Fugue en cinq temps
Adagio
Les rues sont hantées par quelque chose de plus noir que la nuit. Piégé entre deux voies, le vent souffle, agitant les reflets de Noël qui s’étirent, paresseux, sans plus y croire. Peut-être que les sapins délaissés sur le trottoir donnent cet air morne au décor de janvier. Tout se tait et les ombres serpentent entre les réverbères indigents. Dans l’auguste quartier parisien un immeuble haussmannien dresse, fier, sa façade en pierre de taille récemment ravalée. À l’étage noble et balcons filants, des plantes. La plupart sont mortes au cours de l’hiver, les jardinières de couleurs vives laissant deviner qu’il y eut, au printemps dernier, ou bien en été, une grande journée de plantes, achats joyeux, compulsifs chez Truffaut, on a embarqué tout ce qu’on a pu, on a probablement loué une voiture pour l’occasion, on voulait un balcon fleuri comme il se doit dans une maison heureuse. Mais ces gens si gais si amoureux n’avaient peut-être pas la main verte, et ce fut tout, plus personne pour s’occuper des plantes du balcon où l’on voit maintenant une femme tenant dans ses bras un chat gris aux yeux de fougère. Elle tente d’enjamber la balustrade, mais ça n’a pas l’air simple.
En plus du chat, la femme porte un petit sac à dos. Elle y a jeté quelques objets à la hâte : un portable cassé, le chargeur du téléphone, un passeport. Sans oublier un stylo, puisqu’elle a aussi pris son journal intime. Et un livre : le premier tome des Essais de Montaigne. Qui sait si elle aura le temps de lire, mais ça la conforte, et c’est ce qu’elle aime le plus au monde, la lecture. Un vice qu’elle a partagé avec celui qu’elle tente de fuir.
En cet instant précis, elle calcule. En sautant de ce deuxième étage, risque-t-elle de mourir ? Il y a des chances. Toutefois, si elle rebondit sur l’auvent en toile de la boutique du rez-de-chaussée, elle pourrait se casser seulement une jambe. Elle sait que ça ne se fait pas, de se laisser tomber sur l’auvent du voisin pour se casser une jambe plutôt