Quelque part, loin de la beauté
Comme j’avais un tambour de quinze kilos sur le dos, je me suis arrêté à la station de bus. Elle affichait douze minutes d’attente, j’en aurais eu pour sept minutes à pied. Le froid était méchant, mouillé et rancunier, et le vent ne se privait pas d’orienter la pluie vers ma pauvre personne – sans écharpe ni bonnet. C’était un moment bien choisi pour la question existentielle qui, d’après tous les sondages d’opinion, reste la question la plus posée dans les fors intérieurs, cadre professionnel ou familial : qu’est-ce que je fous là ? Évidemment, je n’y ai pas échappé. Moi, étudiant en master 2 de philosophie, laissant Port-au-Prince pour Paris avec la ferme intention de re-fonder la pensée universelle pour les siècles à venir. Mais qu’est-ce que je foutais là avec un sac à djembé mouillé posé à côté de moi, sous un abribus que le Tout-Puissant a cru bon de placer à la sortie d’un turbulent courant d’air. J’ai traîné cette impérieuse question pendant douze minutes d’horloge dans les conditions susmentionnées, z’yeutant mon téléphone plutôt que l’affichage de l’abribus, technique bien connue pour accélérer le temps et qui d’habitude produit son petit effet. Après ce calvaire, simple et efficace, j’ai regardé vers Godot, pas de bus en vue, je me suis levé les yeux, et là, panique à bord, deux seules minutes venaient de s’écouler d’après la régie du transport des passagers, puisqu’à présent le temps d’attente était estimé à dix minutes.
Par parenthèse, je tiens à dire que dix minutes ne sont pas bien longues, et que j’en suis conscient. C’est le temps qu’il faut à un réveil pour sonner à nouveau, au petit matin. C’est la durée moyenne d’un accouplement humain, tendresse de fin incluse ; le temps d’un hamburger bien savouré, s’il y a frites et soda ; la durée d’une micro-sieste ou le temps d’échauffement avant un remplacement au foot. Ce n’est pas bien long. Mais ces dix minutes-là, en colère contre la régie des transports et dans l’incertitude complète de l’arrivée réel