Roman (chantier)

Portraits aux abois

Écrivain

Nous continuons notre série de juin consacrée aux « plumes en herbe » avec le texte de Rémi Ciret, étudiant du master de création littéraire de Paris 8. Celui-ci nous a confié un extrait de son travail préparatoire à l’écriture d’un roman. Des noms, des voix, donnent corps à des personnages et à un texte choral. Entre réalisme acide et fantaisie totale, on ne sait dans quelle entreprise travaillent ces personnes mais on voit bien qu’on n’en pas fini avec l’aliénation par l’affect.

Colette

Oui, c’est peut-être vrai qu’un certain contexte économique et social justifie une pression croissante sur les salariés ces temps-ci ; néanmoins, chaque membre du personnel a ses valeurs – le travail répond aussi à des valeurs qui lui sont propres – et aucune logique économique ne doit vous mettre dans cet état-là ; certes, chacun d’entre nous a les facultés de se résoudre aux lois d’une organisation économique ; dans l’ordre des choses, ce sont toujours les mêmes qui subissent les mauvaises décisions tandis que personne ne vient demander des comptes aux responsables qui s’acharnent à faire appliquer manu militari ce qui leur sort de la tête – ils ont ce pouvoir et vous devez ployer.

Valentine

J’ai rêvé que je couchais avec Brigitte Martel. Mes yeux se sont ouverts avec une telle rapidité que je n’ai pas pris conscience tout de suite qu’il s’agissait d’un rêve. Il m’a bien fallu une demi-heure pour en sortir ; Brigitte Martel s’apprêtait alors à se jeter sur moi, ses yeux étaient remplis d’une force démoniaque ; elle avait pourtant ce foulard pâle sur ses épaules ; je me tenais debout devant son bureau derrière lequel elle me toisait à la manière d’un chat sauvage qui s’apprête à bondir, égale à elle-même, de sorte qu’on ne s’approche jamais de Brigitte Martel ; semblable aux petits enfants qui ne s’approchent pas des chats car ils ne savent jamais s’ils vont se prendre un coup de griffe.

Hubert

La nature humaine est tant prévisible que je perds chaque jour un peu plus de foi en l’autre. Pour un directeur des ressources humaines, c’est légèrement problématique. Si j’avais le monopole dans la direction de cette entreprise, je punirais tout le monde, de châtiments corporels. J’aime les bonnes vieilles méthodes. Jadis, elles conjuraient toute tentative de dérive ; elles portaient les liens à ceux qui se rebiffaient et finissaient par faire retentir le son délicat du rappel à l’ordre. De nos jours, force est d’avouer que nous devons consentir à contenir un sadisme trop voyant : quelques-uns y renoncent tandis que les plus perfectionnistes tendent vers un investissement démesuré. Le circuit purificateur est désormais un simple circuit psychologique qu’il convient d’ornementer à sa guise grâce aux manuels de management. Dans la plupart d’entre eux, les bourreaux doivent prendre des airs de victimes et c’est la porte ouverte à toutes les dérives : les punis s’identifient, comprennent, pardonnent et la visée retombe, leurs esprits vagabondent, retournent immédiatement repentis là où ils étaient couchés. Ainsi, le gâchis va prendre de l’ampleur et toutes les solutions que je peux trouver me semblent déjà compromises. À chaque jour suffit sa peine : ça commence tout juste et c’est déjà mal parti.

Colette

Oui, c’est insupportable ; alors, voilà : je vous confie une solution pour inverser la tendance, vous faire justice, retourner les coups et vous délivrer du mal qui vous ronge ; on vous dira : oui mais votre honneur ; tant pis, rangez-le où bon vous semble, il ne vous servira pas à sortir de cette situation venimeuse. Gardez ça pour vous ; je ne voudrais pas qu’il vous arrive malheur si l’on venait à apprendre que vous utilisiez ce sortilège contre quelqu’un ; ça sera un secret entre nous. Pour initier votre vengeance, il suffit d’inscrire le nom de votre ennemi sur un papier que vous plierez ; puis, en portant le petit carré face à votre bouche, vous prononcerez doucement « je te hais, je te hais, je te hais » mais d’une façon épouvantable ; enfin, vous placerez le petit papier dans un congélateur. J’ai hâte que vous veniez me raconter la suite des événements.

Valentine

De toutes les personnes que j’ai rencontrées dans ma vie professionnelle, Vivien Lereclus est certainement le moins compétent pour être chef de projet communication de notre groupe. Au grand jamais, Vivien Lereclus n’aurait dû se retrouver chez nous. Ma responsable, Brigitte Martel devrait se mordre les doigts de ne pas avoir remarqué certaines évidences. Lors du recrutement, si j’avais été Brigitte Martel, la seule lecture de son nom de famille sur le curriculum m’aurait alertée. Heureusement, je ne suis pas Brigitte Martel car Brigitte Martel est coupable de l’avoir fait pénétrer dans cette entreprise : personne sur le marché ne recrute quelqu’un qui s’appelle Lereclus pour un poste où la communication joue un rôle crucial – sur une carte de visite, c’est une tache. Il y avait une mauvaise prémonition depuis le début : à l’avenir, je me méfierai des noms de famille et de ce qu’ils véhiculent car ils sont généralement révélateurs de ce que contient le code génétique de ceux qui les portent ; comme on dit, les chats ne font pas des chiens mais, entre nous, Brigitte Martel n’a aucun discernement et elle ne fait pas partie des personnels les plus compétents pour le poste qu’elle occupe non plus ; d’ailleurs, on peut dire que Brigitte Martel a un nom de famille adapté à sa mesure mais s’agissant de son nom d’épouse, je n’y vois encore que fatalité ; on pourra donc mettre cette double erreur de casting sur le compte d’un mauvais coup du destin.

Hubert

Si ça ne tenait qu’à moi, je réorganiserais tous les jours. J’officie depuis des décennies dans bon nombre de groupes de renom : j’en change en général tous les quatre ans, ce n’est ni trop court, ni trop long – à l’image de la durée du mandat d’un président américain – quatre ans, c’est bien – c’est la durée parfaite pour ne pas s’enliser et rester désirable aux yeux du marché. Comme tous mes confrères, je pars avant que tout ne s’affaisse – je laisse la place à un plus jeune directeur des ressources humaines qui a encore besoin de se faire les dents sur une société en déliquescence, tenter de limiter la casse avec des plans sociaux en tout genre – rien de plus facile : tout a été initié par le prédécesseur – ils n’ont plus qu’à poursuivre le travail en dégraissant la masse salariale alors que pendant ce temps-là, je m’envole vers des cieux plus cléments mais, indéniablement, tout finit un jour par s’effondrer.

Colette

Bien sûr, il y a ceux qui regardent la télé en rentrant, qui mettent des pantoufles, qui regardent deux programmes d’affilée, du divertissement what else, pas des émissions politiques. Seuls ou accompagnés, ils préparent le repas et ils mangent, devant la télé. Ils finissent par regarder le divertissement du soir puis ils vont se coucher. Ils sont des millions comme ça et parmi eux, il y en a une bonne partie qui va se prendre un bon petit Lexomil pour être sûr de bien dormir parce que leur journée passée, elle leur trotte bien au fond de la tête, elle revient leur dire ce qu’ils ont oublié de faire. Bien sûr, c’est pas des cadres supérieurs à qui ça arrive ce genre d’hallucinations, ça non. Les cadres supérieurs n’ont pas la même notion du temps que les petites mains qu’ils gouvernent : tous les mercredis, ces rats quittent le navire et retrouvent leur progéniture sans aucune once de culpabilité vis-à-vis de leurs soi-disant responsabilités car il faut bien que les gosses de ces incapables sachent qu’ils ont des parents exceptionnels et c’est pas pour autant qu’ils se mettent à quatre-vingts pour cent, temps partiel, parce que c’est mal vu, ils trouvent toujours le moyen de s’arranger – si la nourrice est malade, ils ramènent leurs chiards ici, comme ça tout le monde les trouve formidables avec leur marmaille sur les bras, les rombières en ont la larme à l’œil, mais pensez au péquin qui travaille sur la plateforme téléphonique et qui fait ça – on le renvoie chez lui, oust, du balai ou, au mieux, on lui accorde le droit de prendre un congé à titre tout à fait exceptionnel. Enfin, le vendredi à deux heures de l’après-midi, ils se sont tous cassés : d’un seul coup, une nuée et il n’y a plus personne dans la kasbah, que des petites mains qui tapent sur les touches d’un clavier, au pire une assistante débordée. Certes on leur a épargné le travail douloureux, physique, intensif mais celui-là c’est maintenant pour les travailleurs sans-papiers – des esclaves tout simplement ; notre classe ouvrière actuelle, elle est dans les bureaux, derrière des écrans, elle est sous surveillance. Vous pouvez toujours leur proposer de faire du sport après huit heures d’un tel boulot, une fois qu’ils ont bâtonné le nombre d’actes réalisés qu’ils soumettent ensuite à la case d’une colonne, d’une feuille, d’un tableau Excel, proposez-leur une bonne petite séance de rameur : ils vous envoient chier parce que, eux, ils ont ramé toute la journée. Toute la journée, des petits kapos de bureau se relayent pour les surveiller. Il ne faut pas se leurrer : si jamais vous pensez y échapper un jour, il faut plutôt vous habituer à l’idée qu’on finira tous comme ça, vos enfants, vos petits-enfants, les uns qui surveillent les autres : il n’y aura bientôt plus rien d’autre à faire. Certaines classes sociales sont nostalgiques de la Gestapo, de la Stasi : des fois, je me demande si le processus d’Auschwitz est bien fini. La lutte des classes a encore de beaux jours devant elle. Mais qu’on ne vienne pas me voler dans les plumes pour des idéaux : tout ça, ce n’est plus de mon âge et j’ai déjà bien assez donné comme ça. Ce qu’il nous faut désormais, c’est du divertissement. Mais même ça, c’est bien ordonné, ça ne dépasse pas les contours puisque la classe ouvrière va au cinéma le week-end, parce que la semaine elle n’a pas le temps, pétrie de peur, elle adore la peur, ainsi elle est sûre de ne rien changer à l’ordre des choses, de ne surtout rien commettre : protéger la journée de travail, c’est ce qui compte le plus pour elle. Le lendemain, au moins, ragaillardis, certains qu’ils n’arriveront pas en retard parce qu’ils n’ont pas été au cinéma la veille, parce qu’ils n’ont pas eu rancard ou je ne sais quoi, ils sont fiers de pointer à l’heure devant leur chef qui n’en a rien à foutre de leurs sales gueules de ploucs. S’ils ne sont pas irréprochables, ça les bouffe en dormant, de savoir qu’ils vont peut-être dépasser l’heure et ne plus dormir, flipper sur le réveil qui sonnera ou qui, peut-être, ne sonnera pas, sur leur aptitude à l’entendre, ce foutu réveil. Organiser sa putain de vie de merde – en cinq heures de temps pendant lesquelles il faut : se détendre, grailler, profiter, se divertir, s’élever, s’éduquer. Pour ma part, il me reste dix ans à tirer et si tout va bien, je ne serai plus là.

Valentine

Je m’appelle Valentine Legret. Je n’ai présentement aucune disposition professionnelle positive, ni même de disposition affective positive, envers Brigitte Martel, ni qui que ce soit d’autre d’ailleurs.

Hubert

Ici, la sclérose guette à chaque palier de porte ; elle contamine, y compris le dialogue social ; les délégués syndicaux sont certainement les plus mal lotis intellectuellement. Il est vrai que notre entreprise n’est pas dépourvue d’énergumènes pervertis auprès desquels je m’épanche pour assouvir mes éventuelles démonstrations de sympathie : prenez Gontran, le délégué syndical du Trans Napalm. Je dis Gontran parce que je ne me représente toujours pas Amanda que j’appelle toujours Gontran, qu’est-ce qui change au fond, je l’appelais Gontran quand il se travestissait, un inverti reste un inverti et même si les clichés me navrent, il faut avouer que les invertis sont les premiers à s’y jeter : ainsi, depuis qu’il a démarré sa transition, il se comporte en Amanda, c’est-à-dire qu’il secoue sans arrêt ses longs cheveux dans tous les sens, mâche vulgairement du chewing-gum, se lime les ongles en public : devenir une femme d’accord, mais se transformer en pétasse, je dis non !

Brigitte

Si j’ai toujours été du bon côté de la meuf, j’ai sérieusement commencé à me décatir à partir du moment où je me suis remise à fumer comme un sapeur à cause du stress. À l’heure du bilan, ça fait chier. J’aurais peut-être dû m’intéresser aux campagnes d’actions contre le tabagisme que j’ai toujours regardées avec dédain. Quoique fumer m’a toujours permis de garder une sacrée ligne. Mais ma voix s’est modifiée. Maintenant, j’ai clairement une voix d’homme à bout de souffle qui contraste à mort avec mon physique de grande blonde longiligne. Ça plaît aux pédés et je passe maintenant pour un travelo formidable dans des soirées où je n’avais jamais mis les pieds jusque-là. Là-bas, je peux espérer trouver chaussure à mon pied avec un presbyte mais au moment de me faire traîner dans les coulisses, mes prétendants ont toujours un ami clairvoyant qui finit par leur faire voir la vérité en face : je suis une femme. Ce n’est pourtant pas faute d’insister sur les bijoux et le maquillage. Jamais je n’aurais pensé devenir une telle créature, en être réduite à ça : inenvisageable.

Valentine

Les conflits professionnels, c’est pire que les ruptures amoureuses pour miner l’existence. Ça presse la cage thoracique sept jours sur sept, vingt-quatre heures sur vingt-quatre, sur les heures de travail, en y allant, avant de dormir, avant de revenir du week-end, il n’y a plus rien à quoi se raccrocher pour résoudre les problèmes ; il n’y a plus que soi sur qui l’on puisse compter. La dépendance avec le travail est bien trop grande pour être vécue sainement car il n’y a pas de solutions quand ça ne va pas, plus particulièrement quand Brigitte Martel va trop loin. Si j’ose m’en plaindre, on me répond que l’herbe n’est pas plus verte ailleurs. Je préfère ne plus rien en dire et j’ai trouvé la parade : quand ça ne va pas, je me rends au deuxième sous-sol, dans le parking, là où j’ai garé ma voiture. Je m’assois sur le siège conducteur et je serre mes mains sur le volant comme pour me maintenir en vie. C’est toujours le même rituel, il peut se passer n’importe quoi, je n’entends, ni ne vois plus rien et je ne peux empêcher ce qui survient : je pleure fort et longtemps, avec des cris, avec des coups de tête contre les vitres, des coups de pieds sur les pédales. Je me blesse, je casse les fins talons de mes chaussures, j’abîme mes doigts en broyant tout ce qui tombe entre mes mains. Prévoyante, j’ai toujours quelque chose à déchirer dans ma voiture, des chaussures et des vêtements de rechange, une alèse sur le siège conducteur quand, à force de tout retenir et d’expulser irrégulièrement, je finis par me pisser dessus. C’est le seul moyen que j’ai trouvé pour me remettre d’aplomb, d’oublier tous les pièges par lesquels je suis cernée. Comme je suis claire comme de l’eau de roche, on distinguera mon embarras à descendre aussi régulièrement au parking pendant les périodes de rush, on dira que je n’ai aucun scrupule à m’attarder sur des affaires aussi personnelles, on me braconnera, on en conclura que mon visage rougit et que mon teint se brouille car la honte, même refoulée, finit par se lire sur tous les faciès, qu’elle creuse les rides et reflète la vérité intérieure, et, sainte merde, qu’on aurait dû s’en douter, c’était écrit d’avance, que j’étais certainement trop inconséquente pour ce travail, qu’être moi, Valentine Legret, l’assistante de Brigitte Martel, dans une société si importante, c’était me surestimer, qu’il faudrait désormais que l’on songe à me remplacer, que l’on me range ailleurs, un poste sans responsabilités, mais reposant, et pire, étant vicieuse, je pourrais même subitement leur claquer entre les doigts, je pourrais subitement crever en plein travail, sans transmettre les choses importantes à transmettre à qui de droit, ainsi je leur ferais avaler leur poing, mais en attendant je n’en peux plus d’accumuler à l’intérieur et de faire attendre, de voir ma tête se décomposer à mesure de tout ce débordement qui ne veut plus se rengorger, le bateau coule à force d’absorber toutes les informations, je vais finir par exploser puis par pisser par tous les trous, je ne vais certainement pas tout engloutir comme ça puis rester gentille, attentionnée, minutieuse, ça ne pourra pas tenir ad vitam aeternam, ça finira bien par se tordre de l’intérieur vers l’extérieur comme ça ne pourra plus enregistrer les ordres de quiconque, il faudra faire sans et quand bien même ça sera comme ça, il faudra faire avec, la casse n’est pas loin, alors, sainte merde, j’ouvre les vannes, je hurle et j’essaie de faire en sorte que ce craquage total survienne à la pause déjeuner, histoire de croiser le moins de monde possible. Et j’aime mieux : ça dure une demi-heure ; je mets tout autant de temps à m’en remettre avant de refaire mon maquillage.

Colette

Quelqu’un qui vit sous pression constante pendant huit heures par jour, cinq jours par semaine, toute l’année avec seulement cinq semaines de congés payés par an, il ne peut pas tenir s’il ne renonce pas à lui-même. Il n’y a plus assez de travail pour tout le monde, on ne fabrique plus assez pour occuper tout ce joli monde. Pourtant il faut bien que l’économie tourne alors on fabrique des strates hiérarchiques là où l’on fait du fric, autant qu’il en faudra. J’ai pas attendu d’avoir cinquante ans pour comprendre que pour tous ces petits kapos, c’était pire : toute la journée à se faire chier, à ne rien faire, ne rien produire, attendre qu’on vienne les divertir. Je ne sais pas si vous vous rendez compte de l’enfer que ça doit être. Le problème, c’est que c’est les plus cons qui occupent ces postes donc c’est pas drôle pour nous qui sommes en bas de l’échelle : ils ne sont pas assez brillants pour décider, pour penser, ni assez méticuleux pour faire, pour exécuter. La hiérarchie ne consiste qu’à vous faire oublier vos qualités pour que vous ne réclamiez pas plus. 

Hubert

Si mon allure de playboy intimide les salariés, c’est pour mieux faire ressortir leur crainte et leur désir mêlés car j’aime sentir les regards posés sur mon corps surtout quand j’enlève ma veste et qu’il ne reste plus que la chemise blanche cintrée contre mon torse, séparée de mon pantalon de costume par une ceinture à la boucle étincelante, la blancheur de la chemise épouse mon grand muscle pectoral et je suis certain que tout le monde plisse les yeux pour tenter de distinguer mes tétons. Peut-être devrais-je essayer le piercing sur celui qui est le plus proche du cœur ? Quand j’arrive, j’observe les présents potentiels au parking et, comme souvent malheureusement, il n’y a personne. À moins qu’une petite pleurnicheuse ne se soit enfermée dans sa voiture pour se laisser aller. Je ne comprends décidément pas ces manies ridicules qu’adoptent certains pour décompresser, particulièrement dans cette entreprise où les émotions affleurent selon de drôles de modes et de drôles de vagues : il suffit qu’une salariée, une seule, aille chialer dans sa voiture pour que, d’un seul coup, une nuée de secrétaires aillent chialer au sous-sol. C’est très certainement la dernière tendance féminine du moment. Toujours au parking, les hommes ont, quant à eux, trouvé un autre chemin de croix : il paraît qu’on se donnerait rendez-vous dans une allée cachée dont l’extrémité démarre en tournant immédiatement à gauche en sortant de l’ascenseur puis de nouveau à gauche après le quatrième poteau, le renfoncement est à peine visible à cause d’un défaut d’éclairage ; c’est ce qui permet de couvrir certaines personnes qui pensent cacher ce que tout le monde sait. Il n’y a que les bigotes qui s’offusqueront d’y trouver une vieille capote usagée et qui finiront par venir s’en plaindre auprès de moi. En ma qualité de directeur des ressources humaines, je ne suis compatissant envers aucune partie dans cette situation précise. Seulement, avec tout le respect que j’ai pour les invertis qui fréquentent le parking du deuxième sous-sol gauche gauche, je préfère me tenir en dehors de tout ce qui concerne les activités qui y sont liées par réserve morale puisque, comme j’aime à le rappeler aux homosexuels les mieux placés dans l’organigramme, je n’ai rien contre eux, mais leurs pratiques me répugnent. La seule reconnaissance que j’ai envers la communauté gay est culturelle et c’est Madonna. Partout où je vais, je m’annonce à la façon dont Madonna esquisse un pas de danse afin de ménager mes apparitions et mes disparitions – j’aime particulièrement ce moment où Madonna enfonce ses talons aiguilles dans la chair de ses danseurs – tout ça correspond effectivement bien à l’image que j’ai d’un directeur des ressources humaines. Aucun diplôme universitaire, aucune école de commerce ne parviendra au niveau pédagogique et à la qualité d’enseignement de Madonna – car il faut des ressources autres, plus mystiques qu’humaines d’ailleurs, pour parvenir à devenir un grand directeur des ressources humaines.

Brigitte

Si l’on m’avait donné des remèdes pour retrouver ma voix et mon visage, je n’aurais jamais connu l’avantage de se prendre un gros coup de vieux : plaire aux jeunes. Je n’avais jamais envisagé le pouvoir des yeux ridés et des chicots en chantier sur la jeunesse. Une femme ménopausée qui attire les petits loupiots en costume-cravate et aux chaussures pointues, des petits cocos qui ont l’âge d’être mes fils, ce n’est pas seulement dans l’air du temps ou une simple lubie jeuniste : c’est toute une philosophie. Les jeunes bimbos avec les mamelles qui pointent et le nombril percé peuvent toutes aller se rhabiller : je leur grille la priorité haut la main. Mon potentiel de séduction est à son maximum auprès des petits mecs du cabinet de consulting que je recrute à la pelle pour le compte du directeur général afin de perfectionner son coaching. J’ai l’art et la manière de passer mes récréations dans le bureau de ces petits casse-croûtes. J’annonce mon arrivée en claquant délicatement mes ongles vernis sur la porte comme une petite chatte qu’on aurait laissée dehors. Je suis immédiatement reconnue ; depuis que je suis entrée dans leur vie, je suis persuadée que ce bruit les affole et ils m’accueillent comme si j’étais la reine de Saba. Compte tenu de mes antécédents de mutante hors genre qui gravite depuis peu dans les milieux interlopes, je pensais qu’ils étaient tous homosexuels, j’étais bien loin de penser que l’habit faisait encore le moine ces temps-ci : naïvement, j’avais la certitude que les cortèges de costume-cravates étriqués, c’était juste un accoutrement qui permettait aux mecs de se mater discrètement le boule. J’étais encore bien loin de me douter que ce genre de spécimen finirait par m’exciter. D’autant qu’ils prennent régulièrement des airs pincés et hautains. C’était méconnaître la jeunesse en matière de virilité.

Colette

Vous voyez Martine ? Celle qui regarde en l’air en tournant sur son siège ergonomique quand vous rentrez dans le service, certainement aveuglée par les halogènes : certes, elle ne voit plus grand-chose mais elle comprend l’essence des plus importantes. Son mantra, c’est : les chefs, c’est comme les étagères, plus c’est haut et moins ça sert. Elle vient du service des archives alors ça aide à visualiser une organisation économique. Qui se soucie des archives ? Vous voulez neutraliser un agent : mutez-le aux archives. À moins que ce service ne disparaisse complètement et qu’ils se retrouvent tous ici, avec nous, comme Martine, à ne plus savoir comment s’occuper parce que, ce que je ne vous ai pas dit, c’est qu’il faut les mépriser quand ils arrivent, aucune fraternité ne tient ici, il faut les maintenir dans un état de bêtise, sinon comment voulez-vous qu’une organisation interne solide se mette en place. Et si un jour Martine obtient une évolution professionnelle, vous pourrez toujours mépriser la femme de ménage, pensez-y dès maintenant – il y a toujours quelqu’un en dessous, à tous les niveaux.

Valentine

Je sais que je ne devrais pas le dire mais je voudrais que quelque chose de terrible s’abatte sur Brigitte Martel. Je voudrais me retrouver dans l’engrenage d’un vaste défouloir de petite salariée frustrée, plutôt que de prendre la fuite, je serais à l’affût des rebondissements – comme ça arrive quelque fois lorsque les problèmes surgissent avec fureur – je laisserais sortir de moi cette euphorie patibulaire – et plus curieuse que jamais – pour ne pas dire : sous l’effet d’une addiction toute nouvelle – je suivrais toujours avec délectation les nuisances des déchaînements de rancœur et d’animosité qui en découlent et je guetterais ma victime comme si j’étais devenue folle. Je pourrais être aux premières loges pour regarder la chute de Brigitte Martel : ce serait l’achèvement d’une pulsion frénétique – mon cœur battrait la chamade – et je n’oublierais pas de prendre une flasque d’alcool au supermarché et de la ramener dans mon sac à main pour fêter ça dignement toute seule dans mon coin ; excitée au plus haut point – dès qu’un nouvel événement dégradant surgirait devant mes pupilles dilatées – ça ne s’arrêterait donc jamais – je ne serais sans doute pas belle à voir – probablement la seule à être aussi émerveillée sur son lieu de travail – le cœur sur le point de se fendre – jusqu’à ce que je lâche tout haut, tout fort, au beau milieu des bureaux, transie : enfin ! Néanmoins, j’ai la certitude que je suis la seule de mon entreprise à attendre une chose qui ne vient pas, sans pourtant parvenir à l’identifier, ni la nommer – je reste ainsi longtemps, apathique, figée dans l’attente d’une renaissance de moi-même. Oh, je voudrais qu’une aura aveuglante commence à planer tout au-dessus de ma tête, je voudrais sentir mon visage irradier du plaisir et du bonheur que je mérite de recevoir ; et ainsi, les choses iraient mal, enfin.

Brigitte

J’ai une nouvelle passion : Vivien Lereclus. C’est le premier qui me fait du rentre-dedans et seul Dieu sait que j’adore ça. C’est un petit curieux qui profite de ma tendresse et de ma vulnérabilité pour obtenir des renseignements sur les personnalités qui composent l’entreprise. Quel petit ambitieux ! Il espère sûrement se faire débaucher prochainement et il m’utilise pour parvenir à ses fins. Vivien Lereclus fait à peu près ma taille mais prend des airs transis entre le bébé et le dandy quand je me trouve en sa compagnie. Ses manies m’attendrissent et m’électrisent,  notamment la façon dont il recoiffe sa mèche brune avec insistance derrière son oreille droite. D’ailleurs, le premier contact que nous entretenons chaque jour, c’est ma main aux ongles longs et rouges qui vient pénétrer lentement sa chevelure en y laissant des lignes tracées ; ses cheveux légèrement laqués dont j’aime les fines particules chimiques qui viennent imprégner mes doigts dans ces moments délicieusement suspendus, j’en garde l’odeur une heure ou deux pendant lesquelles je hume ma main sans arrêt ; je me remémore son regard de requin avec ses deux petites billes noisettes qui vous fixent étrangement comme si c’était sa façon de me croquer ; je ne peux plus résister. J’oublie un peu mon destin quand il est là, quand il franchit le seuil de mon bureau. Je ne voudrais pas que cette soudaine passion saute aux yeux de nos collègues et qu’elle nuise à sa carrière. C’est donc dans l’effacement que j’apprivoise la présence de Vivien Lereclus, moi qui suis d’une personnalité si extravagante d’habitude, mais je me réjouis de constater que plus je m’éloigne et plus je l’attire. Je retrouve mon plumage d’antan avec une réjouissance infinie, je trouve tout le temps d’aller admirer ma dégaine dans la glace des toilettes plusieurs fois par jour, je choisis mes vêtements, mes parfums, mes boucles d’oreille, mes bagues avec le plus grand soin. À mon âge, quand ça revient, c’est une panacée : je me sens guérie de tous les affronts, de tout ce que j’aurais dû ne pas voir, ne pas entendre et ne pas dire concernant mes conquêtes masculines – j’ai la dent dure contre les hommes en général mais tout coule quand il s’agit de Vivien Lereclus car c’est probablement son côté féminin qui m’attire – sa taille fine et l’étroitesse de ses épaules, ses gestes délicats, son imberbité – je ne parviens que difficilement à imaginer sa quéquette, aussi féminine soit-elle : longue, riquiqui, laborieuse, fainéante, aguicheuse, timide ?

Hubert

Je n’aime pas beaucoup voir les vestiges de l’organisme errer en groupe dans les couloirs avec leur tasse à café dans les mains. Je déteste surprendre ces antiquités au détour d’un étage ou d’une cafétéria ; je répugne leur façon de s’exprimer, de se déplacer, de travailler, et même de s’habiller. Si cela ne tenait qu’à moi, je leur imposerais un uniforme à mon goût puisque, présentement, les employés de bas étage ont plutôt la dégaine de vieilles fougères défraîchies. Costards et tailleurs pour tout le monde ! Et je ne tolèrerais pas qu’un membre du personnel franchisse un étage supérieur ou égal à celui du cinquième s’il n’arbore pas au moins une chemise – j’imposerais aux assistantes un tailleur foncé avec un chemisier clair dont l’extrémité des manches se replierait sur les avant-bras ; elles devraient porter le chignon en vertu des recommandations que je clarifierais pour le compte de la société – et, avant tout, j’interdirais à celles qui sont myopes de travailler si elles ne tolèrent pas le port des lentilles car j’exècre les énormes binocles affligeantes qui jurent décidément dans la scène contemporaine que j’essaie tant bien que mal de faire reluire. Il faudrait quand même que je trouve une solution discrète pour me désencombrer de tous ces résidus car préserver l’emploi de pareils salariés, c’est mettre sans cesse en branle l’image de marque à laquelle je tiens tout particulièrement – et tous ici se doivent d’incarner les valeurs qui m’importent par une tenue irréprochable. Je suis tout à fait intraitable sur ce point : si la tenue du salarié est indélicate du point de vue de l’Employeur, c’est une dénonciation du contrat de travail. Notre quota d’handicapés est largement rempli pour que nous devions systématiquement reclasser le salarié dont l’apparence indispose notre paysage. Qu’ils aillent aux prud’hommes s’ils se sentent maltraités, j’ai l’argent pour !

Colette

Au service des archives, ils ont tous des têtes de philosophes : regardez sur Google à quoi ressemblaient Aristote et Platon, Heidegger et Nietzsche et, croyez-moi sur parole, vous reconnaîtrez Jean-Louis, Jean-Michel, Marcel et Christophe. Martine en avait ras le bol de les écouter jacasser sans arrêt : c’est pour ça qu’elle a atterri parmi nous, grâce au dispositif de la mobilité interne. Les bureaux vont être – une fois de plus – réorganisés et c’est elle qui devrait prendre ma place, qui travaillera donc en face de vous mais faites gaffe : c’est une grande copine de Brigitte Martel, vous savez, cette insupportable grande blonde dégingandée qui prend des airs de bébé aristocratique alors qu’elle a une voix rauque qui part tellement vite que, quand elle vous pose une question, elle est déjà partie avant même que vous n’ayez donné la réponse et, pour couronner le tout, elle ne dit jamais bonjour. De temps en temps, les bien placés de l’organigramme viennent visiter nos bureaux et ils s’y promènent comme dans un zoo. Ils se réjouissent de ne pas éprouver nos conditions de travail ; c’est comme pour nous, quand on descend au service du courrier : c’est le freak-show ; notre niveau rassure nos dirigeants. Notre porte est ouverte à tous les directeurs s’ils veulent venir faire leur safari, divertir leurs équipes : vous jugerez par vous-même de la gueule que tire la poule du DG quand elle vient chez nous – elle tient son sac à mains tout serré contre sa poitrine de peur qu’on lui arrache – pendant que son lover lui susurre à l’oreille : voici le tiers état, mon amour. On peut s’estimer chanceux car, il n’y a pas si longtemps que ça, le même DG nous appelait les serfs et les manants. Qu’ils ne s’en fassent pas : s’ils nous méprisent, je les méprise tout autant – un point partout, la balle au centre. Vous verrez par vous-même, vous ferez votre propre diagnostic. À ce propos, je préfère vous prévenir que Martine a une forme de la maladie de Creutzfeldt-Jakob, en tout cas c’est ce qu’on dit ou c’est ce qu’elle veut nous faire croire, entre nous c’est motus et bouche cousue à ce sujet, mais regardez-la bien – sans la surveiller non plus – je suis sûre qu’elle simule ses absences et ses états de conscience – regardez-la bien quand elle est à l’imprimante, vous verrez qu’elle a parfois des dérapages incontrôlés notamment quand il s’agit d’amorcer les virages – soit je suis miraude, soit elle a une sacrée tendance à défier les lois de la gravité, en même temps : je vous dis ça, je vous dis rien, méfiez-vous d’elle, elle a de l’avance pour endormir son monde. Quant à moi, je fais ce qu’on me demande de faire, un point c’est tout. Je n’ai juste pas envie qu’elle s’écroule devant moi avec la tête la première sur son clavier ; si seulement ça arrive, si jamais elle clamse à son bureau, j’ai une parade : pour ça, je prie bien fort le petit Jésus et normalement, à ce moment-là, je serai sortie fumer une cigarette.

Brigitte

Quitte à renaître en prédatrice sexuelle, j’aimerais me détourner de l’amour, de l’image de l’amour, des pratiques de l’amour, en privilégiant l’alchimie et ses voies humides et délicates. Jamais je ne pourrais prétendre à une relation d’égalité avec un jeune type ; en être consciente est un plus. L’amour libre ne m’intéresse pas non plus ; je suis beaucoup plus épanouie dans un cadre strict, avec des règles et des contraintes, question d’éducation. En ce sens, le bondage m’apparaît comme une saine alternative et mon côté dominatrice pourrait bien s’étoffer. Si je dois passer à l’action avec un mec à peine sorti de l’adolescence, je pense qu’il va sacrément morfler avant de pouvoir espérer avoir une bonne grosse baise sur une peau de bête devant la cheminée. J’aurais plutôt tendance à vouloir le dépolir de sa mesquine petite sexualité pourrie, histoire de bien lui apprendre la sensualité, la vraie. Les jeunes hommes sont sacrément pétris de serments et d’opinions. Tout ça, c’est comme les boutons, ça s’enlève. Le petit Vivien Lereclus, s’il avait l’acné ou la varicelle, je lui passerais une de ces râpes pour le peler, la râpe en plastique et en aluminium qui coûte deux euros chez le quincaillier, rien que d’y penser j’en ai les jambes qui tremblent. J’imagine déjà le contact de l’aluminium sur sa peau grasse et suintante d’adolescent attardé. J’en mourrais de bonheur de voir les résidus dégouliner sur l’aluminium de la râpe. Je sens l’excitation qui monte et je pense à ce que je donnerais pour vivre ça au moins une fois dans ma vie.

Valentine

J’adorerais m’appeler Brigitte Martel. Si vous me rencontriez, je me tournerais vers vous et je vous tendrais sournoisement la main ; je vous saisirais cordialement puis je vous serrerais si fort que vous sentiriez vos os se disloquer. Je vous installerais face à mon bureau où je vous laisserais debout tandis que j’irais m’asseoir. Je vous détaillerais de la tête aux pieds. Chaque matin, quand j’arriverais, tout le plateau plongerait le nez sur son clavier, tous taperaient en chœur pendant que je me mouvrais jusqu’à son bureau comme une star – au fond, j’aurais l’âme et l’allure d’une héroïne dangereuse. Je porterais la plupart du temps des combinaisons alambiquées, des robes soyeuses et aériennes, des cuirasses, des dentelles sophistiquées sortiraient de mes manches et affineraient mes poignets. Je me précipiterais d’un lieu de réunion à un autre, toujours en coup de vent, légère. Quand je serais pleinement satisfaite, je serais d’une majesté incandescente. Pourtant, quand je m’adresserais à mes équipes, je me métamorphoserais : je serais volontairement brusque, mue par la bouffée délirante d’atteindre mes résultats toujours plus vite. Toute mon équipe se plierait en dix pour me donner satisfaction : je leur donnerais la fièvre quand je traverserais l’allée centrale menant à mon bureau, puis je briserais les cœurs en décidant de changer mes habitudes sans arrêt et je déboulerais d’un petit coin pour entretenir l’effroi quand surgit ma personne ; en somme, je serais une vamp inaccessible, qui ferait passer autrement la journée de qui m’observerait ; je serais la seule capable de provoquer le manque chez chacun ; j’allumerais cette flamme dans le cœur de qui me croiserait – et ça serait tout moi, Brigitte Martel, cette façon de vous faire vous consumer. L’open-space, ce serait mon territoire, ce serait ma toile, je saurais comment occuper ces grands espaces, je saurais comment y tendre des pièges pour capturer et dévorer mes proies. Les salariés diraient que je ne laisse jamais personne sortir de mon bureau tant que mes interlocuteurs n’ont pas baissé la tête ; et jamais je ne démentirais. Ceux qui relateraient un entretien avec moi diraient que plus le temps passe et plus c’est doux, à mesure qu’on apprend à me connaître, que plus j’entre en profondeur et plus c’est fort. Ils diraient que ma chaleur est telle qu’elle les entoure, que ce qui se produit n’a pas d’autre nom que le désir, que c’est comme quand on commence à ressentir la faim au moment de passer à table.


Rémi Ciret

Écrivain