Roman (chantier)

Portraits aux abois

Écrivain

Nous continuons notre série de juin consacrée aux « plumes en herbe » avec le texte de Rémi Ciret, étudiant du master de création littéraire de Paris 8. Celui-ci nous a confié un extrait de son travail préparatoire à l’écriture d’un roman. Des noms, des voix, donnent corps à des personnages et à un texte choral. Entre réalisme acide et fantaisie totale, on ne sait dans quelle entreprise travaillent ces personnes mais on voit bien qu’on n’en pas fini avec l’aliénation par l’affect.

Colette

Oui, c’est peut-être vrai qu’un certain contexte économique et social justifie une pression croissante sur les salariés ces temps-ci ; néanmoins, chaque membre du personnel a ses valeurs – le travail répond aussi à des valeurs qui lui sont propres – et aucune logique économique ne doit vous mettre dans cet état-là ; certes, chacun d’entre nous a les facultés de se résoudre aux lois d’une organisation économique ; dans l’ordre des choses, ce sont toujours les mêmes qui subissent les mauvaises décisions tandis que personne ne vient demander des comptes aux responsables qui s’acharnent à faire appliquer manu militari ce qui leur sort de la tête – ils ont ce pouvoir et vous devez ployer.

Valentine

J’ai rêvé que je couchais avec Brigitte Martel. Mes yeux se sont ouverts avec une telle rapidité que je n’ai pas pris conscience tout de suite qu’il s’agissait d’un rêve. Il m’a bien fallu une demi-heure pour en sortir ; Brigitte Martel s’apprêtait alors à se jeter sur moi, ses yeux étaient remplis d’une force démoniaque ; elle avait pourtant ce foulard pâle sur ses épaules ; je me tenais debout devant son bureau derrière lequel elle me toisait à la manière d’un chat sauvage qui s’apprête à bondir, égale à elle-même, de sorte qu’on ne s’approche jamais de Brigitte Martel ; semblable aux petits enfants qui ne s’approchent pas des chats car ils ne savent jamais s’ils vont se prendre un coup de griffe.

Hubert

La nature humaine est tant prévisible que je perds chaque jour un peu plus de foi en l’autre. Pour un directeur des ressources humaines, c’est légèrement problématique. Si j’avais le monopole dans la direction de cette entreprise, je punirais tout le monde, de châtiments corporels. J’aime les bonnes vieilles méthodes. Jadis, elles conjuraient toute tentative de dérive ; elles portaient les liens à ceux qui se rebiffaient et finissaient par faire retentir le son délicat du rappel à l’ordre. De nos jours, force est d’avouer que nous devons consentir à contenir un sadis


Rémi Ciret

Écrivain