S’il me manque l’amour
Le réveillon de Noël avait été superbe. Enfants, petits-enfants, on l’avait particulièrement entourée, là où, d’habitude, on s’amusait sans trop s’occuper d’elle qui, étourdie par le bruit et l’agitation, s’excluait doucement, piquant du nez sur sa tranche de dinde farcie qu’elle distinguait à peine, bientôt on la dirait aveugle. De sorte que son assiette, si l’on n’y prenait garde, devenait un véritable champ de bataille et qu’elle déclarait souvent forfait avant d’avoir terminé, elle pourtant si gourmande, mangeant comme quatre, disait sa fille aînée. La cadette renchérissait : leur mère devenait de plus en plus lourde, de plus en plus difficile à hisser de son lit au fauteuil roulant, même avec l’aide de la garde-malade, ça ne pouvait plus durer. Mais en cet ultime réveillon chez leur mère, dans la maison dont sa mémoire d’aveugle sillonnait jour après jour les pièces où elle ne se rendait plus, chacun veillait au grain : il s’agissait de la combler d’attentions comme si c’était le dernier Noël de sa vie, même si la fille aînée lui avait assuré que lorsqu’elle serait aux Glycines, on irait la chercher pour une promenade en fauteuil roulant dans le jardin de la résidence et qu’on s’arrangerait pour la ramener dans sa maison aux dates importantes : anniversaires, Noël, Pâques. Du reste on lui trouverait une chambre avec vue, évidemment. De ce côté-là, rien n’était moins sûr, mais on le lui affirmait. Si c’était vue sur le parking, ce serait provisoire – des résidents sur jardin mourraient, leur chambre se libérerait.
Après Noël, la vie continua comme avant. La cadette, qui vivait là, levait la mère et lui préparait son petit déjeuner à la cuisine avant de partir au travail. Une infirmière à domicile venait pour la laver et la reconduire dans sa chambre aménagée au rez-de-chaussée dans un petit bureau qui avait été celui du père. Il n’y avait pas de salle de bain attenante, et l’unique cabinet de toilette – un WC, un lavabo, le tout dans un espace exigu à peine prat