Roman (extrait)

Je crois que tu me plais

Écrivaine

Un homme, une femme, une histoire. Chacun de son côté a une vie conjugale légitime. Ils s’écrivent de 2013 à 2016 par mails et textos. La dernière œuvre de la grande poétesse et romancière grecque Ersi Sotiropoulos est bien plus qu’un roman épistolaire. Le lecteur est précipité, de plain-pied, dans la vie, les sentiments, le travail, les voyages, l’organisation des rendez-vous, l’érotisme, les facéties, etc., des deux amants. Et fait aussi l’expérience de ce qui ne lui est pas dit : des blancs à remplir, du hors-champ qu’il est amené à imaginer. Suite (et presque fin) de la série estivale des avant-premières de la rentrée littéraire étrangère avec ce roman à paraître aux Éditions Stock, dans la traduction de Gilles Decorvet.

 

 

Objet: cher monsieur petit nichon
De: lafarce@hotmail.com
Envoyé: 29.11.2014
À: moineau@gmail.com

Tes photos me vont bien. Tu as su saisir l’univers d’Eva. Un univers solitaire, mais pas isolé ou pitoyable pour autant. Mon seul souci est lié au travail d’impression. Quand on convertit des clichés couleurs en photos noir et blanc, l’image perd un peu en qualité parfois, tu sais ?
J’ai un rendez-vous téléphonique avec le graphiste, je le questionnerai à ce propos.
Je me suis remise à écrire ce matin dès 5 h. Je continue à l’aimer, ce texte. Peut-être même à l’aimer beaucoup.
D’habitude les beaucoup m’inquiètent, mais cette fois non. Il se dégage de ce bouquin une liberté, comme s’il avait su s’affranchir de moi – je ne suis pas sûre d’employer les mots justes.
Ce qui est certain, c’est que tu l’as nourri jusque dans ses détails. Paradoxalement, le profond (là non plus, je ne suis pas sûre d’employer les mots justes) sentiment que j’éprouve pour toi – qui n’est pas un seul, mais plusieurs à la fois, et souvent contradictoires – ces sentiments qui me semblent parfois pesants et contraignants vis-à-vis de l’Ersi telle que je la connais et telle que je la veux, au point qu’il y a des moments où je souhaite comme par miracle me réveiller, ne plus rien ressentir et repartir à nouveau libre sur les routes du monde : voilà précisément ce qui donne au bouquin sa liberté.
Il se passe la chose suivante. Lorsque je ne te vois pas et qu’ensuite nous nous retrouvons, il y a toujours comme une distance, je ne sais pas si tu es le petit nichon que j’aime. Il faut que je te touche, te hume, qu’on s’embrasse. Et c’est ce contact-là, qui n’est pas que physique tout en étant physique (et que dans Eva je nomme « lucidité du corps »), qui rétablit l’équilibre. Tu perds alors ton statut d’oursin et de M. Poussièropoulos.
Demain je me rends à Patras pour la cérémonie d’hommage et rentrerai lundi soir.
Quand peux-tu passer une nuit avec moi ?

 

Objet: nuit
De: moineau@gmail.com
Envoyé: 03


Ersi Sotiropoulos

Écrivaine, Poète