Dawn
Avant que soient sculptées les figures monumentales des présidents américains dans la roche du Mont Rushmore, c’était un site sacré pour les Amérindiens.
Ils le nommaient The Six Grandfathers.
Lors d’une vision, un homme-médecine y avait discerné les six directions sacrées : le Nord, le Sud, l’Est, l’Ouest, le haut et le bas.
Si on y voyait des visages, c’était dans les rides profondes de la pierre.
La lumière y creusait sans cesse des figures différentes, jusqu’à ce que le territoire tombe aux mains des Américains et que le sculpteur Gutzon Borglum, ancien membre du Ku-Klux-Klan, grave les quatre visages monolithiques des présidents là où la roche en avait mille.
L’invisible est devenu visible, le mouvant est devenu fixe, comme l’image fige ce que la parole ne cesse de repriser, de reprendre – que faire d’une histoire qu’on ne peut plus transformer, amender chaque soir ?
Beaucoup d’histoires commencent par un problème d’argent. Celle-ci remonte à la surface en 2003 parce qu’un détective privé de Caroline du Nord n’arrive pas à se faire payer par l’un de ses clients. Peut-être a-t-il couru après une épouse, cherché un frère, un magot, un enfant, sans doute a-t-il passé des heures à attendre au volant, à espionner des inconnus qui se refilent des paquets en douce, s’embrassent à pleine bouche, des inconnus qui, la plupart du temps, ne font rien de spécial, qui se contentent de vivre leur vie ordinaire. C’est son travail, et tout travail mérite salaire, mais celui-là, impossible de l’empocher, alors le détective s’impatiente, et son client fauché finit par lui proposer un autre moyen de paiement.
Un film.
Cinq bobines exactement, bien plus précieuses, promet-il, que les quelques dollars de sa dette.
Le film s’appelle Daughter of Dawn. C’est une curiosité. Il a été entièrement joué, à l’été 1920, par « de vrais Indiens dans un pays indien » : trois cents Comanches et Kiowas à peine sortis de leurs réserves, déferlant de nouveau sur les plaines pour les beaux y