Le roman noir de l’Histoire
Mobile homme
23 septembre 1992
Cela fait maintenant trois jours que nous nous baladons dans la région de Carcassonne. Ceux des bureaux se sont affolés pour rien. On nous disait, avant de partir, qu’il y aurait un boulot monstre, mais quand on est arrivés, c’était plutôt la morne plaine. Le patron s’en est aperçu immédiatement : il a rassemblé toute l’équipe pour mettre les choses à plat. D’après lui c’était le coup classique du député en mal de publicité qui fait pression sur le préfet pour qu’il se passe, enfin, quelque chose dans sa circonscription. En gros, les types à écharpes tricolores se servaient de nous comme de figurants, et, si on faisait bien notre travail, l’édile avait toutes les chances de passer sur France 3 Région… Il nous a donc demandé de faire comme si on servait à quelque chose, et on s’est réparti les tâches.
Je n’ai pas à me plaindre, je ne suis pas tombé sur le plus mauvais morceau. J’ai fait tous les commerçants de la rue piétonne, un à un, en compagnie de Jean-Pierre. On lèche la vitrine pendant un bon quart d’heure, on entre pour serrer les louches qui se tendent puis on sort et on passe à la suivante. Il y en a qui nous donnent des bricoles : un pain au chocolat, une pochette pour mettre les cartes de crédit, des bonbons pour la toux. Il ne faut pas se plaindre, ils sont sympas pour la plupart. On s’est juste fait jeter de la librairie de la Cité. Pas vraiment jeter, mais presque. Ma main et celle de Jean-Pierre sont restées dans le vide… J’ai demandé au gars, derrière le comptoir, si c’était lui le patron et il s’est contenté de lever les yeux au ciel pour désigner les étages. On est repartis et au passage j’ai piqué un bouquin sur un présentoir qui se trouvait en dehors de la zone sous surveillance électronique. Au hasard. Jean-Pierre m’a vu faire, il était mort de trouille. Pourtant c’est un costaud, c’est même le plus costaud de nous tous. Son problème à lui, c’est la religion. Où qu’on soit, le truc qu’il fait en premier c’est d’