Wuhan : chroniques d’un virus annoncé
D’abord, un sentiment d’irréalité. L’impression de ne pas être là.
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Jusqu’à l’horizon, des immeubles, immobiles, laqués, glacés.
— Regarde Alexandre !
C’est ma collègue chinoise, Lanlan, qui s’arrête de marcher, m’interpelle en pointant son doigt vers le soleil qui décline. Je suis surpris, je regarde son index :
— Quoi ?
Elle répond :
— Mais là !
Je lève les yeux, je ne vois rien, je panique :
— Quoi ? Mais quoi ?!
Dans ma tête, des images de catastrophe, de films d’horreur, de science-fiction, de zombies, une comète qui perfore l’atmosphère. Devant moi : rien.
Elle s’extasie :
— Le ciel !!! On voit le ciel.
Elle s’arrête de marcher dans la rue et prend une photo du coucher de soleil avec son smartphone. Je regarde autour de moi. Tous les Chinois se sont arrêtés pour prendre la même photo du ciel qui s’embrase.
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Cela fait dix jours que je suis arrivé à Wuhan et je me rends compte que je n’ai pas encore vu le ciel, que c’est la première fois que je vois le ciel.
Il n’y avait jusque-là que : ce nuage de pollution posé constamment sur la mégalopole, comme une écharpe, une chape, sur ses buildings post-futuristes, ses vieilles bâtisses. 300 jours sur 365.
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Cela fait dix jours que je suis arrivé à Wuhan et cela fait dix jours que mon nez coule en continu, que mes yeux coulent en continu. Je ne sais ce que mon visage sécrète, évacue. Quel choc il absorbe.
Peut-être que mon corps mute. Qu’il s’adapte. À cette pollution constante de l’air. À ce nuage invisible de particules fines. Qui se mêle à la poussière des constructions incessantes.
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SO2, NO2, O3, PM2.5, PM10, dioxyde de soufre, dioxyde d’azote, ozone, particules fines : le cloud cannibale du XXIe siècle.
Beau cocktail
pour un mutant.
Pourtant, dans la rue, personne ne porte de masque. Peut-être que le corps des Chinois a déjà muté.
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La moyenne de la concentration des particules fines à Wuhan est de 102 microgrammes par mètre cube (µg/m³). Dix fois plus qu’à Paris. Le pire jour de l’année pour Paris correspond à