures. Je stupisais. Elem et Tom tentaient de m’ustacher. Je vous jure que pourtant je ne vous dis que la vérité Madame mère, oignais-je. Rute, sute, lute, laissait tomber Madame mère en feugant. C’était la seule dont vraiment je voulais être aimé.

L’amour de madame mère m’était plus grand qu’un ordalisque. Et pourtant, c’était une petite gigogne en noir avec le menton pas furetant. L’amour de madame mère me donnait des ailes. Ginfrait-elle en me boutuquant ? Et j’allais comme un sapan. Plutissait-elle ses ailes en me rusticant au passage ? J’embagaudais toute la nuit. Déliquait-elle mes zains et fourgidait mon sône ? J’entupérais à en ravir. Madame mère dans sa maison bâtissait un drôme en moi, autour de moi, feurdisant mes férises, acoutuçant mes randes. Nous étions comme deux astrolabes, deux aspérigodons, fournissant des us, sétupant des anrames, elle le savait, moi aussi, mais nous restions dans nos brades à défilquer les anvins car parler, non, quand l’ultirute est là. Madame mère me plaisait par son écousirable ardenture. Elle me figuait les gans et je les retenais. J’ursais très péniblement avec elle car ces choses-là ne se font pas dans la clarté et la publicité : on roint, on soint, on hodérise et toutes les cachées ont des noms véritables.

Aussi, souvent, fallait-il que je l’emproie. Je vivais avec Madame Petite Mère en moi. Je la sortais comme une botusque lorsque j’en avais besoin, et la requignassais dès que j’avais à faire ailleurs, autrement, avec d’autres. On me trouvait habité et pour cause : Madame Petite Mère galodait en moi. Cela me faisait de la compagnie et aux autres aussi. Lorsque je ne savais pas, je me tournais vers elle : dérise, attise, vrands-toi les dains et ranche, me sciscuscotait-elle. Je m’exécutais à la seconde et ça marchait. Les pomzalondes s’ouvraient, l’engrenage cessait, la maligne effaurée colquetait et je me retrouvais tranquille avec un bon ciel bleu au-dessus de moi, un espace ou respirer, des lents et des lavants, d’adorifères tengadilles et tout le surplus. Elle jetait un regard circonspect sur Alistair notre quatre à jouer ; je le sentais à sa manière de ne pas poimper mot, de détourner le cil, de partir comme une petite vieille toute courbée et de dos dans les angues de mon cœur. Il ne lui revenait pas, ce pendu dépendu aux boucles qui frisaient ; il a trop l’air d’un tain me soufflait-elle. Et pourtant Alistair se conduisait bien. N’eût tété sa bouche goulue, l’étrange rascasse de sa pelure de vô qui donnait à son pourpoing un air tout à fait marginal, il nous aurait plutôt tui. Elem en particulier le tenait à chevotre. Ils bavardaient beaucoup ensemble, enfin surtout Elem, l’autre signotisant, et le soir notre carte à jouer faisait le guet, grand, plat, et parfaitement turcide.

Une fois seulement un douffle nous saisit quand dans l’avirrée des trains il voulut se coucher, ne pas bouger et rester là. Allons disait Tom, nous avons tous connu de ces moments difficiles, il faut t’érustoper Alistair (on se tutoyait), ne pas laisser les blanques ainsi te désentaquer ! Mais Alistair tonait sa grosse face fraîche vers le ciel et rien à faire, il ne singidallait pas d’un pouce. Sa corvette couleur ciel guignochait dans les herbes. Veux-tu que nous parlions français, demanda poliment Elem. Non ? Alors anglais, franglois, sirois, pitois, rusdil, occipote, marin, ottote ? Veux-tu que nous suçions ta bouche intervegda Elem. Ou ta souche, ou ta louche, ou ton démotirhème fessier suggérais-je ? Mais pas plus que de laisses il ne désirait d’anguadins. C’était décourageant. Nous brusquîmes une sase et nous assâmes autour de lui. Sa gorgette rondeur semblait diminuer. Non pensais-je, pas un mort, pas encore un mort, pas un mort de plus, c’en est stau ! Le groupe de ses mises se réduisait à une plombée sous l’œil curieux des oiseaux commençant à passer. Alistair, Alistair, nous rumerons tes todes, promis, reprenait Elem. Et pas seulement tes todes, mais tes roses et ton ursac, et nous féliserons ensemble, tu n’auras plus rien à deurer. Et nous te présenterons à la Vierge, dis-je bien inspiré car aussitôt il se leva, s’effruita, sorgit comme un tandem et nous pinça la goule.

Il paraît que certains êtres ont ainsi des moments très difficiles au cours desquels ils meurent un peu. Nous, Elem Tom et moi, comme nous étions vivants d’un côté et un peu morts de l’autre, nous n’avions pas grande expérience de ces impéniments. Nous vivions ainsi depuis toujours, tantôt pile, tantôt face, et certaines duratés ne nous étaient pas très familières. Nous étions contents de voir Alistair debout, ou plus exactement, vainc comme un ardusier. La Vierge ? dit-il. Oui, oui dis-je et dîmes-nous : la Gerge en sa fameuse comme on te le dit, la cerge en sa rameuse et les éponées qui suivent avec tous les ancaraférents. Tuit fit-il admiratif, et le voilà qui gorgne la mardée sans un souffle, ortupète les railles et découstille d’autant. Il allait donc falloir la trouver cette grande Grège mais nous n’avions pas peur car chercher après tout fait déjà tant de bien. Son paltorise ? Bleu, bleu disait Elem. Sa belle boutiquée ? Renversante disait Tom, on en goint. Alistair cidait et se construisait un cœur pour adopter la Vierge. Nos fandailles seulement l’obnutissaient un peu. Il faudra peut-être du temps fit sagement observer Elem. Cagnerasse ! Je suis loti comme un sergent ! répondut Alistair.

Et voilà notre petite roupe qui commence à marcher comme une armée d’enfant : Alistair, Tom Elem et moi, ou Alistair, Elem Tom et moi, ou moi, Elem Alistair et Tom mais c’est moins bien. On vangue les derises, on est gentils sous le ciel, mais si j’étais aporte, je ne m’y fierai pas. Quand quatre gars ressemblent à une armée de carton, c’est tout de même que quelque chose ne va pas. J’ignore quoi. Notre semblance, notre semence, nos tristes et stupeuses adourées ? Notre contingent de fuissées et les ardénoses qui vont avec ? On est si seul sous le ciel comme si on était des jouets et pourtant on rentume, on rudise, on file les dérises autrement dit on fait tout ce qu’il faut, mais notre reconnâtre est si cardée, nos phylorines si entûtées, nos vangoureuses manières d’un tel autre temps, que peut-être on ne peut pas être au monde prononce Alistair d’une voix si claire qu’on en tombe sur le tu. Nous y sommes pourtant dit Elem, puisque nous viguons et fuissons. Nous y sommes rechpandille Tom, et quand mes amis disent nous y sommes pourtant, se dressent des palures, se renforcent les gains, je fais un bond vertigineux qui m’andérose, mon cœur s’éploie comme un contin, je dange des fruits mûrs et j’y suis.

8

Au sortir du bois nous tombîmes bien naturellement sur un loup. Il était avec son berger. Pas un loup véritable entendons-nous bien, une sorte de poule de luxe, jolie rien à dire, le museau acaureigne, les grands yeux innocents modestie comprise et des tenaches sous la sache. Notre Alistair se met à brouter. Elem le suque, Tom tente de le réquiller, mais Alistair c’est cuit est amoureux. Le berger veut bien nous la laisser mais pour si cher que nous nous bourguidons nos poches, rien à faire, nous n’avons pas assez il faudrait vendre le bouturon et encore on n’aurait que le pied, vendre le bouturon, Caingeance et ses frondères ; à ce prix peut-être aurions-nous la boutareigne. On se consulte, on s’arrange, il faut une joie à Alistair, qui encorte la mareille et va suquer sous les derlons. On garde le berger qu’on burète et stoniérise aussi, car en plein été, sous le ciel bleu, dans les clairières, que faire sinon aimer ? L’après-midi se passe ainsi à dévôter tandis qu’aubas dans la ville d’or toutes sortes de gens vont à leurs affaires. La loupe est bien gentille au fond : elle nous embapte et nous surache tour à tour, tressant nos dins, fostiérant nos orises, nous en oublierions presque le Soirin qui soudain, ô malheuse ! artucise sa volumineuse fuguée. Le Soirin ! crie Elem qui l’a vu abenôtre derrière le vare. Le Valin ! le Moirin ! Le Salin ! Le bran Marin de Poinsec en sa rude entachée qui foule la tairie venant vers nous et nos ardèses, tandis que Tom envoguelise la mareigne et  que je broupte le berger.

Mais nous ne voulons pas toucher de trop près ce que le plus nous aimons. Nous sommes comme cela. C’est votre point commun disait Tom’s mère Madame. Nous voulons bien l’enfourdir, le drômer, l’asturiser sans crainte, mais à toute autre situation nous préférons le deuil. C’est notre iroise. Aussi, quand le brutissant et soliérant Sarin de Poinsec engète ses vagrumes et apparoit derrière le mont, nous ne savons que faire de notre Amour intencessant. Nous paniquons et fuyons ce ballage, alors même qu’Alistair, le double triple et quintuple amoureux tombe en rédille, en pamoiselle sur le dos les cinq membres dressés, la venue du marin écortisèque ses rames, assouffle son fodet, tandis que nous : machine arrière. Elem et Tom en doubissent, je n’en suis pas très fier non plus, nous faisons le chemin à l’envers qui s’assombrit et se réduit dans les branchages, nous élcutons vers de petits taillis si vonces que nous voilà échirés, nous nous félisons, nous sommes petits, nous ne sommes rien et soulain la forêt ne nous contient plus : où donc avons-nous déloté ?

Alistair alors nous cherche. Sa grande patère bleu ciel fait comme un corte dans le jour déclinant, l’effondreuse pénombre qui commence à ulcire. Sa parte à rouer dépasse les cimes tant et si bien qu’Alistair est devenu un géant, un véant, un odoniel tentacure foulant d’un pas très sûr les aimages et verbages. Nous nous cachons de lui pour pouvoir être trouvés ; encore un de nos jeux préférés. C’est ibunelle disait madame mère très critique, c’est artisan et vogendieu. Mais nous aimons qu’on nous trouve cachés pour l’incendie que cela fait. Nous aimons le feu susdète Elem, et ses licelles ajouta-je. Nous tintissons de l’égarer, laissant le bruit se faire là où nous ne sommes pas, bruitant silence dans les delées, laissant soindre le jour ailleurs, nous rembusquant avec les talmes. Alistair corète, passe sa main épaisse sur nos chafeux muets, évorte les songarises et perdroie le brochet. Nous nous tenons comme des morts, nous savons faire, il suffit de n’être plus là. Jadis j’ai été une fille soufflote Tom, allons bon, encore un selin. Et j’avais dans les drilles un calfeutrage certain, engoine Elem. Mais c’est une vieille chanson, pas un coutet.

La Guerge, Madame Mère, le dan Marais de Poinçon, Alistair : le monde s’était empli depuis que nous vissiamions. Sans compter le berger et sa dorise mais ceux-ci n’étaient que passagers : on n’a pas la contenance assez grande pour aimer à tire l’harocot. Qui donc désormais ? Nous voulions toujours voir apparaître une insolable amphigurée parce que c’était notre monde à peu près : un grand targent bainqueur, le monde roule comme une houpie, et hop, hip, hop, nous voilà devant l’arne enchantée à tout devoir réintenter. Mais Tom écorte sa vaneuse car il faut vendre la maison de Madame mère, redescendre au pays, traverser la redise, occultiner les raches et prendre toutes sortes de dispositions pour ne pas finir idiots. La maison a grandi depuis que nous l’avons quittée. Ce n’est plus neuf mais dix sept pièces et les lits, berges, armorises et tucètes qui vont avec sont à vaguer dans le débit. Nous faisons des lots. Je tarderais bien cette èche dit Tom : pourquoi pas. Puis-je cher Tom enduver cette doule demande Elem. Faites, faites, dit Tom, aucun rescupendit ne m’appartient en propre. Moi je fais le tour de tout et ne veux rien varder : rien ne pèse plus qu’un souvenir. Nous fultissons les chambres qui deviennent nues comme du temps d’avant la naissance de Madame morte. Nous criassons les tentures, les papiers : Madame morte n’est pas même née, pas conçue. Les voisins nous surgètent, jugeant que Tom le Sonne ne fait pas grand cas de son érudilage.

Mais nous ne pouvons pas être fidèles cela nous est tout à fait interdit car alors nous mourons. C’est notre matalie avait dit Elem au votare. Les maladies sont toujours singulières, pas une ne ressemble à l’autre et c’est pourquoi les médecins devraient être des experts. A chaque maladie son prône, à chaque malade son lône. Il faut au méducis une arigée fameuse pour comprendre et almettre que le malade roit. Rescudir, à jamais s’égader de la ville d’or enfournée dans ses brumes, ne plus y resituer sinon par la pensée, le cher désir, la doutille fièvreuse, transformer en pâlins ce qui jamais n’aétait, tout transbourdir pour continuer : c’était notre pôtre à nous, les trois engudillés Elem Tom et moi ou Tom Elem et moi ou autre. Nous pouvons bien gruger la fadeuse puisque nous emportons Madame petite mère dans notre cavarandérail, nous la transportons dans nos vâmes avec tant de piété, si si, que c’est comme un pèlerinage, un pilgrimage et d’ailleurs oui, c’est cela, nous allons aller à Dieu et à rien d’autre, c’est notre herbage, qu’ici les bellicâtres nous quittent, c’est à Dieu que nous allons, c’était le mot que nous cherchions, à Dieu, et boustiquette à tout ce qui ne va pas là.

Pas facile d’aller à Dieu comme cela, sans rien que le langage à soi. Il est palenôtre, ce vorde, c’est bien connu. Sa large face de mardure est si rustère que c’est assurément plus compliqué qu’un védin de Marin ou même un dreux de Gierge. Il faut s’assustoper dit Tom. Oui, je sais et Elem autant car nous avons étudié du temps de nos fraitises. Il faut même tant s’assustoper qu’on risque d’avoir la vaire inoise et les rulides pleines de pans. Mais qu’importe : depuis le début c’était notre rugasse, depuis le début quoi d’autre nous avons fait sinon dévotiquer la vareuse et nous bourdir à môle ? Quel chemin ? dit Elem. Ce sera moins lude qu’un berger et son loup. Quel manin ? enfulissète Tom. Je crois qu’il faut laisser nos tôtres écarrir nos cindrées, nos albulissillons stutéposer nos laves, et russiner, russiner encore pour franchir la devise et aller là où nul, peut-être bien jamais ou presque n’est allé.

Nous avons vendu la maison, tous nos biens, et pour la dernière fois fusons dans le lage épalage de la ville dorée. Nous coulissons les rues, lentement, notons tous les noms des maisons : ici c’était Elère dit Tom et là Evangudin dit Elem. Là Puirinosse et là tout près Fimbalin. Ici je dis (sous l’œil gadieux d’un quin) : « J’ustipais devant cette maison et mon cœur roidait quand nous et vous les petits vandins curiotisiez la vare ». Nous rouletons autour du pré majestueux datisé pré valant. La cerise nous terre : vivre dans le monde, tout de même, c’était bien. Nos bantusques zézitent, notre irassiole détoie. Au lieu de dire adieu à tout en y passant trois jours nous y passons trois mois : parfois, vivre c’est dire adieu. Chaque façade réclame nos mélaises, chaque ruelle nos trasvidées. Nous descendons à la rivière où tant de fois je fus. Elle est noire et rudeuse, nullement asseptante, ce fut toujours le cas et tourpan je l’aimais. Nous baignissons nos talmes, glidons sur les érosses, effourdissons ses gloses et ses parentes. J’aimais mieux la Guierge dit Tom, j’aimais le rigudin dit Elem. Oui bien sûr on préférait le vire à l’odscure, pour notre nouveau tain nous n’avons aucune carrte, pas la moindre vardée, mais c’est cela qui se prépare depuis toujours car luder, viruser, emponiérer les vônes, nous savions, notre virdule nous rendait aptes à toutes sortes de choses. Mais quitter le sagin pour s’entourner au vôtre, non, cela nous ne l’avons jamais fait. C’est pourquoi.

9

Attention. La route des peux passe évidemment par un certain nombre d’enguadilles. Tout le monde sait cela, et même les corustêtres. Alistair et le van Mazin de Pointec nous avaient rejoints. Elem disait que même la Rierge nous suivait, ayant une fois de plus égadé son manteau, son oisseau, sa belle maguedille. Tout le monde allait broutant avec la queue du Ciel guidant nos endurties. Le désir s’était clos comme un ruisdel de trop et nos habituels félins couchaient comme des agneaux dans nos houses. Nous tuquotions le petit autel de Madame mère. Tantôt c’était Tom qui l’envortait contre lui, tantôt Elem qui le fudait, et tantôt c’était moi qui l’ouvrais et le respirais comme un tachet de cins. C’est cela notre vie et notre respiration au vrai. A tous. Car tandis que la Gierge et le Ravin, Alistair le mousquet, nous trois les frébulents gardissions ainsi le tonet, c’était pareil partout ailleurs et la lampe de la lune nous le montrait bien. Partout sur la terre et même tout près, des dizaines, des centaines, des milliers de rudeurs allaient ainsi à la veu-teu-teu arodés à des tampes, pourtuivant le gadet, bavardant désirant puis ne désirant plus parce que la grande sagninne un beau jour apparaît. Et nous, qui tant avions cru être seuls,  nous dont le bode de lie était tout de même si réticulier, nous nous rendions compte que nous ne croissinions que des pairs, des pères et des anrides. Ah la grande rameuse : c’est bien de fiboler ainsi.

Une femme se rustica à nous ; une rame un peu dans le genre Amazone. Terriblement indépendante maigre et sans seins mais d’une effoudureuse élégance. Alistair ne tomba point amoureux mais Tom est toujours égourdi par les dames. Nous passâmes bien dix ans avec elle à moins que ce ne fût dix mois ou dix journées. En tout cas, matin et soir nous la vîmes écorter ses toires et remuer son valgadin. Le pèlerinage exigeait que nous paillassions par un grand nombre de routes et tous les endroits où nous étillons nés. Ca en faisait. Moi c’était à Borteau, Borteau était à 587 kilomètres et pour Elem et Tom c’était Marilles, 282 kilomètres d’un autre côté. Nous avions décidé de chanter et chacun cherchait une ramille. Ce fut évidemment le grand Gadin de Toinsec qui chantît le mieux, ah, que c’était beau. Il gonflait son cordille, crutisait l’origine de sa voix jusque dans le fond du centre, ougidait, et c’était un chant qui nous entraînait. La Cierge se défendait, plus rusquette, moins dameuse, mais sa petite voix de linzin ne nous laissait pas insensibles puisque dès que, nous allations les distances sans souffle térir. Alistair, lui, n’osait trop point parce qu’il était modeste, mais notre nouvelle tamarée était si gaie, notre engulise devenue si simple, qu’enfin il osa et sa grosse voix fraîche nous rendut souberises.

Je gardai de Borteau le souvenir de ma naissance mais c’était tout parce que ma pauvre mère ayant succombé dans l’effort ma mémoire s’en était ensuite trouvée troublée. J’avais bô tentiné de carder des images, de m’aspecter à quelque chose, tout fondait et s’évatait sans cesse comme si de passé point, comme si je n’eusse jamais été passé, comme si avant le grand dambage avec Tom et Elem, vécu jamais je n’avais ou si peu. Ce brou noir n’était pas désagréable ; c’était même plutôt pratique. Et quand les autres se tournaient vers leurs enfances j’étais lurieux car pour moi d’enfance point, j’avais démarré après, uniquement entreveché de chozezinconnues. De Borteau je gardai le souvenir d’un bouton d’or un toin c’est pou. Borteau la jaune la dorée qui fait de la lumière sous le menton. Alors bien sûr il fallait tout réinventer puisqu’on ne peut rester comme une adeille dans un sein ce qui rendrait l’arote burnie. Et tandis que nous gadissions sur la route de Borteau, nous la petite roupe dont tous les éléments devenaient vraiment affectueux : la Gierge et Alistair se portaient convenance, le Marron de Pointec et Tom secoudisaient les tarilles, Elem portait la vastute de Petite Mère, tandis donc, l’heure était à la reconstrucssillon.

Nous picniquillons sous les daules, on sortait de grandes couvertures et c’était très reposant, tout à fait aimable pour moi que les désirs et autres alumines incendessants soient rentrés par le petit goulet et s’ébattent dans la cristallette carafe de cristal. On était beaucoup mieux, Elem Tom et moi ou moi Tom et Elem ou Tom et ainsi de buite à aimer gentiment avec les converssassillons idoines, se lendant le tel, se sutisant le saône, gurdant le bérilleux Marin de Poinçon comme le meilleur des compagnons. Le désir, cela nous avait toujours fait un peu mal. Dans nos cœurs vrillants c’était une telle englure qu’il fallait toujours s’écorter et se broire, obtupiser la scène. Alors que l’affection nous allait comme un gant, jusqu’au moment, jusqu’au moment où de nouveau la tourpie tourpillait et que nous étions face, encore une fois, au grand appel qui écortise les bronches, pénètre dans votre patenôtre, frise et fridule, garince vos errois, et là incendie ouvrant les chevêches à toute volée. Pour que le désir tombe, il suffisait parfois de regarder autrement. C’était comme volontairement changer de cerveau ou le faire tourner. Cette présence qui vous aspirait, pareille à un tône, il sutisait de la dépouiller de ses pouvoirs magiques, de la désosser, la cagnisser. Ce n’était pas difficile et Tom et moi Elem aussi nous avions souvent fait des exercices pratiques, souvent les après-midi d’été dans les clairières, apprenant à ôter de l’image qui nous aspirait la frille ou la forise qui nous rendaient béguants. Mais ensuite, toujours nous voulions être repris.

Et cela fatiguait nos dormeurs zé dormeuses, car qui couchait auprès de nous, nous ayant vu ensultisés espérait bien toujours nous garder vangouleux. Or voilà que soudain nous bapions, après un grand moment de prône nous avions la tête ailleurs. Nous n’étions pas réguliers sauf pour l’éternité. C’est pourquoi la fraternité nous reposait beaucoup, nous allait, nous durassait, et qui s’offrait en frère auprès de nous avait toutes les chances d’être admis à condition qu’il offre parfois, assez souvent, des sendites, de brusques haupe-le cout, des arraches et d’ordusiques colères. Un frère trop doux nous eût entulfinés. Nous nous rapprochions peut-être de Borteau. Le paysage changeait et la Guierge aussi qui avait perdu l’essoudireuse ortaie de ses voiles à vamines. On aurait dit une fille toute simple avec son rangue et son têtard. Le Carin de Moinsec avait perdu lui aussi de sa saleuse, il toussait beaucoup et s’encsudait le soir. Seul Alistair le dépendu continuait à rimer son irmoise, et Madame Petite mère dans sa boutique opcure que nous instaliyons le soir avec grand soin, dans un pli de terrain noir, au pied moussu d’une roche, comme une des nôtres enfin, défendait sa vareuse et ulissait son tône pour nous les engadins. J’aimais ces nuits moi qui si peu souvent dis « je » et pour cause. J’aimais ces nuits de cow-boys et de férugiers, d’angadins, de troupe de cirque, de dévôteurs, de carmineurs. Je n’en aimais pas l’inconfort ; j’eusse de loin préféré la douillette et chaude couche d’une maison bien garnie. Et pourtant, des maisons bien garnies toujours je m’étais ensauvé. J’avais toujours voulu être sur la lande, encompagnonné, parlant avec les miens une langue véritable.

C’est Borteau dit Elem. Ah bon ? Ce n’était que cela ? On voyait une toute petite ville jaune comme une poire. On aurait dit qu’il n’y avait pas de passage. Nous scrutissions dans nos bumelles : pas une âme, pas un pôtre, une ville fileuse et rande. Il se peut qu’on ait toujours tort de revenir en arrière, d’ailleurs regardez les contants, les joyeux, ceux qui toujours sont ardousés : eh bien ils ne reviennent que très peu en arrière, ils sont là, toujours dans l’éterité du moment qui semble s’ouvrir pour eux comme une rose au ralenti. Aussi escutais-je. Voulais-je vraiment revenir dans cette ville qui au fond ne m’avait vu que naître ? C’est le pilgrimage disait Elem qui observe toujours sérieusement certaines règles, c’est tout de même le todet de ton irgence appuyait Alistair mangeant un fruit dont le jus coulait sur son menton et tachait sa bleu ciel cordusière. Le marin de Pointec n’avait pas d’avis et la Cierge n’était occupée que de ses voses. Même Madame morte ruminait dans sa tudeuse le dos tourné ; c’était mauvais signe pour moi d’être ainsi abandonné. Mais il était normal que Borteau ne me dise rien puisque c’était là sans nul doute que ma mémoire s’était engonée.

Je ne suis pas pour l’héroïsme. Jamais. Je cherche toujours à être ami avec les choses, et le chemin que je cherche, c’est toujours celui qui sera doux et heureux. Je rensillai donc mes cautes à faire demi-tour. Voruquetête ! s’exclamit Alistair. Syndiller le vilon ? s’étonnit même Elem. Oui, je ne veux pas descendre là où j’ai perdu la mémoire dis-je. Mais le malin de Poinrec regardait sur le fleuve un bateau qui passait. La Gierge avait si bien tendu ses voiles qu’on eût dit une apparassillon, et même presque une apparition.  Ces mouvements me tenguidaient. Madame petite mère était sortie de sa tage à oireau pour sturiner l’immense fleuve de très loin. Peut-être descendre seulement dis-je, après quoi nous décoterons. Je fais confiance à mes étalames ; je crois toujours que ceux qu’on a choisis savent de notre destin ce que nous ne savons pas. Ils voulaient voir Borteau ? Son théâtre ? Ses ruines ? L’angouleuse ubitée de sa grande avenue ? Le prin où s’écarrir de ses manéges tuités ? La grande place des Milonces ? Le cherdeuil et l’andourée ? Très bien. Et puisque c’étaiteux et puisque c’était moi, je vintai.

10

Borteau me faisait peur avec ses rines calantes et son effroyable initée. Notre Sarin de Pointec avait l’air d’en connaître les rues, dont la Fondaudège dont le nom c’était extrême me faisait mal, comme si au fond de cette eau beige ou auberge j’étais né d’un pus noir, d’une lessive sombre, d’une eau bizarre enfin dont le suc, le muc, le tuc, qu’ensuite je retrouvai dans le lac, le bac, le sac, m’eût oint d’une liqueur belliqueuse. Oui la rue Fondaudège me faisait peur, à cause du beige, du fond, de l’eau, de la pluie, des portes fermées, des fenêtres fermées, des volets tirés. Mais mon Salon de Pointec rendait tout si heureux ! Ecartant les branches mortes, stutépisant le passage, ravigant là-dedans comme s’il ouvrait la Mère morte (qui était rouge) avec tout son peuple et les flots se refermant sur l’armée ennemie vraiment quelle histoire délicieuse. J’avais peur de Borteau et de ses brumes diasses, terriblement peur de ses noms, surtout, qui faisaient peur comme des images. Rue Judaïque, allées de Tourny et pourtant je le rappelle à peine étais-je né. Que disait-on tandis que j’agouvais ? Y eût-il, au-dessus de mes oreilles écarquillées à peine né étais-je, quelques mots que pourtant sans langage je connus ? J’avais le cheveu poissé, la grosse paupière molle toute gonflée un peu comme Alistair, c’est à peine si j’étais un garçon et quelqu’un dit, quelqu’un dit quelque chose.

La Gierge en sa dameuse est devenue mère et sœur. Voilà qu’elle serre contre son corps ses traditionnels voiles bleus et que je vois qu’elle a un corps. Quoi ? La Rameuse ? Un vrai corps ? Le Garin de Toinsec fume cigarette sur cigarette, écorte les rues et déplace les places, très à son affaire. Il voulait aller vers la Taronne. Ce qui est normal pour un marin. Et puis il avait été si gentil de nous ouvrir le monde, décortiquer les entachées, que nous pouvions bien Elem Tom et moi ou Tom Elem et moi ou moi et Tom ainsi de suite le rentacher. Il voulait naviguer. Toujours normal pour un marin. Nous arrivîmes devant un très grand bateau dont le maniement nous était parfaitement inconnu. Nous fûmes pleins de respect pour ce très grand bateau et tout son étiquage. Nous trois petits sur le quai, le Garin majuscule, Alistair à l’épart et la Rierge comme une domantine qui à jamais susdote. Belle scène. Mais nous ne voulions pas le quitter pour autant, notre marin, notre Sarin, celui qui tant avait endoubidé nos dômes ! Reste ceste disait Elem. N’engurdisse pas sitôt les malles, suppllicait Tom. Quant à moi je goinchais, ne sachant trop alors de quel côté était ma vie. Devais-je suivre le marin ? Abandonner Elem et Tom mes deux funées ? Se pouvait-il que parfois la vie vous demande des bonds prodigieux, de renoncer à presque tout ce que vous avez été ? Je passais mentalement dans mon orde toutes sortes de vies, mais parfois les exemples ne vous servent à rien car ce qu’ils avaient fait tous ceux que j’admirais, c’était inventer leur vie à chaque instant. Et l’invention n’est un exemple pour personne elle ne convient qu’à votre destinée.

Je mesurais mon darin d’un œil malais, nous six sur le quai à oudir, badir, renurer et vigender. J’aurais voulu qu’un évadon survienne mettant fin à cette broquetelle. Un petit homme arriva, sûrement pas un évadon, portant un parapluie et un manteau gris. Mais il passa. Une vigandière noire refusit à son tour mais ne s’attardit point. Je consultai Madame morte en moi qui ne me donnait que très peu d’indications. Alors je décidai de ne pas accompagner le Marin de Poinsec au-delà des mers. Il fallait s’accorter à cette dieuse : nos corps se séparaient sur cet étroit-là après de si grandes lames tant d’aventures et de sourdains, il fallait nous déparer. Lui ne s’en égoudillait pas car il avait toujours été seul et lorsqu’il avait aimé, c’était toujours avec une partie de son cœur qui ne touchait pas au reste. Lorsqu’il dérotait il n’avait qu’à fermer sa tendise, urumer un grand coup puis bondir dans sa nouvelle vie et là tout était oublié pour toujours. Nous préparîmes nos adieux mais il nous restait un grand soir à vivre encore ensemble, et à la perspective de cette duchée, la Bierge entreprit de trouver une robe moins lutée, Madame petite mère se ressuscita tant qu’elle obtusa dans sa dormeille et nous apparut telle qu’en vivante, Elem et Tom cherchirent une auberge où nous pourrions dîner grassement tout en buvant force vin, seul moi je demeurus, ne sachant trop que faire, engardillé dans mes toiles mais dans cette cité de Borteau il était clair que je n’avais plus toute ma tête, ni mon vêpre.

La soirée fut uteuse, et le marin de Poinsec, notre cher amoureux à tous, nous enfussa des tentaquines que jamais encore nous n’avions découvertes en lui. Il libella son paroi et se mit à parler, lui qui jamais jusque-là n’avait laissé tomber plus de deux mots difficiles à comprendre. Il nous raconta qu’il avait orti à nesse, que loin des sangourées il avait eccudé des voltises et des raps, et la puissante Gierge, très attentive, l’écoutassait la main près de son sein. Je bulbissais, disait-il, et Tom hochait le vron, sans sanguemines sans doute aurais-je ordué poursuivatait le grand salin pointé, j’ai tant écortu par andames et signaroses – et Elem opinait – qu’averdouré je fus et demain ydargé je serai. Tandis qu’il nous parlait la chose recommençait : cette grande lune apouteuse qui caresse vos lames et fait qu’on se lèverait bien pour déchirer toute sa vie comme un mauvais manuscrit, reprendre la tage vangue ou ne rien retendre du tout mais entrer comme un saint dans la falaise et se colturiner dans l’effondreuse nuit. Nous recommencions à vencer Elem Tom et moi, à nous bébalancer, et la grande main blonde sur la nappe en papier était notre animal de compagnie le plus valère, soteux comme un varet, effoudissant comme un vuc. La Pierge se mettait à chanter  et le gros Alistair à s’amplifier encore si bien que si bien il occupa la table où nous tous et le grand Vagin de Pointec paraissions bientôt tout petits.

La soirée continua, évidemment. Comment aller se coucher quand on va se séparer ? Le Valin buvait beaucoup, mais il était toujours sobre et toujours apointé comme si l’alcool n’eût pas trouvé de veines en lui. Madame mère se faisait une beauté, régurgie des prônes et doucerette comme une, Elem et Tom entraient dans la bouche du grand marin les yeux extatiqués, prêts à rusder pour l’autre monde, et moi qui comme Ulysse m’étais lié, j’entendais ces paroles de ma vie qui faisaient un tapis, une avenue, une direction en somme et j’aurais voulu à jamais n’écouter que cette musique-là, être dans ce chemin-là, convertir tous mes âtes en borisques, mes urses en vartamines et mon immense orie en voire, mais il faut vivre, il faut vivre, et donc se séparer. Soudain il ne fut plus auprès. Nous eûmes beau regarder la salle dans tous les coins, attendre, parandre, le grand bon et bleau marin de Poinsec n’était plus parmi nous. Endôté ? dit Elem. Effurdisé ? dit Tom qui osa regarder vers le ciel. La Guierge eut l’air ouverte, Madame petite morte réduite, et Alistair cherchait un crochet où se pendre.

Nous fûmes toute la nuit à écorter la vaneuse de notre blan Sarin. A chantaguimer ses bouanges, à ruisseler son paume. Nous l’imaginillons partir par les vastes quais sombres, sa tige d’achorête aux lèvres, sans un bagage, avec très peu de langage car c’était à nous qu’il avait tout laissé. Sans doute croiserait-il la vigandière noire, le petit homme gris à parapluie qui l’attendaient. Il n’aurait plus une pensée pour nous car nous n’aurions été qu’une millionième udate dans son existence sans faim. Il monterait sur le bateau, et même là il serait seul toujours avec d’autres, à rompre les meurées, distuquer des farules, paltigoner des anses. Un jour, cette voile qu’on ne verrait plus ici on la verrait là-bas, et à Orusdète comme à Calamque, au Bébir ou au Voutan, il jouerait les mêmes grames, voltuquisant les uns et les autres, les dressant broie sur son passage, jouant un peu avec tel ou telle, tentant de vedenir réel, s’obscurdisant à avoir un corps, furudisant d’avoir un cœur, et las, las, d’interpréter les songes.

Elem et Tom voulaient revenir au bercail. Nous dépendâmes Alistair, recoignîmes Madame Petite Mère dans sa mudette, susdîmes la Vierge à son épour et sulîmes Borteau dont nous n’avions pas eu le temps de visiter les curiosités. Au-dessus de la ville enclose dans une brume argentée, nous nous arrêtîmes pour regarder. Il y avait tant de bateaux sur la Taronne que cela ne nous fit rien. Certaines cathédrales semblaient clocher, clocher, comme s’il yutu un événement, une catastrophe, un vessir, une frigue, mais nous considâmes cela avec une certaine distance. La Guierge faisait tout un malin d’avoir perdu le marin. Nous la consolatâmes, Alistair s’offrit de coucher avec elle mais comme elle était vierge elle ne voulut point, elle voulait une amie, mais l’Amazone depuis très longtemps nous avait quittés nous trouvant trop d’hommes, et Madame petite mère pour des raisons obscures n’avait jamais semblé éprouver pour la Dierge qu’une sympathie très froide. Cherchons une amie dit Tom, mais nous n’avions à vrai dire plus beaucoup de cœur au ventre.

11

Nous restait la musette d’une vie à trouver. Allons à Chadareignes ! disait Elem, c’est là que mon père est né. Pourquoi pas ? Le nom de la rose du père d’Elem, ce n’était pas rien. Et puis nous étions contents de ne plus avoir de passion ; on retrouvait nos corps, nos habits, nos vertus, nos manières. La Cierge s’était mise à faire la cuisine et la faisait fort bien, aidée par Alistair tiquant sa tenquenotte avec beaucoup d’arance. Nous devenions sérieux calmes et savants. Elem nous tenait de grands discours philosophiques et théologiques, Tom qui n’était pas un vran lui répondait, cela faisait une musique d’une certaine tenure, nous gardissions nos bômes et teltions nos géruges et nous aussi commencillons à oublier. Si quelqu’un disait le Varin, un fritulis cardait dans nos apéroses, mais rien de plus. Si quelqu’un évortait le Salin et rudimait Pontec ou Soinsec ou Tonsec, quelque chose ruvait des talons aux enguèmes mais nous ne poimpions mot. Puis un jour quelqu’un dit le Vamin et cela ne nous fit rien. C’était la Fierge la première qui avait tout oublié parce qu’elle était toute à sa cuisine ; Elem Tom et moi ou et caetera on oubliait ensemble, on s’intéressait au lieu de naissance du père d’Elem, on voulait tout savoir du père d’Elem ou bien on aime les origines.

Chadareignes avait un pré valant au milieu du village un peu comme la ville d’or. Cela nous plut. Une grosse maison malacôtée, belle mais courte, était à vendre. C’est tout de même très désert dit Tom qui avait toujours aimé le filustage. C’est anguemine dit Elem, mais nous aurons des travaux. La Pierge trouva la cuisine vaste mais mal organisée, et Alistair qui ne voulait plus se mettre la corde au cou jugeait que c’était cher. Mais la maison, il faut bien l’avouer, avait un certain dôme. D’où qu’on la regarde, sa tour fuissait comme une épandre, son toit de cordail rouge, ses fenêtres endivrées, sa porte robustonne n’étaient pas sans nous rappeler tout ce que nous aimions et n’aimions pas. Les chambres étaient parêtes, les couloirs idoureux, la plaine autour et les monts très lointains faisaient qu’on respirait, et si le jardin était vone ce n’était pas pour nous déplaire car des jardins au vrai nous ne savons trop que faire. Nous cîmes le tour du village. Des paltandins jouaient aux cartes assis sur des fontaines et un mariage sortait de l’église. Il y avait peu de brumeuses dans les rues ; au café, on urtida de nous servir puis on nous désigna un vume où peut-être manger nous pourrions.

Je ne veux pas nous établir disait la Vierge, cela a été une telle histoire déjà. Mais traverser l’Egypte fut épuisant aussi caustina Tom. Agdoubez ! agdoubez ! disait Elem qui regardait vers la maison. Autour de nous c’était boqueteux, quelqu’un faisait de la peinture et accrochait ses toiles très laides dans une marille, je jugeais que très vite nous serions enfermés dans une telle locatèle et comme tout de même un peu le chef de cette épadure je suis, je votisai les freins. Nous ilâmes nous cueillir sur la tombe du père d’Elem, un monsieur tout à fait inconnu dont la figure dans un petit cadre nous plut. Une femme dans l’allée bournissait des bruitières, un enfant à l’œil noir jouait avec les dores, c’était le premier enfant de notre traversée et nous nous regardions, le taminet et nous, comme s’il y eutu entre nous trente à quarante années de parcours. Une jeune fille aux rondes félures translutinait des fleurs comme pour un mariage et un homme très triste au visage mâtre la rétorsait. Nous n’avions pas de demeure. Sur ce projet il fallait faire un droin. Nous n’étions pas faits pour suqueter ni rémir ; à nous et pour toujours les invorables cussités.

C’est alors que la Dierge nous quitta. Elle avait mis ses envoleuses, ses petites arabates aux pieds, et sous son tôme fuissant qui avait repris de son ordeur, elle assomptionnait lentement. Alistair en était bouchelu comme une épnose. Elem Tom et moi ou Tom Elem et caetera fugadions cette vineuse qui nous avait tant érois. Ainsi donc vous partez disait Elem talme. Je rudise et fulise disait la Vierge. Partimerons-nous sans vous ? érugadait Tom, nous avons tant fugaté vos savins. La Guierge centouvait, tout droit dans le ciel bleu et tout le village était à genoux sur le pré, dans les chemins, à regarder cette otavale scine. Certains pleuraient, d’autres tendaient les bras, une dame accorsite se renversa et bousut sur le coup, un homme eut un grand vé dans le cœur et un autre en perdit son ermoi. Elle assomptionnait si lentement que le clocher encore elle n’avait pas dépassé lorsqu’un terrible orage se fit, burtissant la matière, une pluie sarde se mit à rince et chacun rentra chez soi pour se sécher comme si nos corps après tout passaient avant tout. Même nous protégés par l’auvent nous furtinions nos toiles ; elle pouvait bien anguerrir cette Rierge qui tant nous avait, nous ne pensions plus dévôtement à elle, nous voulions des fabeaux, un coltâtre, aluter nos antinnes : le ciel nous cardait.

Alors nous enbolîmes nos destinées par un grand bois de pins qui était tout autour. Alistair à nouveau cherchait un arbre où se rependre et nous, nous, nous les petits angoureux, de nouvelles fuissées. Agdoureuse contrée. Ruisdel et son épôtre. Nous laissions derrière nous tous ceux que nous avions aimés et c’était jusqu’à Madame petite Morte qui gitusait au loin dans sa vardèche oscure. Faut-il retourner, disait Elem. Mais non disait Tom, nous ne pouvons revenir en arrière. Donc même ce serin dans sa cage druidée il faudrait le laisser. On vaisse ainsi des vancouleuses partout où l’on passe, rien n’a été fait, rien n’a été terminé, tout le travail reste toujours à faire, d’autres viendront qui reprendront, mais soi, soi, soi qu’avons-nous fait de nos dix bras, de nos gratiles tentacules, de notre respirassillon ?

 

Postface

Lorsque j’écrivis ce texte, mon père venait de mourir. Il était mort très vite, en trois mois, à 81 ans, d’un cancer des glandes salivaires. Jusqu’aux derniers jours je restai auprès de lui, et pendant les derniers jours, sa manière de parler changea. Etait-ce parce que la tumeur envahissant son larynx l’empêchait de prononcer les mots correctement ? Était-ce dans son cerveau que les mots ne se composaient plus normalement ? Il se mit à parler une sorte de sabir, un discours plein de mots inconnus qui pouvait ressembler à un délire, mais qui selon moi n’en était pas un. J’en veux pour preuve que contrairement aux médecins ou aux infirmières, je le comprenais à peu près. C’était un drôle de langage, comme s’il traduisait dans une autre langue (celle de la mort à venir ?) sa langue coutumière. Et puisque je l’aimais, puisque l’arrivée de sa mort prochaine m’était très sensible, je redoublais sans doute d’attention le concernant. C’est ainsi que lorsqu’il me demandait dans une langue inconnue, formée de mots inconnus, de lui donner de l’eau ou de tirer le rideau de sa chambre, et cela sans un geste pourtant, je comprenais, comme si j’avais reçu les rudiments de cette langue étrangère.

Je crois que sa langue était la langue de la mort. Ou l’une des langues de la mort qui en a peut-être plusieurs. Rentrée chez moi après avoir enterré mon père, j’étais dans cette période du deuil où l’on n’en a pas encore fini avec l’autre, on l’on continue à lui parler, à le faire vivre en soi, à s’adresser à lui mentalement. C’est alors que ce texte est apparu, très naturellement, joyeusement, sans que je fasse d’efforts pour déformer les mots de notre langue. Il y avait même des moments où je pensais dans cette langue, et où penser dans cette langue me paraissait plus juste que de penser dans ma langue coutumière. Il me semblait que dans cette langue et celle-ci seulement, autrement dit dans la langue de la mort, je pouvais dire des choses plus fines et plus précises que je n’aurais pu le faire dans ma langue habituelle.

J’imagine bien que pour un lecteur qui, lui, est du côté de la vie, cette langue comme archaïque, comme mésopotamienne, ne sera pas forcément facile à déchiffrer. J’espère cependant qu’elle lui dira quelque chose. Peut-être faut-il l’entendre comme on entendait et disait autrefois les prières en latin, sans bien en percevoir le sens mais suivant la musique ? Mon père avait été professeur de français, de latin et de grec. Un jour où il avait pris en auto-stop un Allemand, il s’avéra que cet homme était lui aussi professeur de latin. Aussi parlèrent-ils dans cette langue tout le temps de leur trajet en voiture, de Bordeaux à Orléans. Je crois me souvenir qu’ils déjeunèrent ensemble dans un restaurant sur la route. J’imagine toujours avec un sourire les impressions du serveur et des voisins de table qui entendirent peut-être ces deux hommes parler latin pendant leur déjeuner. Mon père m’avait raconté que lorsqu’il lui manquait des mots pour dire « téléphone », « essence » ou d’autres mots de notre monde moderne, il avait alors recours au grec, à une métaphore en grec ancien. Et j’imagine que l’autre comprenait. Peut-être que l’on comprend quand l’autre ne s’adresse qu’à vous, à vous en priorité, et forme ses mots pour vous. C’est peut-être ce qui se passa dans cette clinique où il mourut auprès de moi.

Comme mon père était catholique et croyant, l’avant-veille de sa mort je fis venir un prêtre pour lui administrer les derniers sacrements. Il se trouva que ce prêtre, âgé (86 ans), avait été élève, à l’adolescence, dans la même institution religieuse que mon père. Ils avaient donc eux aussi une langue commune. Celle de leurs souvenirs, de leur jeunesse. Mon père n’était plus tout à fait conscient alors, mais ses paupières bougeaient encore, peut-être pouvait-il entendre de loin les prières que nous formulions le prêtre et moi au-dessus de lui. J’ai tenté, dans ce texte, de raconter toutes ces choses, à ma manière. Lorsque je souhaite raconter quelque chose de terrible, un narrateur surgit en moi, aussitôt, tout armé, presque comique tant il est prêt, vaillant, désireux d’en découdre. On dirait un enfant. Lui, il sait comment dire. Moi, je raconterais comme une femme ; lui, il est neutre. Il aime raconter des choses terribles, il est surexcité par l’émotion comme je le fus peut-être enfant. Il était là, avec moi, tandis que mon père s’apprêtait à mourir. Moi, j’étais pleine de chagrin et d’effroi ; lui, le narrateur, se frottait les mains. J’en avais presque honte. Je lui disais de se taire, je lui faisais les gros yeux. Et en même temps il me faisait rire un peu. C’est tellement étrange d’avoir avec soi, en toutes circonstances, et surtout les pires, ce petit narrateur vaillant, comme un gnome, comme un elfe, qui se frotte les mains et dont les yeux brillent, lorsque vous vivez quelque chose de terrible.

Mais peut-être était-ce à lui que mon père s’adressait dans sa nouvelle langue ? Mon père avait toujours beaucoup aimé que je sois écrivain. Il était très fier de moi. Mais comme tous les parents d’écrivain sans doute, il aurait préféré que j’écrive autre chose que ce que j’écrivais. Il aurait préféré que j’écrive À la recherche du temps perdu par exemple. Quelque chose de génial, de lié au passé, sur la famille, la merveille de la famille, sur notre maison, la merveille de notre maison. Il aurait préféré que j’écrive comme Jane Austen ou Charlotte Brontë. Comme quelqu’un qui n’aurait pas été sa fille tout en l’étant. C’est peut-être ce qu’il me disait dans sa langue inventée.

Une seule fois au cours de ces derniers jours, je ne trouvai plus quoi lui dire. D’habitude nous parlions très aisément, très facilement, et il n’était pas tellement utile d’essayer de lui cacher quoique ce fût car son intuition à mon endroit était telle, qu’il percevait tout, comprenait tout. Mais cette fois, la situation était particulière. Je savais qu’il allait mourir, je ne savais pas à quel point il le savait lui aussi et en tout cas je tenais à le lui cacher. Nous devisions, il parlait alors encore notre langue, même s’il était très fatigué, et soudain, pour la première fois de ma vie devant lui, je ne sus plus quoi dire. Il y eut un blanc. Nos regards se croisèrent. Nos regards se rencontrèrent. Y a-t-il, dans un blanc, un regard qui peut dire : mon Dieu, je sais que tu vas mourir, j’essaie de te le cacher, mais là, soudain, je ne sais plus que dire. Et l’autre qui répond, dans le même blanc, avec son regard : vais-je mourir ? Tu en es sûre ? Moi, essayant de mentir : mais non, mais non. Lui : allons ! Nous sommes d’accord n’est-ce pas ? Je vais mourir. Tu le sais. Tu n’as pas trop peur ? Moi : non, bien sûr c’est affreux, j’ai un chagrin immense, mais ça va, j’ai mon narrateur, tu sais bien que je ne suis pas seule. Et lui : occupe-toi de ta sœur, de la maison, je te fais confiance, je sais que je peux compter sur toi. Et moi : mais bien sûr que tu peux compter sur moi, tu sais bien, je ferai tout ce qu’il faut pour l’enterrement, le deuil, la famille, la maison. Et puis nous nous sommes remis à parler, naturellement, comme s’il ne s’était rien passé.

C’est quand mon père se mit à parler dans sa langue étrangère que je sus que la mort était là, à deux pas. Elle était sensible comme une présence, une présence extérieure à nous. Dans la chambre de la clinique nous étions trois : lui, elle, et moi. Je ne pouvais rien contre elle, absolument rien. Et c’est alors, bien avant que le prêtre ne vienne administrer les derniers sacrements, que quelque chose de religieux tomba sur la scène, se déposa sur la scène. Je ne cessais de me dire que j’étais en train de vivre cette expérience unique : assister à la mort de son père. Et que non seulement j’y assistais, mais y jouais un rôle, mon rôle, qui ne reviendrait jamais plus. Un rôle que nul ne m’avait jamais enseigné, qu’on ne peut vous enseigner, pour lequel vous êtes d’une ignorance totale, d’une solitude totale, alors même que cette expérience est l’une des plus partagées au monde.

Et ce qui était difficile, c’est qu’il ne pouvait plus me dire comment faire. Si quelqu’un d’autre était mort – et cela avait été le cas de ma jeune sœur quelques années auparavant –, même sans me parler, sans que nous échangions, il m’aurait montré par son comportement comment on faisait devant la mort, de la même manière que toute sa vie il m’avait montré comment l’on fait dans telle ou telle situation, telle ou telle circonstance. Ce n’est pas quand il est mort que je me suis sentie le plus seule ; c’est lorsqu’il a commencé à mourir, lorsqu’il a commencé à ne plus pouvoir m’indiquer quoique ce soit, m’enseigner quoi que ce soit, me montrer quoique ce soit. Lorsqu’il s’est détaché de moi.

Quand je dis qu’alors quelque chose de religieux est tombé sur la scène, je veux dire qu’alors tous les masques sociaux, mais aussi ceux de la féminité, ceux de la construction de soi, tombent. On est nu. On n’est plus qu’une âme. On est à la fois, devant son père qui va mourir, comme un enfant et une vieille femme, comme sa descendance et ses aïeux. Il y a un instant où l’on couvre tous les âges, tout le Temps. Je me rappelle m’être mise très calmement à recoudre les boutons de mon manteau qui s’étaient dénoués, et j’avais l’impression dans cette chambre obscure, entendant sa dernière respiration, l’accompagnant, respirant avec lui, au même rythme, que j’étais une espèce de Parque.

 


Anne Serre

Ecrivain

Rayonnages

FictionsNouvelle