Boa et moi
Il était parti voir ses enfants chez son ex-femme à Lausanne. Or c’était évident, il ne pourrait pas rentrer. Les frontières allaient fermer. Et bientôt ce ne seraient plus les frontières mais les rues, les magasins, les portes. Quand Daphné comprit qu’il ne reviendrait pas, car leur relation, il fallait voir les choses en face, battait de l’aile, elle eut un réflexe de survie. Elle enfila un masque et des gants et sortit s’acheter du riz, du quinoa, des pommes, elle mangeait comme un oiseau.
Elle était une femme que les hommes quittaient. Elle n’était pas autrement surprise par ce nouvel épisode. Sa vie n’était qu’une longue rupture. Quelque chose en elle ne suffisait pas. Elle se laissait dévorer, et puis, quand il ne restait d’elle que la peau sur les os, ils allaient voir ailleurs.
Une affiche était collée sur la porte de l’animalerie devant laquelle elle passait tous les jours. Les animaux étaient donnés. Elle se souvint qu’ils l’avaient dit à la radio. Toute la semaine, donnés, avant qu’on ne procède à leur élimination. Elle entra. Un chien, jamais de la vie : trop de bruit, trop de poils, et l’obligation de le sortir. Les vagues d’abandons était un classique des pré-confinements. Un chat, elle était allergique. Vers le fond de la ménagerie, des canaris voletaient, tout de suite arrêtés par des barreaux. Elle n’allait quand même pas prendre une perruche. Et là, toute une cage de très jolis oiseaux, « des inséparables », dit le vendeur. Faut-il dire « vendeur » quand c’est donné. Il y en avait un, gris et orange, qui la regardait, tête penchée, tchip. Contrairement à une légende tenace, dit le vendeur, un inséparable peut vivre seul. Regardez, ils sont onze. Il les compta, le chiffre onze tomba sur l’inséparable tout seul qui la regardait.
Elle sentit le piège. Cet oiseau lui ressemblait trop. Tchip tchip dans sa cage.
Ils n’avaient pas eu d’enfants. Lui, il en avait de son premier mariage. Trois. Qu’il s’était mis en tête d’aller voir à Lausanne. Il envisageai