Nouvelle

Un communiste sur le toit

Ecrivain

Que faisait-il sur ce toit ? C’est en quelque sorte par itération que le texte procède jusqu’à son dénouement et que l’on découvrira de quelle ironie tragique il retourne. Avec cette élégance qui la caractérise, Linda Lê noue puis dénoue un texte autour du destin singulier d’un homme piégé. Une nouvelle inédite d’une grande écrivain.

C’était l’année où partout dans le monde la jeunesse descendait dans la rue pour protester contre la sale guerre qui ravageait un petit pays d’Asie du Sud-Est. C’était l’année où cette même jeunesse, chez elle, lançait des projectiles contre des cars de flics en uniforme. C’était l’année où, dans le petit pays de l’Asie du Sud-Est, une puissante armée étrangère larguait des bombes sur les rizières, où les hommes de cette même puissante armée pouvaient violer des femmes, tirer sur des grands-pères et rire d’avoir mis à sac un village. C’était l’année où partout dans le monde la jeunesse criait le nom du libérateur du petit pays, comme si ce gringalet à barbiche était le messie dont elle attendait l’avènement.

C’était aussi l’année où elle était née, dans le lit d’un hôtel qui avait accueilli ses parents chassés de chez eux par les bombes de la puissante armée. Les draps étaient couverts de sang, la sage-femme se révélait une sorte de magicienne échappée des tribus montagnardes, elle lui avait sauvé la vie, alors qu’elle avait failli mourir étranglée par le cordon ombilical. C’était l’année où, dans le petit pays, des bataillons de loqueteux, emboîtant le pas au libérateur, lancèrent une offensive pour se rendre maîtres de cette terre pourtant saccagée, pendant que la jeunesse des quatre coins de la planète scandait dans les rues le nom du gringalet à barbiche, désormais vénéré à l’égal des grands leaders, à la tête d’une révolution pandémique. Elle aussi faisait sa révolution en venant au monde : elle était à deux doigts de mourir et une sorcière descendue des lointaines montagnes, issue d’une de ces peuplades que les citadins méprisaient, avait desserré le cordon qui l’asphyxiait. Elle avait fait sa révolution en hurlant sa volonté de vivre, comme son petit peuple, sur le point d’être anéanti, pourtant bien résolu à ne pas se laisser détruire. Dans l’hôtel où ses parents avaient trouvé refuge, elle n’avait cessé de lancer ses cris, qui semblaient répondre, d’un côté


Linda Lê

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