Nouvelle

Aux balcons

Écrivain

Cette année ce fut Pâques au balcon, à 20h. Et si c’était aussi l’occasion de happenings et autres interventions, devant un public toujours au rendez-vous ? Thomas Clerc en a fait la matière d’une nouvelle, pas seulement satirique. On se souvient bien sûr qu’il est l’auteur d’Intérieur. Il ne s’agit pas tant ici de ne pas sortir, plutôt de faire un tour dans un espace d’un nouveau genre.

Il habite au troisième, comme moi. Je ne l’avais pas remarqué, au début. Et puis voilà une semaine que nous nous voyons tous les soirs. C’est le rendez-vous de vingt heures. Les fenêtres s’ouvrent, les applaudissements fusent. Il faut bien montrer qu’on est solidaires. Sur internet, certains sites parlent de millions de victimes. On raconte n’importe quoi sur internet. Le brouillard domine. Ça fait du bien d’en sortir, même sur un balcon.

Je n’ai jamais vu personne sur son balcon, même avant. C’est un long balcon, filant, comme disent les spécialistes, devant deux grandes baies vitrées, et une troisième fenêtre, d’où il sort chaque soir. De ma petite terrasse, j’ai un bon poste d’observation, un peu décalé, latéral. J’installe mon ordinateur, je soigne mes plantes, je prends un café, et depuis peu, donc, j’observe ce qui se passe. Lui aussi doit pouvoir voir une partie de mon intérieur, depuis ce promontoire.

Au quatrième, au-dessus de lui, c’est une famille ; et au deuxième, une vieille dame. Au cinquième, je n’ai vu personne. Au sixième aussi, il y a des enfants, un couple. Au premier étage, les volets sont clos. Ils ont dû partir à la campagne. Je n’ai pas de campagne, j’ai une petite ville dans le sud et une famille que j’aurais pu retrouver dès le premier lundi, mais je ne l’ai pas fait. J’ai hésité, j’ai peut-être eu tort, je ne sais pas. Je préfère rester seule que rejoindre ma famille. Je ne comprends pas bien ce ramdam autour de la solitude. On dit que les violences de couple ont augmenté. C’est inévitable. Comment peut-on supporter autrui nuit et jour ? J’ai l’impression qu’il serait de mon avis si je le lui demandais. Seul et solitaire, ce n’est pas la même chose.

Les autorités disent qu’on n’a pas encore atteint le pic de l’épidémie. Que penser, que croire ? Je n’ai pas peur. S’ils disaient aux gens qu’on en a pour six mois, l’abattement serait profond. Il y aurait des troubles. Il y a déjà des dépressions. Au début, j’ironisais sur le virus, qui porte l


Thomas Clerc

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