La Jumelle H
Helga
Nous avons d’étonnants et brusques trous de mémoire qui nous rendent bien service. « Oublier en mémoire de soi », pourrait être l’idéal collectif. Nos actes passés s’effacent, enterrés sous les lieux communs. Le Mal Terrifiant. La Bête Humaine. Le Criminel Absolu. Des millions de morts, mais nous sommes encore là, en quête d’autres objets, souscrivant à des comportements guidés par notre avidité pour les choses. L’idéologie – et son empreinte diluée – déploie d’autres contours, mais c’est toujours le désir de vivre selon des dynamiques oppressives, qu’elles s’appliquent au travail ou à la famille. Nous pouvons tout faire et subir, tant que cela relève du registre économique, financier. C’est reparti, l’on découvre les plaisirs modernes de la consommation et l’Année Sainte. Le pape bénit les vagues, le sable doré, les établissements balnéaires qui paraissent morts à la fin de l’automne, et cependant ressuscitent au printemps, brillent de plus belle en été. La Reine des sirènes de l’Adriatique. Miss Sourire. Miss Brise Marine. Monsieur Muscle. Le festival pyrotechnique. La course de tortues. La semaine de l’humour. Le concours de blagues quotidien. La marche au bord de mer réservée aux femmes. Le championnat d’aéromodélisme. Le rassemblement sportif du motoclub. Le gymkhana automobile. L’olympiade des enfants intelligents.
Helga et Hilde partent de Milan en train, un matin, au début juin 1951. Destination : Milano Marittima. Helga est sur le quai de la gare centrale en compagnie de son petit ami. Il se nomme Alessandro, il est fils d’avocat, il a fréquenté une autre section de l’Institut suisse de Milan, il est sur le point de s’inscrire en droit. Helga plisse les paupières et se laisse embrasser dans le cou. Elle rassure Alessandro, elle dit, je te téléphone dès que j’arrive. Hilde est déjà dans le compartiment, elle est témoin de la scène finale de l’embrassade. Alessandro a le menton appuyé sur l’épaule de Helga, il serre la taille de sa petite amie, il reg