Poésie

Chino sur la falaise

Écrivain

Chino (François, en breton) est, depuis 2013, le personnage central de ce qui peut maintenant être considéré comme un cycle, publié chez P.O.L : Les Enfances Chino, Les Amours Chino, Chino aime le sport, Chino Rabelais (MeL/BIS), Chino au jardin. Aujourd’hui Chino va à la plage. La langue de Christian Prigent, mobile, ultra rythmée, énergique, appelle la voix haute. Elle n’est pas seulement facétieuse, elle est visuelle, et ancrée dans le concret. Un poème inédit.

 

 

8 h, aux doigts de rose

drrring : les doigts rosses ! un dé
gobillé d’aube a déboulé

dehors des vacheries sale
ment ondulées avalent
le foutreau il pleut
gras : matin dégueu

requinque 1 : la débarbouille
2 : bol de bidrouille

et hop : le short ! au ferraille
ment des songes : bye ! bye !

 

 

10 h, sur la falaise

zut : si l’air bleu d’oubli
s’échevèle à la fraîche
c’est xa va sur les non sèches
roches recrachiner pipi

va pas te casser dans l’éboulement
la gueule aux détritus : sur l’estran
après le tout schuss épicé d’ajonc
on pue (H2S + NaCL) pas bon

jumelles > ∞ (N.N.E) : fistule
d’éclaircie ! un peu vif Phoebus
bave — et zig à l’oculus
(zénith) zague un vol minuscule

 

 

11 h, panoramique vite

focs + cloques de voiles
+ kites + jésus paddleurs + rafales

= shoot d’oxygène (via tuba d’os :
le goupillon dans les tuyaux !)

becs : miam miam ô sapides
ciels chatouillants ! crocs : ô timide

bauge épouvantée par la morgue
d’Eole à son pupitre d’orgue !

 

 

12 h, cauchemar calmar

flocons d’ouatées nues (flic !)
+ huées de ziaux + mic
tions (floc !) sur flaques de bouilli
de glaires : 1, 2, 3 cap au pis !

flash : il carapate extrême vélocité
férocité maxi caillé glauque huit pieds
bec de corne aura de vapeur
furax le céphalopode à trois cœurs

zappe : ouste kraken ! n’emmerde
pas mes horizons ! que ne se perde
pompé par la ventouse à des visions
moches ego avec sandwich jambon !

 

 

13h, rose rétro

mais si l’Hélios incarnat shampouine
oyats & tamaris après le chocolat
en barre + compote au bec des gars
maigres en mobs (pas loin : les coquines

en Vichy pastel) : zou ! rétro zoom
sur pâlichon de fesse atchi atchoum
à cause d’un cil chu au pif où veille
l’asticot de morve aimé du soleil

 

 

14h, avec Rimbaud

c’est trop joli le sel oublié sur parme
& azur veiné en forme de cuisse
sous les pins myrteux que de larmes
on a ravalées du temps des réglisses !

en des vaux pareils rêvassa le Rimbe
accrocs poilus haillons de foutre
leur étendard flotté sous le nimbe
fut pour ses yeux et paille et poutre

ne vois pas mieux de toi que ton
corps caverneux gavé au goémon
il ne gît pas aux boues bleu crasseux
mais dans le roux des toisons pleut

 

 

15h, sur sable isabelle

des kilos de culs cuisent à plat
mais l’Erèbe à peau de lion
attend les noyés et in Arcadia
goutte l’urine de Charon

ou c’est sous ciré jaune un pleur
d’Orcus couleur purin — le cidre
aigre insu des baigneurs l’hydre
y clapote dans l’ulve aie peur

au ventre : un gargouillis d’enfance
barbouillée d’angoisse mais sois fort
et nargue Circé de dents d’ignorance
sinon le prochain songe te fera porc

 

 

16 h, éclaircie

ça ffrrtt ffrrtt gratouille éprouvons les matières
aplaties sous noroît : ras les grès non
moussus t’expire aux tuyaux via l’ajonc
un vol flapi d’azurés des mouillères

au cap à nez mauve les bulles
pètent la joie : soleil cou cou
pé, ton sang ! calme, le clapot ! au trou
soupe au poulpe ! nouilles ! tentacules !

cul sur tapis de joncs : ça pique ! un cri
pompe aux nimbus un éclat de vie
et clac : arc-en-ciel ! salut à l’oublieuse
des morts ! à la mer lascive ! à sa lessiveuse !

 

 

17 h, revenants sous le vent

ces mares sont pleines de gens ohé
nous sommes tes aïeux remontés
des abysses nous puons la saumure
aime-nous pourtant notre allure

est la tienne où tu marches nous marchâmes
nos jambes où que tu crapahutes
leurs fémurs grincent dans tes flûtes
d’os ce que tu pisses : l’urée de nos âmes

tes cellules de nos acides pullulent
si ta bouche bave ce sont les bulles
de nos crachats ou morves tes oxyures
sont le plancton de nos pourritures

l’us le tord-boyautant du vice et l’amour
de nous à toi ont fléché les parcours
mais va pas pour ça t’amocher la figure
aux récifs à pas comprendre la nature

 

 

18 h, retour d’hormone

les ondines ont toujours vingt ans pas toi
vingt ans tous les jours vingt ans pour toujours
ce qu’on se gourre ! hop on clopine sur cal
d’os rhumatismal dans la forêt du graal

niqué d’anciens calculs tu broies
de ta molaire un carambar non élas
tique les Eves pas en string hélas
mais latex isotherme à ne pas foutre un doigt

de pied dehors claboussent au bas
des genets tu mollis d’émoi
qu’elles rient : réchauffe un tison
si tu peux d’émotion dans ton caleçon

si Eros a posé sur toi son orteil salé
crains l’incident hormonal : une a
mis du mica sur seins au naturel on va
cloquer au soleil cuiseur de fessiers

 

 

19 h, cieux du dedans

ferme les yeux tu verras mieux con
centré la matière amoureuse de toi
(peut-être) fondre et coller à
ta couenne ou même huiler de sons

les cumulus zébrés d’envols sur
excités ces cris grattent ton envergure
minuscule : ongle stp pour un pizzi
cato de saumure à l’aine où ça te cuit

quel barouf fait ce monde époustouflé de fiers
zefs ! mais aux cieux du dedans dure
surtout le rose aperçu dans la confiture
de lumière derrière tes paupières

 

 

20 h, silence !

il casse les oreilles couilles ouille
le klaxon angineux du limicole a
nonyme ! basta, zinzin gaga !
clapet, courlis des patouilles !

merde à la sauvagine ! qu’on hume
l’iode sans baratin ! que dans l’écume
des îles en suspension les marsouins
taciturnes sourdinent le tintouin !

 

 

21 h, soir bordé d’orages

demi-tour de patte vers l’espace à vaches
un gras de purin y calme les abois
des chiens bouffeurs d’étrons ça va
être l’heure des arthropodes crache

encore un coup dans la mare et file
par la friche bordée d’orages la ville
moche sonne ses cloches plus rien à voir
le soir sue des nuages fondu au noir

 


Christian Prigent

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