Nouvelle

Ce qui dort

Écrivaine

Comme tous les ans, nos « fictions » du mois de juin donnent la parole à des étudiant(e)s qui suivent des enseignements de création littéraire. Aujourd’hui, nous publions une étonnante nouvelle de Sephora Shebabo, en master Textes à La Cambre (Bruxelles), également étudiante à l’école d’art de Cergy dont elle a suivi l’atelier de création littéraire l’année dernière. La narration avance, avec assurance, maîtrise et sobriété, dans une tranche de vie quotidienne. Comme il s’agit de celle d’un enfant, celle-ci est peuplée de monstres en sommeil et de peurs joyeuses. Après une chasse en forêt, père et fils rentrent chez eux où les attendent, notamment, la télé allumée.

Une nuit de cendres tombe lentement sous les arbres. Le champ de vision est restreint à un périmètre en sursis de lumière bleue. Ils se déplacent avec prudence dans les roulements et craquements de la nature morte. L’automne a été sec cette année. La marche est lente, le pas lourd, à cause du poids et de la fatigue. Les deux adultes avancent l’un devant l’autre, chacun porte à l’épaule une branche épaisse à laquelle est accroché un sanglier pendu par les jambes qui se balance lourdement. Le gilet orange fluorescent du père se détache dans l’obscurité naissante. Le second homme et l’enfant sont vêtus de kaki, dissous dans les branches et les feuilles, seuls leurs visages flottent comme des ballons pâles. Le chemin est trop étroit pour ramener la voiture jusqu’ici, de plus, la barrière à l’entrée du bois était baissée à leur arrivée. L’enfant trottine sur le bord du chemin, glane des branches et les abandonne aussitôt. Il faut reposer les mauvaises avant trois secondes sinon elles explosent. Ensuite, en ramasser une autre avant d’avoir compté jusqu’à dix. À dix c’est le sol qui s’écroule, broyé par les mâchoires des monstres souterrains, s’il n’y a pas de nouvelles branches, traverser le chemin de terre rapidement, jusqu’à l’autre rive, en terrain sûr, où dix autres secondes sont encore possibles. L’enfant bourdonne autour des adultes, reste en arrière puis les dépasse, se heurte parfois à leurs jambes en traversant le chemin à toute allure. Le père est agacé, et plonge des regards éclair dans cette forme qui papillonne autour en marmonnant. Tout le monde a faim, l’estomac creusé par l’après-midi. Avec la nuit c’est aussi la fraîcheur qui tombe et gonfle la forêt d’humidité. Juste avant que la terre explose, à huit, il l’a vu. Sous des ronces entremêlées, une spéciale. Neuf. Une main plonge dans l’écrin épineux, les doigts rencontrent une surface lisse et sèche, ses jointures se resserrent autour, puis sans hésiter il arrache d’un coup franc le butin aux branches épin


Sephora Shebabo

Écrivaine, Artiste

Rayonnages

FictionsNouvelle