Nouvelles

Le roman noir de l’Histoire

Ecrivain

Des 77 nouvelles qui composent Le roman noir de l’Histoire, dernier opus de Didier Daeninck à paraître bientôt, en voici deux situées vers la fin du recueil, c’est-à-dire à la fin du XXe siècle, dans les années 1990, cet ouvrage étant classé par ordre chronologique. « Nous payons les années 90 », disait-il dans l’entretien qu’il nous a accordé et que nous avons publié hier. Les années sida, les années où l’on voit bien que le chômage est devenu structurel, où l’on évoque (espère ?) un éventuel sursaut et plus tellement une révolution. Deux nouvelles certes sous le signe du noir, mais l’humour de Daeninckx ne s’y limite pas.

Mobile homme

 

 

23 septembre 1992

Cela fait maintenant trois jours que nous nous baladons dans la région de Carcassonne. Ceux des bureaux se sont affolés pour rien. On nous disait, avant de partir, qu’il y aurait un boulot monstre, mais quand on est arrivés, c’était plutôt la morne plaine. Le patron s’en est aperçu immédiatement : il a rassemblé toute l’équipe pour mettre les choses à plat. D’après lui c’était le coup classique du député en mal de publicité qui fait pression sur le préfet pour qu’il se passe, enfin, quelque chose dans sa circonscription. En gros, les types à écharpes tricolores se servaient de nous comme de figurants, et, si on faisait bien notre travail, l’édile avait toutes les chances de passer sur France 3 Région… Il nous a donc demandé de faire comme si on servait à quelque chose, et on s’est réparti les tâches.

Je n’ai pas à me plaindre, je ne suis pas tombé sur le plus mauvais morceau. J’ai fait tous les commerçants de la rue piétonne, un à un, en compagnie de Jean-Pierre. On lèche la vitrine pendant un bon quart d’heure, on entre pour serrer les louches qui se tendent puis on sort et on passe à la suivante. Il y en a qui nous donnent des bricoles : un pain au chocolat, une pochette pour mettre les cartes de crédit, des bonbons pour la toux. Il ne faut pas se plaindre, ils sont sympas pour la plupart. On s’est juste fait jeter de la librairie de la Cité. Pas vraiment jeter, mais presque. Ma main et celle de Jean-Pierre sont restées dans le vide… J’ai demandé au gars, derrière le comptoir, si c’était lui le patron et il s’est contenté de lever les yeux au ciel pour désigner les étages. On est repartis et au passage j’ai piqué un bouquin sur un présentoir qui se trouvait en dehors de la zone sous surveillance électronique. Au hasard. Jean-Pierre m’a vu faire, il était mort de trouille. Pourtant c’est un costaud, c’est même le plus costaud de nous tous. Son problème à lui, c’est la religion. Où qu’on soit, le truc qu’il fait en premier c’est d’


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