Les eaux de Joana
C’était une fête privée et les gens vaquaient à travers l’appartement de São Domingos de Rana, un spacieux rez-de-chaussée, avec deux amples vérandas, où s’agglutinaient les convives qui échangeaient, dans l’ouverture des portes coulissantes, des pronostics sur le prochain Benfica-Sporting et des briquets. Dans ces poches d’air interstitiel, s’élevaient de généreuses colonnes de fumée dans lesquelles avançaient, paso doble, la civilisation et le cancer, pour aller se répandre sur les vêtements accrochés aux étendoirs. C’était une fête familiale, chaque couple avait apporté, dans des tupperwares ou enveloppés de feuilles d’aluminium, des gâteaux préparés dans des efforts marathoniens pour concilier boulot, enfants, courses et cuisine, ainsi que de non moins fatigants amuse-gueules salés, des jus de fruits aux étiquettes blanches estampillées d’un sourire aseptisé, des vins à foison, de l’Alentejo pour la plupart, bon marché mais buvables, des vins qui ne rassasient pas l’ego sans pour autant le destituer, dans des bouteilles qu’on pouvait apporter sous le bras, sans les enrober d’un sac de couchage en plastique, et des chips et des cacahuètes salées, des petits fours en tous genres, saupoudrés de cannelle, de sel, de piments, ou de sucre, miniatures en forme d’étoile, ou de duomo milanais, une incroyable variété garnissant la table en pin massif, achetée lors d’un voyage à Paços de Ferreira lors d’une promotion de meubles aux lignes démodées, qui surprenait par l’apparente actualité de ses formes et par la robustesse de sa construction et, lorsqu’on était arrivé avec à la maison, il avait fallu la faire entrer par une fenêtre de la véranda, car elle ne passait pas par la porte d’entrée, c’est alors que la femme avait remarqué que la table avait une bosse dans un coin, indécelable dans la pénombre du magasin, et elle en était devenue toute triste.
Les enfants, un bourdonnement de frelons nains, carambolaient dans une frénésie incontrôlable qui s’arrêtait à peu près au