Récit

Sidérations

Historien et écrivain

Siderari, subir l’action funeste des astres. Sous le soleil violent – et récurrent – de la sidération, Sylvain Pattieu propose ici des fils d’histoire et de pensées confrontées au réel, des instantanés, des morceaux de vie passant des grèves de l’hiver au confinement d’aujourd’hui. Être sidéré « c’est pouvoir dater de ce moment l’avant et l’après. Ça ne fonctionne plus pareil et pourtant ça continue, on intègre les nouvelles données. »

C’était l’année où on avait rajeuni

Ça faisait l’odeur de la chambre quand on a laissé aérer, fenêtre ouverte, porte fermée, et qu’on rentre

Une bonne bouffée d’air frais.

 

Encore une seconde plus tôt, on était des amoureux tout frais

Encore une seconde plus tôt, toutes celles et ceux qu’on aime étaient là, mère, grand-mère, grand-père, n’avaient pas disparu.

Encore une seconde plus tôt, nos enfants, des bébés dans nos bras.

 

Ça file vite.

 

Je roulais sur mon vélo déglingué pour aller à la manifestation,

Le long du canal.

C’était Tonnerre-Décembre.

Dès le début je me suis dit c’est historique, ce moment, plus tard on dira ça a été un coup d’arrêt, pour le néo-libéralisme, ou bien ce fut la défaite de trop, la curée ensuite, un massacre social.

Il y avait les fumigènes allumés, les cheminots en première ligne, la fin glacée de l’automne, le combat pour préserver des acquis sociaux.

On pensait à 95, forcément, du temps où le gouvernement reculait face au mouvement social.

Ça me rappelait mes premières manifs, on avait fait débrayer le lycée, envahi la mairie d’Aix-en-Provence, un saxophoniste jouait Couleur café.

Ça s’était tellement gâté ces dernières années, il y a eu tant de défaites sociales. On se décourage à force de perdre, on se dit, ça ne sert plus à rien, et puis ça revient, la lutte des classes, ça surprend et ça éclate sur fonds gilet jaune, sur fonds rouge mâtiné de vert.

Cette fois, et ça faisait longtemps, on y croyait, on pouvait gagner. « Tou-tes ensemble », « tous-tes ensemble », ouais, ouais.

J’en étais presque à faire du spiritisme. Esprit de 36, esprit de 95, pourvu qu’on gagne, ensuite on continue, on se rassemble, peuple joyeux et victorieux.

 

 

Riad m’a emmené au Bourget, au dépôt SNCF, dans un préfabriqué, il m’a dit tu verras l’ambiance, tu verras comment ça se passe. Nos enfants sont dans la même école, nos fils jouaient au foot ensemble, à l’Olympique Noisy-le-Sec, nos filles sont dans la même classe de maternelle, très copines. On s’es


Sylvain Pattieu

Historien et écrivain, Maître de conférences en Histoire

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