Le dilemme de l’ethnographe
En face de moi, dans ce métro bondé dont l’espace aux heures d’essaim se fragmente en visages flottants, désagrégés par les assauts d’une mauvaise fatigue qui leur donnent à tous, malgré leur bigarrure, la même couleur de grès atone, il y avait ce rectangle publicitaire, une fenêtre de langage basique et tonitruant, boniment couleur jaune bleu blanc, ouverte comme un prodige presque obscène dans cette épaisseur de faux silence qui ouate sans douceur les transports en commun. Bruissement des moteurs, souffle des turbines et cliquetis des rails. L’affiche me proposait en offrande : une pièce en plus, et mes yeux se sont pris aux rets de ce syntagme aux polysémiques perspectives, d’une simplicité de crucifix, à l’image du logo souriant qu’il jouxtait, la petite maison citron. En offrande : une solution d’entreposage souple et modulable. Et tandis que je glissais du nom barbare vers les adjectifs aux volutes, une discrète promesse de respiration s’est frayée dans l’asphyxie terrifiante de mes lucidités conjugales.
En Italie et lui j’avais vingt ans. Et puis aussi un peu plus mais à peine. C’est le temps qui m’apprend sa mesure. Je voudrais me persuader : ni toi ni moi ni nous, mais seulement le temps, l’usure. Goutte à goutte, jusqu’à celle du débordement.
Claude Lévi-Strauss venait de mourir, j’écrivais sur lui un papier commémoratif pour l’un des journaux qui publiaient mes articles, mais déjà, dans les surfaces kaléidoscopiques et bavardes des kiosques s’étendaient ses traits palimpsestes aux multiples sillons, géographie humaine plus que centenaire, larges lunettes aux montures d’écaille claire, les yeux blanchis, laiteux comme seules sont laiteuses les constellations, bouche grave et triste et désormais oblique à la suite d’un quelconque accident de l’âge, il posait d’outre-tombe sur l’heure contemporaine ce regard si consterné et apitoyé qu’il semblait nous condamner à ne pas en sortir indemnes.
J’avais lu là-bas, dans un repli ocre et vert amande de l’Arno et le